Pour avoir fait fi d’une décision de justice, le ministre de l’équipement et des transports risque bien de connaître le sort de l’ex Vérificateur Général, sidi Sosso Diarra.
L’affaire porte sur le contrat de fabrication et de fourniture des plaques d’immatriculation des véhicules et engins à moteurs. Le puissant ministre des transports vient de lancer un avis d’appel d’offre portant sur ce marché (l’Essor N°175.583 du vendredi 20 décembre 2013). Rien de mal si, seulement si, il n’existait un contentieux et si la section administrative de la Cour suprême n’avait pas déjà statué sur l’affaire.
Le différend en question oppose la « Société Yattassaye et Fils » et le gouvernement du Mali à travers le ministère de l’équipement et des transports dirigé par le Général Koumaré. Ce dernier a tout simplement décidé de résilier la convention de concession signée entre l’Etat du Mali et la «Société Yattassaye et Fils », convention datant du mois de mars 1996. Elle porte sur la «concession de service public relatif à la fourniture des plaques et d’emboutissage des caractères sur les plaques d’immatriculation standardisées des véhicules ». Elle (la convention) est établie pour une durée de sept (07) ans et reconductible pour une période de 5 ans (lire encadré-« les termes de référence »).
C’est donc par son arrêt N° 335 en date du 24 octobre que la section administrative de la Cour suprême a estimé que le lancement d’«un appel d’offre est prématuré » voire inopportun et en violation de la loi et remet par conséquent la société Yattassaye dans ses droits.
En sa qualité de ministre de la République donc légaliste par principe, le ministre de l’équipement et des transports devrait en rester là.
Rappelons-le, l’arrêt de la Cour Suprême remonte à la date 24 Octobre 2013. Et il invite le ministre et même la Direction Général des marchés Publics et des Délégations de Service Public (DGMP-DSP) à surseoir à toute forme de résiliation de la convention et d’arrêter toute procédure d’appel d’offres, en tout cas, en ce qui concerne une éventuelle concession de service public relatif à la fourniture des plaques et d’emboutissage des caractères sur les plaques d’immatriculation standardisées des véhicules.
24 Octobre 2013 (date de l’arrêt de la Cour suprême) – 20 décembre 2013 : voilà que le ministère de l’équipement et des transports publie un avis d’appel d’offres N° 020 en date du 18/12/2013 portant sur le même sujet (la signature d’une convention) et au mépris des injonctions de la Cour suprême.
La question, à partir de cet instant précis, ne relève plus du tribunal administratif, mais plus tôt de la juridiction pénale (lire encadré : « ce que dit la loi »). Il s’agit, en clair, d’un délit qui a valu l’incarcération de l’ancien VEGAL Sidi Sosso Diarra. Et c’était encore la même section administrative de la Cour Suprême qui avait alors décidé de porter plainte contre M. Diarra auprès du tribunal de la commune IV. A l’heure actuelle, le débat revient avec le ministre des transports.
On eut dit, en tout état de cause, que le ministre de l’équipement et des transports, issu de la junte, ne ménage aucun effort, pour prêter le flanc… Aussi, le nom d’une société ivoirienne revient constamment pour remplacer celle malienne dans cette affaire. Nous y reviendrons.
A suivre !
B. Diarrassouba
Ce que dit la loi
CHAPITRE VI: DES ATTENTATS A LA LIBERTE
ARTICLE 64: Tout fonctionnaire public, agent ou préposé de l’administration, qui aura requis ou ordonné, fait requérir ou ordonner, l’action ou l’emploi de la force publique contre l’exécution d’une ordonnance, d’un mandat de justice, de tout ordre émanant de l’autorité légitime, sera puni de cinq à dix ans de réclusion. Si cette réquisition ou cet ordre ont été suivis d’effet, la peine sera le maximum.
Les peines énoncées ne cesseront d’être applicables aux fonctionnaires ou préposés qui auraient agi par ordre de leurs supérieurs qu’autant que cet ordre aura été donné par ceux-ci pour des objets de leur ressort et sur lesquels il leur était dû obéissance hiérarchique ;dans ce cas les peines portées ci -dessus ne seront appliquées qu’aux supérieurs, qui les premiers, auront donné cet ordre.
Si par suite desdits ordres ou réquisitions, il survient d’autres crimes punissables de peines plus fortes que celles exprimées au présent article, ces peines plus fortes seront appliquées aux fonctionnaires, agents ou préposés coupables d’avoir donné lesdits ordres ou fait lesdites réquisitions.
ARTICLE 66: Si c’est un ministre qui a ordonné ou fait les actes ou l’un des actes mentionnés aux articles 64 et 65, s’il a refusé ou négligé de faire réparer ces actes, il sera puni de six mois à cinq ans d’emprisonnement ou d’une amende de 25.000 à 180.000 francs.
ARTICLE 67: Si les ministres prévenus d’avoir ordonné ou autorisé l’acte contraire à la Constitution prétendent que leur signature a été surprise, ils seront tenus, en faisant cesser l’acte, de dénoncer celui qu’ils déclareront auteur de la surprise ; sinon ils seront poursuivis personnellement et passibles des peines prévues à l’article précédent.
ARTICLE 69 : Si l’acte arbitraire en violation de la Constitution a été fait d’après une fausse signature du nom du ministre ou d’un fonctionnaire public, les auteurs du faux et ceux qui en auront sciemment fait usage seront punis de la peine de réclusion à temps, dont le maximum sera toujours appliqué dans ce cas.
ARTICLE 72 : Tout crime commis par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions est une forfaiture.
ARTICLE 73 : Tout acte de forfaiture sera puni de cinq ans au moins et de dix ans au plus de, réclusion lorsque la loi n’aura pas prévu une peine inférieure ou supérieure.
ARTICLE 78: Tous dépositaires de quelque partie de l’autorité, par délégation ou correspondance entre eux, qui auront concerté des mesures contraires à la Constitution et aux lois, seront punis de la peine de cinq à vingt ans de réclusion. De plus, l’interdiction des droits civiques et de tout emploi public pourra être prononcée pendant dix ans au plus.
ARTICLE 81 : Seront coupables de forfaiture et punis de cinq ans au moins et dix ans au plus de réclusion, les fonctionnaires publics qui, dans le dessein de s’opposer aux lois ou à l’action gouvernementale, auront, par délibération, arrêté de donner des démissions individuellement ou collectivement dont l’objet ou l’effet serait d’empêcher ou de suspendre soit l’administration de la justice, soit l’accomplissement d’un service public quelconque.
CHAPITRE VIII: DE L’EMPIETEMENT DES AUTORITES
ADMINISTRATIVES ET JUDICAIRES
ARTICLE 83: Les juges, les procureurs généraux ou de la République ou leurs substituts, les officiers de police judiciaire qui, soit arrêteront ou suspendront irrégulièrement l’exécution d’une ou plusieurs lois, soit défendront d’exécuter les ordres réguliers émanant de l’administration, seront punis d’une amende de 25.000 francs au moins et de 200.000 francs au plus.
Seront punis des mêmes peines, les ministres, les maires et autres administrateurs qui, soit arrêteront ou suspendront irrégulièrement l’exécution d’une ou plusieurs lois, soit s’ingéreront illégalement dans la connaissance des droits et intérêts privés du ressort des tribunaux.
CHAPITRE IX : DE L’OPPOSITION A L’AUTORITE LEGITIME
ARTICLE 84: Seront punis d’une amende de 20 000 à 120 000 francs inclusivement et pourront l’être d’un emprisonnement de onze jours à trois mois:
1° ceux qui se seront opposés par actes, paroles, gestes, manœuvres quelconques à l’exercice de l’autorité légitime d’un agent dépositaire de l’autorité publique ou de tout citoyen chargé d’un ministère de service public et auront, par là, porté atteinte ou tenté de porter atteinte à l’ordre public ou entravé ou tenté d’entraver la bonne marche des services administratifs ou judiciaires, ainsi que toute excitation à cette opposition ;
2° ceux qui, sans excuse légitime, n’auront pas répondu aux convocations régulières des autorités administratives ou judiciaires ;
3° ceux qui, par abstention volontaire ont porté atteinte ou tenté de porter atteinte à l’ordre public ou entravé ou tenté d’entraver la bonne marche des services administratifs ou judiciaires.
L’abstention volontaire, aux termes du présent article, doit révéler chez celui qui en est l’auteur une volonté d’indiscipline caractérisée.
Lorsque l’infraction ci-dessus définie sera le fait de plusieurs personnes agissant de concert, les peines prévues pourront être portées au double.
(…)
Les termes de référence de la convention
C’est au terme de la consultation locale ouverte N° 008/MTPT du 02 Octobre 1995 que la Société Yattassaye-Fils a été retenue pour bénéficier de la concession.
L’article 1er de ladite convention stipule que «le concédant (le gouvernement du Mali) confie au concessionnaire (la Société YATTASSAYE-FILS), la concession en exclusivité sur toute l’étendue du territoire du Mali, du service public relatif à la fourniture des plaques et d’emboutissage des caractères sur les plaques d’immatriculation standardisées des véhicules sur celles-ci tel que défini par les prescriptions techniques du cahier des charges annexé à la présente convention et selon les modalité fixées par le code de la route, ses textes d’application et la présente convention».
En fait de monopole (argument évoqué par certains), la convention en question n’en est pas une. Il s’agit plutôt d’un choix de «mode de gestion de service public procédant du souci d’éliminer la fourniture frauduleuse et anarchique des plaques par certains artisans et celui de maîtriser au mieux la statistiques du parc automobile du Mali » (préambule de la convention).
Aussi, si monopole il y a, l’actuel ministre des transports, à travers l’appel d’offres lancé dans le quotidien national «l’Essor», entend bien à son tour, l’octroyer à une autre et seule entité, puisqu’il est question là aussi, d’une «convention » et tenez vous bien, portant sur une durée de 15 ans, une fois renouvelable ce, contrairement à celle établie avec la société Yattassaye, laquelle durée est de 07 ans.
Dans le chapitre de la résiliation, l’article 17 du document stipule : « le concédant (le gouvernement du Mali) se réserve le droit de résilier la présente convention sans préjudice aucun :
– En cas d’inobservation ou de transgression par le concessionnaire (la Société YATTASSAYE-FILS) des clauses de la présente convention et du cahier des charges annexé, constatée après mise en demeure par lettre recommandée avec accusée de réception et restée sans effet dans un délai de 30 jours.
– Et dans les cas si par négligence, incapacité ou mauvaise foi, le concessionnaire compromettait l’intérêt général, la qualité ou la continuité du service public concédé.
La résiliation prend effet pour compter de la date de sa notification au concessionnaire».
En d’autres termes, l’Etat est tenu de notifier sa décision à son partenaire 30 jours avant. A défaut, entre immédiatement en vigueur, le principe de la tacite reconduction. En la matière, le concessionnaire (la société Yattassaye) n’a reçu aucune notification. D’où l’arrêt de la Cour Suprême.