En ce début de campagne agricole 2015-2016, il y a une affaire d’engrais qui alimente les débats. Laquelle ébranle le monde paysan. Nous avons décidé de mener une enquête auprès des différents acteurs impliqués dans cette affaire. Il en ressort que ce n’est pas la première fois que des analyses d’engrais sont effectuées dans notre pays. Elles sont faites depuis quatre ans, conformément à l’article 8 du cahier des charges des appels d’offres du Groupement d’intérêt économique UN-SCPC/CMDT/OHVN.
D’après nos interlocuteurs au niveau du GIE, chaque année, il y a 3 passages, pour ne pas dire trois analyses dans 6 labos différents, dont un au Mali (France, Côte d’Ivoire, Hollande, Sénégal). Au moment de notre passage, les résultats de deux passages sur 3 existaient. Selon le cahier des charges, chaque fournisseur livre ses engrais pour des besoins d’analyses. Au total, il y a 22 fournisseurs, tous des sociétés maliennes. Mais il y a 20 dont les engrais fournis sont jugés hors normes. Il s’agit de : DPA, Partenaire Agricole, Souad Distribution, SAD, SMIAS, SOGEFERT, SOMADECO, SOPAM, Toguna AGRO, Ciwara, Afrique Auto, Agrotropic , Sangoye, GDCM, STE Faso Djigui, Alfarouk, STE Haïdara et fils, SICODIT, Arc en Ciel et Toguna SARL.
C’est après que les analyses proprement dites commencent. Les résultats de chaque analyse sont accompagnés d’une lettre adressée à chaque société, pour éventuellement venir récupérer et remplacer la quantité jugée non conforme. Mais, dans la pratique, tout ne se passe pas ainsi. Car, une fois le marché acquis par les fournisseurs, les paysans sont obligés de se «débrouiller» avec les engrais jugés non conformes. Ce qui ne laisse d’autre choix au GIE-UNSCPC que de veiller au grain lors des appels d’offres de l’année suivante. Un autre détail important, les analyses sont faites sur les échantillons pris dans les lots livrés par chaque fournisseur. Elles sont effectuées sous la houlette de la direction nationale de l’agriculture, de commun accord avec le GIE-UNSCPC.
Par ailleurs, notre enquête nous a conduits chez les fournisseurs incriminés, qui n’ont pas voulu nous entretenir, notamment à la DNA et au GIE-UNSCPC qui commandite les analyses. Nous avons pu cependant nous procurer les résultats des échantillons du complexe coton, ceux des échantillons du complexe-céréales ; les résultats des échantillons d’urée. Tous ces résultats sont suivis de tableaux et commentaires, en plus de la répartition des engrais non conformes par type d’engrais, par site et par fournisseur.
Les résultats des analyses
L’équipe de la direction nationale de l’agriculture a déjà délivré les résultats du premier et du deuxième passage de l’analyse des échantillons d’engrais prélevés, à la demande du GIE-UNSCPC, dans la zone CMDT/OVHN. Les analyses ont montré que 44% des échantillons du complexe coton, 2% des échantillons du complexe (céréales) et 58% des échantillons d’urée sont hors normes. Ce qui veut dire qu’il y a des éléments qui manquent à ces engrais pour être de bonne qualité.
Dans ce cas de figure, les fournisseurs se doivent de venir récupérer et remplacer la qualité jugée non conforme. Selon les analyses, beaucoup d’insuffisances ont été constatées dans les aspects physiques (prise en masse, faible aération des magasins, absence des palettes dans certains magasins, etc.). C’est après ces constats que le GIE-UNSCPC a demandé aux fournisseurs de retirer des magasins CMDT/OHVN les quantités d’engrais non conformes. Suivant les commentaires des laboratoires, les quantités d’engrais de mauvaise qualité sont de l’ordre de 3404 tonnes dont 27,34% fournies par Toguna, 19,97% par SOMADECO et 8,63% par DPA. En somme, plus de 50% des engrais jugés non conformes ont été fournis par Toguna et SOMADECO.
Le duel Toguna-SOMADECO
Toguna Agro-industries veut en réalité avoir le monopole dans la livraison des engrais aux paysans maliens. C’est de bonne guerre ! Mais en voulant l’obtenir par tous les moyens, cette société se heurte à sa rivale SOMADECO. Laquelle a eu cette année 505 tonnes en complexe coton ; en urée, 175 tonnes, soit 680 tonnes d’engrais à livrer. Pour sa part, Toguna AGRO a eu 411 tonnes en complexe coton, 45 tonnes en complexe céréales ; ce qui fait 456 tonnes. La grosse part du marché revient donc à SOMADECO. Il n’y a visiblement pas de match entre les deux sociétés.
Il était loin de connaître les ficelles de cette histoire. Bafitigui Diallo, député RPM élu en commune VI, s’est mêlé à un combat sans chercher à trop savoir. Il aurait dû se poser certaines questions avant de fourrer son nez dans cette affaire. Comme par exemple : pourquoi la majorité à l’Assemblée nationale a refusé l’interpellation du ministre du Développement rural ? Bafitigui Diallo devrait aussi répondre à cette question : Pourquoi n’est-il pas allé voir les paysans, le GIE-UNSCPC ou encore le président de l’APCAM, lui qui a mis au grand jour ce scandale des engrais frelatés ?
En bon député de la majorité présidentielle, il devrait aussi prendre contact avec le ministère du Développement rural. Mais son action a été trop téléphonée. Comme par hasard, il a été élu en commune VI, et Toguna a son siège social en commune VI. Tout le monde connaît ses relations avec cette société. Il lui a manqué de méthodologie dans sa démarche. Même l’IER l’aurait aidé à comprendre ce qui se passe. Ainsi, il aurait compris que c’est un Groupement d’intérêt économique (GIE) qui a partagé le marché de fourniture des 209 000 tonnes d’engrais, pour la campagne agricole 2015-2016 aux sociétés incriminées. Mais lui seul sait ce qu’il a fait et pour quel but.
La commande pour la campagne
Ces appels d’offres sont respectivement relatifs à la fourniture de complexe coton (99 000 t), de céréales (37 000 t) et d’urée (73 000 t). Seize sociétés ont exécuté le marché du complexe coton ; 8 ont fait celui des céréales et 22 autres ont gagné «la bataille» de l’urée. Pour le complexe coton, le GIE a décidé d’attribuer le marché à 16 sociétés ainsi qu’il suit : 4000 t octroyés à Afrique-Auto ; 25 310 t à Toguna Agro ; 21 000 t à la Somadeco ; 400 t à Agro Tropic ; 1500 à la société ; 11 000 à DPA ; 17 325 t à GDCM ; 2386 t à Mamadou Simpara.
Le Partenaire agricole s’est contenté de 4000 t ; Sad 1500 t ; Sangoye 1060 t ; la Sotracom 600 t ; Smias 500 t ; Sogefert 5569 t ; 500 t pour la Sopam et 2340t octroyés à Souad Distribution. Pour l’urée, Bakary Togola a attribué le marché à 22 sociétés : 699 t à Afrique-Auto ; 5000 à Alfarouk Service ; 1000 à Arc-en-ciel ; 1000 à Ciwara ; 4344 à GDCM ; 2000 à Hydrochem-Mali ; 1074 à Kaos ; 700 t à Mamadou Simpara ; 574 t à Olam ; 8000 à PKM ; 4000 à Sad ; 3500 à Sangoye ; 641 à Sedicom ; 7000 à SFD ; 500 à Sicodit et à Sim Trading ; 1500 à Smias ; 1645 à Sodafi ; 10 000 à la Somadeco ; 3500 à Sopam ; 695 à la Société Haïdara et fils et 15 129 à Toguna-SARL. Pour les céréales, Bakary Togola, à travers son GIE, a adjugé le marché à huit sociétés : Agro Tropic 500 t ; GDCM 5000 t ; Mahamadou Simpara 500 t ; Sad 500 t ; Sangoye 4000 t ; Sogefert 5000 t ; Somadeco 7000 t ; et Toguna Agro 14 000 t. L’avis d’adjudication de ces différents appels d’offres a été signé par le président du GIE, le 4 octobre 2014 à Bamako.
Kassim TRAORE
Source: Le Reporter