La casserole que traîne le régime– contrats d’armement surfacturés– n’a pas fini de faire jaser à Bamako. Cette affaire et celle de l’avion présidentiel qui ont valu au Mali (en juin 2014) la suspension des aides budgétaires de ses bailleurs internationaux, continuent de faire saigner les caisses publiques. En effet, l’Etat vient d’être condamner par la section administrative de la Cour suprême à payer plus de 25 milliards de francs CFA (dommages et intérêts inclus) à la société Guo-Star. La « sentence » a été prononcée, le 25 janvier dernier. Encore une sombre affaire de sous qui ébranle le Mali.
C’est l’épilogue ! Guo-Star a remporté la partie devant la plus haute juridiction du pays, au détriment de l’Etat du Mali condamné à restituer près de 25,2 milliards comptant pour le reliquat du montant du protocole de fournitures de matériels militaires passé entre le ministère de la Défense et la société. Par la même sentence, la Section Administrative de la Cour suprême a estimé à plus de 206 millions les incidences de l’affaire en termes d’intérêts bancaires infligés au fournisseur, et les dommages causés ont été chiffrés à la rondelette somme de 600 millions FCFA. Ce sont au total 25,9 milliards francs CFA que le trésor public va devoir intégrer dans ses calculettes.
Tout à commencer en 2013. Les impératifs de dotations des forces armées maliennes engagées dans les opérations au nord et celles formées par la Mission d’entrainement de l’Union européenne (EUTM), ont servi de motivation au ministère de la défense et des anciens combattants (Mdac) pour mettre en place une politique d’équipement. Ainsi, le Mdac a effectué (entre novembre 2013 et février 2014) des acquisitions d’un montant total de 87, 77 milliards de FCFA, dont 18,59 milliards de FCFA pour l’acquisition d’un aéronef et 69,18 milliards de FCFA pour la fourniture d’équipements et matériels destinés aux forces armées. Très rapidement, le terme de « surfacturation » apparaît. En mars 2014, un scandale historique éclabousse la République sous la couleur de sommes faramineuses injectées dans des matériels d’Habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (Hcca) ainsi que de véhicules et de pièces de rechange. Ecœurés et prompts à sévir, le Fmi et la Banque mondiale avaient suspendu leur appui budgétaires. Ils sont imités par plusieurs institutions et organismes internationaux. Au fil des évènements, les Maliens apprendront que des dizaines de milliards avaient été détournés. C’est le Bureau du Vérificateur général, commis sur exigence du Fmi, qui découvre le pot aux roses. À travers une vérification minutieuse de la conformité et de la performance de l’acquisition de l’aéronef et des matériels Hcca, le Végal a éventré toutes les stratégies mises en œuvre par les magouilleurs pour sucer le sang du contribuable malien. Dans son rapport 2014, le Vérificateur général est formel : le Mdac et le Mef (Ministère de l’économie et des finances) ont irrégulièrement passé les deux contrats d’acquisition et de fourniture. Extrait du rapport : « En l’absence d’un Cahier des clauses techniques générales, comme partie intégrante du protocole, prenant en charge les spécifications techniques correspondant aux commandes, l’efficacité de la fourniture n’est pas assurée. Ce faisant, l’autorité contractante ne dispose d’aucun moyen légal pour rejeter des livraisons rendues non-conformes. Aussi, le Mdac ne s’est pas assuré de l’existence de crédits budgétaires avant le lancement des deux acquisitions, contrairement à l’alinéa 3 de l’article 29 du Cmp-Dsp qui indique que le lancement d’une commande est subordonné à l’existence de crédits budgétaires. Pourtant, ni le protocole d’accord, ni le contrat d’acquisition de l’aéronef ne comportent d’indication budgétaire prouvant la disponibilité de crédits avant leur conclusion (…) Le Mdac a signé et/ou donné, par entente directe sans aucune motivation formelle, un protocole d’accord pour la fourniture de matériels militaires, un mandat de recherche exclusif à une société en qualité de Conseiller du Gouvernement et un Contrat de Cession-Acquisition d’aéronef. Le mandat et le protocole d’accord ont tenu lieu de contrat ».
Le titulaire du marché n’a pas pu honorer son engagement contractuel en ne parvenant pas à mobiliser le financement, le ministre de l’économie et des finances, Bouaré Fily Sissoko, avait fourni une garantie autonome à première demande de 100 milliards de FCFA à la banque de ce dernier pour assurer le financement de la fourniture des matériels et équipements, objet du protocole. Or, dans le cadre d’un marché public lorsque la nature le requiert, la garantie est toujours fournie par le titulaire et non l’autorité contractante à fortiori une autorité qui n’est pas partie prenante du protocole d’accord. Cette pratique constitue une distorsion aux principes de la commande publique.
Par ailleurs, il a été relevé l’existence de deux protocoles d’accord, tenant lieu de contrat, signés le 11 novembre 2013, soit à la même date, d’une part, par Sidi Mohamed Kagnassy et d’autre part, par Amadou Kouma pour le compte de la Société « Guo Star », titulaire du marché. Le premier habilité par la Présidence de la République du Mali, à travers le Mandat n°0001/D.CAB-PR du 5 novembre 2013, pour « traiter avec tout fournisseur et intermédiaire que ce soit, des affaires d’équipement des forces de défense et de sécurité maliennes », n’a aucun lien avec ladite société comme établi par ses statuts. Le second signataire, bien que détenant 30% du capital social, a agi en lieu et place du gérant de la société légalement déclaré au greffe du tribunal de commerce de Bamako sans un acte l’y autorisant.
Aussi, le protocole d’accord, faisant office de contrat dans le cadre de la fourniture de matériels Hcca, n’a pas été visé par le Contrôleur financier en violation des dispositions de la Loi de Finances de 2014 et du Décret n°97-192/P-RM du 9 juin 1997, abrogé, portant règlement général de la comptabilité publique. De plus, il n’a pas fait l’objet d’enregistrement, ni au Secrétariat Général du Gouvernement, ni au service des Impôts. Par conséquent, le Trésor public a été privé de l’encaissement de 2,07 milliards de FCFA de droits d’enregistrement et l’Autorité de Régulation des Marchés publics et des délégations de service public de 345,92 millions de FCFA de redevance.
Plus scandaleux ! Il a été relevé l’implication des intermédiaires dont l’opportunité n’est pas démontrée. Cette pratique a eu pour effet d’augmenter les coûts d’acquisition de 29,31 milliards de FCFA (dont 5,19 milliards de FCFA de frais bancaires) payés à la société « Guo Star », en sus du coût d’acquisition d’un montant total de 39,87 milliards de FCFA.
Que du gâchis !
Face aux preuves palpables de surfacturation, les autorités font amende honorable devant le Fmi, qui accepte de lever ses sanctions, mais à la condition sinequa non que le président IBK sévisse : publier les audits pour le peuple malien et le Fmi lui-même, sanctionner les agents indélicats, faire tomber des têtes au sommet. Ainsi, l’affaire avait commercé à faire des victimes… jusque dans le cercle rapproché du chef de l’État. Dans un premier temps, le chef de l’Etat a chassé du gouvernement des ministres cités dans le dossier: SoumeylouBoubèyeMaiga, ex-ministre de la Défense; Madame Bouaré Fily Sissoko, ex-ministre des Finances; Mahamadou Camara, ex-ministre de la Communication, et Moustapha Ben Barka, ex-ministre des Investissements. Dans la foulée, Sidi Mohammed Kagnassy, conseiller spécial d’IBK, avait rendu le tablier …
Hélas, la suite des évènements a donné raison à ceux qui avaient compris le jeu. Si Ben Barka a trouvé un lot de compensation en devenant secrétaire général adjoint de la présidence, les autres s’en tirent généralement moins bien. Ainsi, Mahamadou Camara a repris la plume tandis que Boubèye, fort de ses relations, s’était trouvé une mission internationale, avant de devenir secrétaire général de la présidence, puis Premier ministre. Qui dit mieux !
Au même moment et malgré les injonctions du FMI de défalquer le montant de la surfacturation (29 milliards) sur les 69 milliards du contrat, Guo Star est resté de marbre. « On ne renoncera pas à un centime car nous n’avons pas d’injonctions à recevoir du FMI… », avait martelé Me Kassoum Tapo. « C’est un marché régulier, pur et sans aucune tâche… », précisait Malick Ibrahim Maïga. Tous les deux, conseils de la société, ont toujours réfuté les accusations de surfacturations. « Si l’Etat ne paye pas à l’amiable, nous intenterons un procès… », disaient-ils. Une menace finalement mise en exécution. Résultat : l’Etat doit encore puiser dans ses maigres caisses.
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Source: L’Aube