Tenez-vous bien ! En février-avril 1993, elle a ouvert les hostilités contre le gouvernement. La crise scolaire connaît des développements graves et atteint son point culminant avec la démission du Premier gouvernement de la troisième République, le 9 avril 1993.
Les 15 et 16 février, les étudiants de l’Institut polytechnique rural (IPR) de Katibougou saccagent la direction de leur école et la résidence du gouverneur de la région de Koulikoro, incendient les archives du gouvernorat et de la direction régionale du plan et de la statistique, endommageant de nombreux véhicules appartenant à des fonctionnaires.
Les 22 et 23 février, les militants de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), pour protester contre la décision de fermeture de l’Institut polytechnique rural de formation et de la recherche appliquée (IPR/IFRA), investissent les locaux du ministère de l’Éducation nationale, bloquent les deux (02) ponts de Bamako, allument des feux dans toute la ville, bref paralysent les activités de la capitale pendant une grande partie de la journée. Une jeune fille qui voulait traverser le fleuve trouve la mort dans le naufrage d’une pirogue.
La crise scolaire prend une tournure politique avec les évènements du 5 avril. Ce jour-là, arguant du fait que le gouvernement a donné sa bénédiction pour l’organisation d’un congrès parallèle de l’AEEM, les scolaires ouvrent les hostilités. Plusieurs édifices publics et privés sont saccagés et brûlés: le siège de l’Assemblée nationale, les sièges de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ) et de l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (US-RDA), le bâtiment du ministère des Mines, les domiciles privés du président de la République, du ministre de la Défense et du ministre de l’Éducation nationale, le siège de la Coopérative Jamana, les locaux du journal «Les Echos», etc. La crise scolaire a ébranlé les institutions de la République.
Le 9 avril, le Premier ministre Younoussi Touré remet au président de la République la démission collective du gouvernement qu’il avait formé dix (10) mois plus tôt, jour pour jour, c’est-à-dire le 9 juin 1992. La gravité de la crise a été décrite par le chef de l’État en ces termes: «La situation ne concerne ni un homme, ni un régime. Elle attaque les fondements mêmes de la République et de la démocratie. C’est l’intégrité de l’État et la sécurité intérieure qui sont menacées aujourd’hui». Et pourtant, à dire vrai, c’est le parti ADEMA-PASJ qui aurait une part de responsabilité dans le financement des activités de l’AEEM. Au demeurant, elle fut son armée rouge.
Match Mali-Togo dans la violence
Le 27 mars 2005, la défaite de l’équipe nationale de football du Mali contre celle du Togo, dans un match comptant pour la qualification à la phase finale de la coupe du monde et de la coupe d’Afrique des nations (CAN), sert de prétexte à une foule de mécontents et de vandales qui se livrent à des casses et des pillages dans la ville de Bamako durant une bonne partie de la nuit. Les dégâts sont considérables et n’ont pas manqué de rappeler aux Maliens les journées folles de janvier et mars 1991: artères jonchées de débris de pneus brûlés, enseignes lumineuses et feux de signalisation cassés, boutiques, kiosques, restaurants et bars saccagés et incendiés, édifices publics et monuments endommagés.
Après avoir illustré le phénomène de la violence, il reste à l’expliquer. Les raisons majeures qui pourraient expliquer l’engrenage de la violence ressortissant à la légitimation de la violence, à l’affaiblissement de l’autorité de l’État et au rejet de l’État.
Comment a-t-on pu légitimer la violence comme système au Mali ?
Ce sont les évènements de janvier à mars 1991 qui ont largement contribué à parer les actes de violence du manteau de la légitimité. Pendante la lutte engagée par la rue et les forces sociales organisées contre le pouvoir en place, l’opinion publique était fortement acquise à l’idée suivante: toutes les formes de lutte, qu’elles soient pacifiques ou violentes, organisées ou spontanées, étaient les bienvenues dès lors qu’elles concouraient à faire plier le régime et à favoriser l’ouverture politique.
Ainsi, on avait autant d’admiration pour les initiateurs de la Lettre ouverte adressée au président de la République le 7 août 1990 pour exiger l’instauration du multipartisme. Que d’estime pour les badauds qui occupaient fréquemment la rue et s’attaquaient aux symboles de l’État. On louait autant le courage des militants du Congrès national d’initiative démocratique-Faso Yiriwa Ton (CNID-FYT) et de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ) qui ont pris part à la marche commune du 30 décembre 1990 que la témérité des scolaires qui pillaient et brûlaient sans discernement les édifices publics et les domiciles privés des dignitaires du régime. Le processus de légitimation de la violence a été renforcé par l’attitude de la classe politique propulsée au-devant de la scène après le 26 mars 1991.
Qui étaient les acteurs ? Les organisations de jeunes: Association des élèves et étudiants du Mali (AEM), Associations des diplômés initiateurs et demandeurs d’emploi (ADIDE), Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP), Jeunesse libre et démocratique (JLD) qui étaient largement mêlées aux actes de violence entre janvier et mars 1991, ont littéralement été portées en triomphe, et par les leaders du Mouvement démocratique, et par l’autorité de fait mise en place par les auteurs du «coup d’État».
Les uns et les autres ont magnifié la bravoure, l’abnégation et le sens du sacrifice de la jeunesse qui ont rendu possible la victoire du peuple sur la dictature. Ce concert d’éloges, ajouté à la désignation des responsables de ces organisations dans le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), l’instance dirigeante du pays pendant la période de transition, a fini par convaincre l’opinion publique que la paternité du changement revenait en grande partie à la jeunesse et que ses méthodes de lutte étaient tout à fait acceptables. La légitimation de la violence a fait le lit de l’impunité qui est un facteur aggravant du phénomène de l’engrenage de la violence.
Inter de Bamako