En adoptant, vendredi dernier, la nouvelle loi électorale, le Conseil national de transition (CNT) a décelé, dans la monture initiale du gouvernement, de nombreuses lacunes ; sources d’éventuelles instabilités politiques. Sur les 227 articles qui composent le projet de loi électorale du gouvernement, plus de 200 articles ont fait l’objet de 92 amendements. Un véritable désaveu pour un Choguel K Maïga, chef de gouvernement, qui se voit désormais recadré par l’organe législatif qui n’a pas hésité à lui fixer la ligne rouge à ne pas franchir.
Entre le gouvernement et le CNT, ce vendredi 17 juin, au Cicb, autour du projet de loi électorale, c’était le cap sur le défi du consensus politique à tenir. Le colonel Diaw, président de l’organe législatif, et les membres du CNT, en le faisant, ont réussi à garantir l’inclusivité de la loi électorale.
Pour ce faire, il a fallu aux membres du CNT d’écouter environ 87 entités et 260 personnes issues de la classe politique, la société civile, des leaders religieux, de la diaspora et beaucoup d’autres experts acquis à la technique électorale.
D’où les raisons des nombreux amendements introduits sur la quasi-totalité des articles, initialement contenus dans le projet de loi, tel qu’il avait été formulé par le gouvernement et déposé sur la table de l’organe législatif. Voilà pourquoi, sans une dose d’ironie, certains observateurs n’ont pas hésité à qualifier la nouvelle loi électorale adoptée de « loi écrite par le CNT ».
A partir de là, de supputations en approximations sur le projet de loi électorale du gouvernement, on a conclu, dans les coulisses, que l’intention inavouée du chef du gouvernement, qui s’était fait la part belle dans les attributions des postes les plus sensibles de l’instance directionnelle chargée d’organiser les élections, était d’arriver à une « caporalisation du système électorale au profit d’un homme et de son clan ».
Et ce n’est pas le président de la commission loi du CNT, Souleymane Dé, qui dira le contraire. Ni pour le très accrocheur Nouhoum Sarr, également membre du CNT, qui laisseront tous d’eux entendre, lors des discussions houleuses, dans la salle, qu’il est important pour nous de « disposer d’un texte à la dimension du Mali et non pour un homme ou un clan ».
L’Aige et ses zones d’ombre
Dans la foulée des discussions, plusieurs observateurs ont détecté dans l’attitude du chef du gouvernement non seulement une volonté manifeste d’affaiblir le ministère de l’Administration territoriale au profit de l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) dans le processus électoral, mais aussi une tentative de caporalisation de cet organe.
Eh bien ! Dans les faits, cette tentative de hold-up électoral fut stoppée tout net. Les amendements proposés de l’article 52 à l’article 72 du projet de loi sont passés par là. Selon les avis éclairés, ces modifications à la loi ont été motivées par le rétablissement de la commission administrative et des attributions du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation dans l’architecture organisationnelle des élections.
En somme, un énorme camouflet au Premier ministre qui s’était initialement offert, aussi bien dans la composition de l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) que dans son mode de désignation, un pouvoir démesuré au détriment du président de la transition lui-même. Voilà qu’il a été recadré et désapprouvé par le CNT.
En effet, dans le projet de loi du gouvernement, tel qu’il a été conçu, en son article 6, il est stipulé que « le Collège, organe délibérant de l’autorité, comprend neuf (9) membres recrutés par appel à candidature sur la base des critères de compétence, de professionnalisme et de probité dans les domaines juridique, informatique, financier et des télécommunications ». Plus loin, il est annoncé qu’un « décret pris en Conseil des ministres détermine les profils, les conditions et la procédure de sélection des membres du collège de l’Aige ». Et qu’une « une commission de sélection composée de 7 personnalités indépendantes, neutres, et intègres, dont 4 désignées par le Premier ministre et les trois 03 autres par le Président de l’organe législatif est constituée ». On en conclut « qu’après enquête de moralité, les membres de la commission de sélection sont nommés par décret pris en Conseil des ministres sur présentation du dossier par le Premier ministre ». Cette disposition a été entièrement biffée.
En conséquence, dans son 6ème amendement, le CNT, lui, dans sa sagacité, propose : « Le Collège, organe délibérant de l’Autorité, est composé de 15 membres désignés sur la base des critères de compétence, de probité, de bonne moralité, d’impartialité ainsi que de jouissance des droits civiques et politiques. Il comprend des représentants des pouvoirs publics, des partis politiques et de la société civile, à raison de 8 membres pour les pouvoirs publics, 4 pour les partis politiques et 3 pour la société civile. Les membres représentants pour les pouvoirs publics sont désignés comme suit : trois (3) par le chef de l’Etat ; un (1) par le Premier ministre ; deux (2) par le Président de l’organe législatif ; un (1) par le président du Haut conseil des collectivités ; un (1) par le président du Conseil économique, social et culturel».
La suite, on la connait : « Les membres représentants les partis politiques et la société civile sont désignés selon les modalités fixées par ces institutions ou organismes », avant de préciser que les « membres du Collège sont nommés par décret pris en Conseil des ministres sur présentation du dossier par le ministre de l’Administration territoriale ou tout autre ministre délégué à cet effet, pour un mandat de 7 ans non renouvelable ».
Selon le CNT, cet amendement est motivé par « le souci d’élargir le collège de désignation aux institutions, aux partis politiques et à la société civile ». Mais plus nettement, et selon les mauvaises langues, il apparait comme un cuisant désaveu au hold-up électoral planifié par le chef du gouvernement.
Le piège de trop évité de justesse
Dans une manœuvre dilatoire savamment orchestrée pour des desseins inavoués, le gouvernement avait voulu accorder aux futurs membres de l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) une immunité presque parlementaire. Cette astuce est ainsi énoncée dans l’article 40 de son projet : « Les membre du Collège de l’Aige bénéficient de l’immunité et ne peuvent être poursuivis, recherchés, arrêtés ou jugés du fait des opinions ou de votes émis dans l’exercice de leurs fonctions. Aucun membre du Collège de l’Aige ne peut, dans le cadre de l’exercice de son mandat, être poursuivi ou être arrêté en matière criminelle, sauf cas de flagrance ».
Mise sous la loupe des membres du CNT, pour ne pas être pris de mauvaises surprises, cette disposition a été littéralement balayée de la nouvelle loi électorale. Un piège de trop qui venait d’être mis sous les boisseaux. La protection juridique appropriée qui fut trouvée en la matière est ainsi énoncée, dans des termes non équivoques : « Les membres de l’Aige ne peuvent être poursuivis ou inquiétés pour les avis émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions».
Le ministère de l’Administration territoriale est bien présent
L’article 55 du projet de loi du gouvernement énonçait « que les listes électorales soient établies ou révisées dans chaque commune, ambassade ou consulat par une commission d’établissement et de révision créée par décision du Coordinateur de l’Aige dans le district de Bamako, dans les juridictions d’ambassade ou consulat ». Et que « chaque commission d’établissement et de révision est composée de membres désignés par l’Aige et les partis politiques ». Cet article non plus n’est pas passé. Il a été tout simplement rayé.
L’amendement 34 du CNT, qui contre-indique, prévoit que « les listes électorales soient établies ou révisées dans chaque commune, ambassade ou consulat par une commission administrative créée par décision du représentant de l’Etat dans l’arrondissement ou dans le District, dans l’ambassade ou dans le Consulat ». Cela, dit-on, dans le but de rétablir les attributions du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation dans la révision annuelle des listes électorales.
Aussi, l’article 57 du projet de loi a fait l’objet d’amendement. Il stipulait qu’au titre des partis politiques, la commission d’établissement et de révision est composée d’un représentant de chaque parti politique présent dans la commune, l’ambassade ou le consulat. Que chaque représentant de parti est secondé par un suppléant qui le remplace en cas d’absence ou d’empêchement. « Les partis politiques sont invités par le Coordinateur de l’Aige dans la commune, le District, l’ambassade ou le consulat, au plus tard 15 jours avant le démarrage des opérations de révision, à désigner parmi les électeurs de la commune, de l’ambassade ou du consulat, les noms de leurs représentants titulaires et suppléants. Ces noms sont communiqués au Coordinateur de l’Aige dans la commune, le District, dans la juridiction d’ambassade ou de consulta au plus tard 7 jours avant le démarrage des opérations de révision.
Ledit article est ainsi amendé : « au titre des partis politiques, la commission administrative est composée d’un représentant de chaque parti politique présent dans la commune, l’ambassade ou le consulat. Chaque représentant de parti est secondé par un suppléant qui le remplace en cas d’absence ou d’empêchement. Les partis politiques sont invités par le représentant de l’Etat dans l’arrondissement, l’ambassadeur ou le consul, au plus tard 15 jours avant le démarrage des opérations de révision, à désigner parmi les électeurs de la commune, de l’ambassade ou du consulat, les noms de leurs représentants titulaires et suppléants. Ces noms sont communiqués au représentant de l’Etat dans l’arrondissement, ou dans le District, dans l’ambassade ou de consulta au plus tard 7 jours avant le démarrage des opérations de révision.
Là aussi, en définitive, on voit plus nettement que l’amendement porté par le CNT à cet article confus du projet de loi électoral est bien motivé par le souci de rétablir les attributions du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation dans la révision annuelle des listes électorales.
Pas à pas, détours par détours, les manœuvres distillées dans le projet électoral, tel qu’il a été présenté par le gouvernement pour assurer un contrôle savant du processus électoral, ont été décelées et tout simplement balayées dans l’architecture électorale du pays.
A Malin, malin et demi, dit-on…
Oumar KONATE
Source : La Preuve