Tirer les leçons du passé pour éviter de terribles erreurs futures
La cause est entendue. Bamako est résolu à dénouer toutes les ficelles de la coopération militaire insatisfaisante qui le lie à la France. Déjà sur le départ, l’armée française, force peu probante et fortement décriée au sein de l’opinion malienne, est l’objet de l’anathème des autorités maliennes qui l’accusent désormais « d’espionnage » et de « subversion ». Un divorce presque déjà consommé qui permet au Mali d’affermir ses liens avec un autre partenaire réputé « plus fiable » et plus efficace. Mais attention ! Il ne faut surtout pas se défaire d’un partenariat à qui l’on a fait un long procès en « ambiguïté, néocolonialisme et jeux troubles » pour aller précipitamment vers une nouvelle alliance dont on ne connaît que peu les contours. Vivement donc toute la transparence sur tous les points de l’accord militaire avec la Russie. Cela évitera bien des non-dits et bien des erreurs futures.
Dans la logique de la retentissante procédure de divorce qu’il a engagée depuis des mois d’avec la France, le Mali vient de faire un pas supplémentaire vers la porte de la séparation et des « adieux » sans regrets. Déterminées à aller jusqu’au bout du bout du clash qu’elles estiment libérateur et refondateur pour la Nation Vert-jaune-rouge, les autorités maliennes ont pris la ferme option de « dénoncer » (traduction : casser) les accords de défense qui lient Bamako et Paris. Une décision aussitôt vivement applaudie par tous ceux et celles (ils/elles sont des millions) qui voient là la reconquête accélérée et « sans peur » du champ de la souveraineté nationale trop longtemps hypothéquée par ce qu’ils considèrent comme une duplicité systématique de l’ex-puissance coloniale.
Exit donc la France avec ses ramifications que sont Barkhane et Takuba ! Et vive la nouvelle alliance renforcée avec la très-puissante Russie qui s’illustre comme une partenaire plus fiable et plus efficace ! C’est le nouveau pari géostratégique des colonels qui sont à la tête de notre pays et dont l’ambition première est d’écraser la fourmilière jihadiste qui dévaste la patrie depuis des années. Ainsi, ayant éconduit la France sans ménagement, le Mali s’engage dans une coopération militaire qui semble « tout bénéfice » avec Moscou. Bien entendu, à l’épreuve des faits très récents et actuels, il est indéniable que l’apport militaire russe permet progressivement à l’armée malienne d’asséner des coups de plus en plus décisifs aux hordes terroristes. Dans le centre du pays, l’action jumelée des FAMAs et des unités russes est en train de réduire la force de nuisance des groupuscules jihadistes qui, en maints endroits, se voient contraints de revoir leurs criminels objectifs à la baisse.
Pour autant, le Mali se doit, avant de pousser loin dans cette nouvelle alliance, de tirer les leçons (toutes les leçons) du passé afin de ne pas retomber dans les mêmes erreurs des non-dits et des contours contractuels opaques. Avec nos alliés russes, la transparence imbibée de précisions doit être la boussole du partenariat scellé. De A à Z, du premier à l’ultime alinéa, virgule par virgule… tous les termes de l’accord entre notre Etat et la Russie doivent être tracés à l’encre tricolore de la netteté-clarté-vérité.
Car, « le diable » étant « dans les détails » et le démon prospérant dans l’opacité, il faut éviter que le pacte russo-malien ne soit une répétition à peine modifiée des mêmes zones d’opacité et des mêmes chapitres d’ambiguïté qui ont permis à la France de tenir Bamako sous le joug néocolonial pendant des années. A présent, la meilleure approche pour le Mali est donc celle-ci : si l’on est parvenu à se délier d’un contrat léonin imposé par la France, il nous faut nous assurer de ne pas avancer dans un contrat miné de flous avec d’autres partenaires, si performants soient-ils.
Au nom de ce principe de clarté dans toute coopération, principe qui a fait tant défaut par le passé et qui a soumis notre patrie à tant d’humiliations, il devient nécessaire d’associer le peuple malien aux tenants et aboutissants du contrat que le pays a noué avec la Russie. Nature et conditions des accords, contreparties, rayons d’actions etc. ; plus le peuple sera tenu informé des chapitres entre le Mali et ses partenaires, mieux les pièges seront évités. Les concitoyens ont d’autant plus le droit d’être imprégnées des détails des accords signés par nos dirigeants, que, chaque fois qu’ils sont sur la défensive sur un sujet majeur, nos gouvernants font justement appel à la mobilisation populaire des Maliens pour tenir face aux « pressions exogènes ».
Rompre définitivement avec les pratiques désavouées du passé est, de l’aveu de nos autorités actuelles elles-mêmes, la boussole de leur conduite pour « une gouvernance vertueuse » au profit de tous les Maliens. Soit. Mais pour que cette affirmation ne demeure pas à l’état de simple discours, il est plus que jamais nécessaire d’éclairer les nouveaux accords de défense qui engagent l’avenir de la Nation avec les projecteurs de la transparence la plus totale. Car, notre histoire récente nous l’a suffisamment appris : tout ce qui se fait au nom du peuple malien mais à l’insu du peuple malien, a toutes chances d’être rejeté par le peuple malien.
MAMOUDOU SIDIBÉ
Source: Les Échos- Mali