L’émir d’Aqmi oscille entre brutalité sans pareille et modération. Son organisation, en proie à de profondes dissensions internes, cherche à se relever de la déroute essuyée par ses jihadistes au Mali. Mais la menace Aqmi ne s’est pas dissipée. L’homme qui la dirige, malgré son isolement, est un stratège, résolument tenace et optimiste.
Abdelmalek Droukdel est né à Meftah, dans la banlieue d’Alger, en 1970. Son père est membre d’une coopérative agricole, sa mère est femme au foyer. Adolescent, il fréquente régulièrement la mosquée de sa commune, et rejoint le Front islamique du salut dès sa création en 1989. Il poursuit ensuite des études de chimie à Blida, mais ses soirées sont surtout consacrées aux réunions clandestines préparatoires au jihad. Droukdel devient ensuite l’un des artificiers du Groupement islamique armé (GIA) qu’il rejoint dès sa création en 1993, et en franchit rapidement les échelons. Fasciné par le chef d’al-Qaïda en Irak, il décide d’adopter le même nom de guerre que feu Abou Moussab al-Zarqaoui. A une différence près. Il choisit certes Abou Moussab, qui signifie, littéralement, « l’homme des missions difficiles », mais au lieu de Zarqaoui, « le dur », il préfère Abdelwadoud, c’est-à-dire « le clément ».
Visé par des sanctions depuis 2007
En dépit de son alias, Droukdel n’a toutefois rien d’un clément. Les bombes qu’il a fabriquées ont tué des centaines de civils dans des lieux publics en Algérie, indique l’Organisation des Nations unies dans sa fiche consacrée à l’émir, visé par des sanctions depuis 2007. C’est surtout en raison de son soutien à al-Qaïda que Droukdel est recherché par Interpol.
Co-fondateur du GSPC ( Groupement salafiste pour la prédication et le combat) en 1998, l’homme au visage joufflu et aux dents longues devient l’émir de l’organisation en 2004. Il ne tarde pas à mesurer le parti qu’il peut tirer d’un rapprochement avec al-Qaïda. Le 11 septembre 2006, il fait allégeance à Oussama Ben Laden et baptise son organisation al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) l’année suivante.
Après les attentats contre le World Trade Center du 11 septembre 2011, l’appellation al-Qaïda permet à Droukdel d’aspirer plus facilement des recrues en Algérie, mais également au Maroc, en Mauritanie, en Libye, au Niger et en Tunisie. Il gagne aussi l’attention des médias, dont l’homme a saisi l’importance stratégique. Il épouse, en outre, le mode opératoire de la maison mère, communique à tout crin, surtout par le biais d’internet, et fait basculer Aqmi dans une mouvance internationaliste. Il revendique, parmi d’autres, le triple attentat d’Alger en 2007 qui a fait 33 morts et 245 blessés, supervise des attaques suicides contre des opérateurs économiques et des intérêts étrangers, et encourage son lieutenant Abou Zeïd à se lancer sur la voie des prises d’otages crapuleuses dans le Sahel, une source importante du financement d’Aqmi. Enfin, respectueux des consignes d’al-Qaïda, il menace régulièrement la France, qui participe à la coalition emmenée par l’Otan en Afghanistan.
Interpellé par le printemps arabe et la capacité de la rue à faire tomber des régimes, Droukdel félicite les insurgés et publie moult communiqués. Plus par pragmatisme que par idéologie, il prône parfois la modération, convaincu de la nécessité de rallier les communautés à la cause d’Aqmi. C’est ce qu’il écrit noir sur blanc dans sa feuille de route pour le Mali en juillet 2012. Mais sur ce point comme sur d’autres, ses hommes l’ignorent. Traqué, isolé, reclus vraisemblablement en Kabilye, il perd le contact avec le terrain. Ses chefs de brigades, à commencer par Mokhtar Belmokhtar, font fi de ses directives.
Une saignée au sein d’Aqmi
La sécession de Belmokthar, au-delà des centaines de combattants tués lors de l’opération Serval au Mali, est une saignée pour Aqmi. Droukdel, c’est manifeste dans ses écrits, garde une profonde amertume de l’impertinence de ses lieutenants. Il ressort par ailleurs des documents d’Oussama ben Laden saisis lors du raid des Navy Seals en mai 2011 à Abbottabad au Pakistan, que l’ancien chef d’al-Qaïda était globalement satisfait d’Aqmi. Droukdel de son côté, demeure loyal et admiratif envers la maison mère, qui pourtant, il s’en plaint, le néglige. « Nous n’avons reçu que très peu de messages de nos émirs au Khorasan [une région qui couvre entre autres Afghanistan et Pakistan, ndlr] depuis que nous avons prêté allégeance », se lamente-t-il dans une lettre adressée à Belmokthar en octobre 2012, se comportant comme un enfant qui souffre du manque d’attention de ses parents.
Cela dit, Droukdel demeure résolument optimiste. Son groupe, affaibli par les rivalités internes, doit désormais composer avec des organisations concurrentes. Il a essuyé des coups au Mali, mais en septembre 2013, il lance une nouvelle offensive au Maroc, à l’aide, une fois de plus, de la vidéo, et d’un nouveau compte twitter.
Par Nicolas Champeaux rfi.fr