Selon divers sondages d’opinion, les Maliens sont toujours fiers de leur armée et prompts à lui faire la fête. Mardi dernier, pour leurs cinquante-quatre ans d’existence, les FAMa (Forces armées maliennes) ont encore eu droit à cette marque d’estime populaire qui se perpétue tous les 20 janvier. Cependant, pour la troisième année consécutive, le Mali a célébré la fête de son armée. Pour la troisième fois consécutive, cette commémoration est perçue comme une incongruité. Pour plusieurs raisons.
En premier lieu, le Mali dispose d’une armée que beaucoup de Maliens espèrent toujours républicaine malgré les écarts du 26 mars 1991, du 22 mars, du 30 avril et du 1er mai 2012. Malgré les nombreuses mutineries et réclamations de la troupe. Mais aussi républicaine qu’elle est, cette armée ne parvient toujours pas, pour la troisième année consécutive, à exercer sa souveraineté sur toute l’étendue du territoire national.
Entre l’armée malienne- mais aussi l’administration et les services de sécurité- et la région de Kidal s’est érigée une muraille de fer et de feu jusque-là infranchissable, une muraille appelée coordination des mouvements de l’Azawad, dirigée par le Mouvement national de libération de l’Azawad, composée également du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (Hcua), de la Coalition des peuples de l’Azawad (CPA) et de la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance 2 (Cmfpr2).
Une coordination qui entend garder le contrôle de toutes les régions septentrionales du Mali, au grand dam de ce pays et d’une certaine partie de la communauté internationale, qui entendent trouver une solution politique à cette crise qui perdure depuis janvier 2012, quand des soldats maliens ont été froidement exécutés à Aguel Hok puis dans d’autres localités du nord.
La crise s’est aggravée quelques temps seulement après, quand les 30 et 31 mars et le 1er avril de la même année, les régions du nord sont tombées comme des fruits trop mûrs dans le cabas de mouvements rebelles terroristes. Est-ce par manque d’une véritable chaine de commandement, consécutif au putsch du 22 mars, que l’armée a opéré des replis stratégiques avant de connaitre la déroute?
Beaucoup d’observateurs, de politiques et de journalistes l’avaient cru à l’époque avant de comprendre, quand l’ordre politique a été restauré, qu’il y a d’autres raisons aux défaites répétées des FAMa : manque de formation et d’entrainement, mauvaise préparation, manque d’équipements, mauvaises conditions de vie et de travail.
Asymétrique mais symétrique aussi
L’Union européenne, à travers un vaste programme de formation de plusieurs contingents des forces armées et de sécurité, a tenté de remédier à cela. Tenté seulement, car les choses ne se sont guère améliorées, et l’armée continue ses replis stratégiques, après des pertes en vie humaine.
Certains ont tenté d’expliquer que c’est parce que les soldats maliens ne sont pas préparés à une guerre asymétrique- faite d’embuscades, d’attentats-suicides, de raids, de lancements de roquettes, d’enfouissements de mines anti-personnel, etc. Ils ont oublié que depuis plus d’une décennie, ces soldats sont formés par des instructeurs américains pour devenir des forces spéciales.
Ils ont oublié également que les affrontements entre soldats maliens et rebelles terroristes n’ont pas toujours été qu’asymétriques. Quand tombaient Kidal, Gao et Tombouctou, et même après sur plusieurs terrains d’opérations, la guerre était bel et bien symétrique, classique, frontale.
En réalité, l’armée ne parvient toujours pas à être une réponse sécuritaire aux nombreuses menaces qui déstabilisent le nord du pays. Les autorités l’ont compris, et c’est la seule raison pour laquelle elles ont consenti à un transfert de souveraineté militaire à la communauté internationale.
Aujourd’hui, l’armée malienne n’est plus la seule armée au Mali, obligée de cohabiter avec une multitude de militaires de nationalités différentes, venus de tous les continents. La question de la défense nationale n’est plus de son seul ressort. Elle ne peut donc exercer de souveraineté totale. Mais est-ce de sa faute ?
A qui la faute ?
Certains le croient, notamment quand ils évoquent les recrutements complaisants et le refus de certains parents de laisser leurs enfants aller se faire massacrer au front.
Ils se rappellent certainement que les putschistes du 22 mars ont agi surtout pour ne pas aller combattre – et, peut-être, mourir- pour la défense et la protection de populations avec lesquelles ils n’ont aucune affinité. Mais, en revanche, ils sont nombreux à croire que les militaires sont les victimes des hommes politiques qui ont fait main basse sur la gestion du pays.
Des hommes politiques qui, par peur d’être renversés par la troupe, ont préféré dépouiller les militaires de tous leurs droits. Récemment encore, un scandale qui n’a pas encore révélé tous ses dessous, implique ces politiques dans des malversations financières qui ont privé les FAMa d’équipements et de matériels adéquats.
Aujourd’hui encore, des familles de soldats tombés sur le champ de l’honneur, qui n’ont pas encore fait tout leur deuil de leurs disparus, regrettent de n’avoir pour seul héritage que 200 Kg de riz et 60 000 F Cfa alors que de nombreuses contributions ont été faites en faveur de l’Armée.
Trois années consécutives après la perte du nord, une armée régalienne et souveraine est une illusion. Or, on ne fête pas les illusions, au contraire on les chasse pour montrer la réalité dans toutes ses dimensions.
La réalité la plus palpable pour l’heure est que l’armée doit prendre pied à Kidal et prendre le contrôle de tout le nord. Et ce, malgré la volonté des pouvoirs publics de trouver une solution politique, parce que même dans ce cas, il ne saurait avoir deux armées voire plus dans le même pays.
Pour le moment, c’est la Minusma qui a compris que l’heure n’est plus aux négociations vaines mais à l’action. La Mission onusienne est passée à l’attaque contre les rebelles terroristes, le week-end dernier. A l’armée nationale de l’imiter.
Cheick TANDINA
Source: Le Prétoire