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A Kédougou, la ruée vers l’or et ses conséquences

Au Sénégal, dans la région de Kédougou de plus en plus d’habitants délaissent leurs activités pour se consacrer à l’orpaillage. Ce qui n’est pas sans conséquences.

Dans la région de Kédougou au Sénégal, la ruée vers l’or commence juste après le crépuscule, lorsque la chaleur est encore supportable. Près du village de Samekouta, des hommes au visage fatigué garent leurs motos en bordure d’un large terrain rocailleux, entouré d’arbres et d’herbes hautes. Leurs vêtements sont recouverts d’une poussière couleur rouille.

La mine artisanale est composée de trous noirs et étroits dans lesquels les mineurs disparaissent d’un bond rapide. Un bruit de fond permanent de marteaux-piqueurs et de générateurs électriques recouvre leurs rares conversations. Ils sont Sénégalais, mais aussi Maliens, Burkinabè, Guinéens…

Cette région du sud-est du Sénégal, l’une des plus pauvres du pays, abrite plus de 20 nationalités. Les étrangers, principalement originaires d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, viennent tenter leur chance, à la recherche de l’un des métaux les plus précieux au monde : l’or.

Des terres spoliées et un environnement pollué

L’exploitation de l’or n’est pas nouvelle dans la région frontalière du Maliet de la Guinée. A une échelle artisanale, elle est pratiquée par les agriculteurs et les villageois depuis des décennies. Mais depuis les années 2010, le secteur aurifère du Sénégal a connu un essor considérable. En quête de revenus plus élevés, les habitants ont commencé à abandonner l’agriculture pour transformer leurs terres en petites mines.

Les immigrants, informés par le bouche à oreille des ressources aurifères de la région, ont suivi en grand nombre.Les sociétés étrangères ont également implanté des mines industrielles et semi-mécanisées, parfois aux dépens de la population locale, qui a vu une partie de ses terres spoliées et son environnement pollué.

Aliou Cissé, allait rechercher de l’or dans les champs entourant son village, Faranding. Il s’étend sur les rives du fleuve Falémé, qui trace la frontière entre le Sénégal et le Mali. Mais selon Aliou, son village a perdu beaucoup de terres après qu’une entreprise chinoise a installé une mine semi-mécanisée à sa périphérie – là où les habitants de Faranding cultivaient des céréales, des légumes ou cherchaient de l’or.

Désormais, les pelles mécaniques travaillent sans relâche pour creuser des monticules de terre orange.

“Depuis près d’un siècle, notre village pratique l’agriculture, l’élevage et l’exploitation de l’or sur ces terres. Nous faisions tout ici et l’entreprise chinoise est venue occuper l’espace”, explique le jeune homme, vêtu de sandales noires et d’un jean.

Le dernier rapport publié par l’Office des statistiques du Sénégal indique que la production d’or s’est élevée à 387,7 milliards de francs CFA en 2020 (590 millions d’euros), un chiffre probablement plus élevé si l’on prend en compte l’ensemble des activités minières informelles.

Mais une grande partie de l’or ne reste pas au Sénégal. Les estimations indiquent qu’environ 90 % sont exportés à l’étranger.

“Ce sont surtout des Maliens et des Guinéens qui achètent l’or”, explique Aliou Cissé, assis sur la rive broussailleuse de la rivière Falémé. Au fil des années, son eau a pris une couleur de boue orange. Selon les riverains cette eau était autrefois limpide.

De là, la côte malienne n’est qu’à quelques centaines de mètres. Un petit bateau en bois transporte les passagers d’une rive à l’autre. Sur son chemin, il croise une structure métallique qui arrive sur l’eau du côté malien. Là, des hommes manient des machines pour extraire les roches du lit de la rivière. C’est le dragage. Encore une autre façon de rechercher de l’or.

Les milliers de litres d’eaux usées, parfois remplis de produits chimiques comme le mercure, déversés par les sociétés minières, contribuent également à la pollution de la rivière Falémé. En conséquence, les villageois le long de la rivière ne peuvent plus utiliser l’eau pour leur bétail, leur culture maraîchère ou leur consommation personnelle.

Les habitants affirment qu’ils reçoivent peu de compensations et que les sociétés minières industrielles n’offrent pas suffisamment d’emplois aux locaux.

Une région frappée par la pauvreté et des craintes

Dans une région où le chômage est important, l’or est devenu une source de revenus indispensable. Mais la plupart des activités d’extraction de l’or se déroulent encore de manière informelle.

Selon Amadou Sega Keita, vice-président du conseil départemental de Kédougou, environ 300.000 personnes travaillent actuellement dans les mines, pour la plupart sur des chantiers artisanaux, voire clandestins. “Là-bas, on trouve des gens titulaires d’un master”, assure-t-il.

Début septembre, une manifestation a éclaté autour de Khossanto, à proximité du site du projet aurifère Sabodala, propriété de la société canadienne Teranga Gold Corporation – le plus grand site minier industriel de la région. Deux personnes ont été tuées et huit blessées lors d’affrontements avec les forces armées, suite à la modification d’un arrêté préfectoral portant composition des commissions locales de recrutement.

Mais ce n’est pas la seule source de colère. Bien qu’elle soit riche en ressources, la région reste frappée par la pauvreté et manque d’infrastructures de base, comme les routes, l’électricité ou les réseaux téléphoniques.

“A quelques kilomètres seulement de la ville de Saraya, vous ne verrez pas d’électricité. Les gens ont l’impression que l’Etat a fermé les yeux sur leurs revendications”, regrette Mahamadi Danfakha, directeur de la radio communautaire de Saraya un district limitrophe du Mali.

Pour Amadou Sega Keita, ce sentiment d’abandon pourrait créer un vide à combler et faire courir le risque d’endoctrinement des populations. “Le déficit économique et social pourrait être un facteur d’intervention des groupes djihadistes”, prévient-il.

Il s’inquiète également du manque de structure sur les sites miniers. Selon lui actuellement, “il n’y a pas de banques, l’argent passe de main en main”.

Amadou Sega Keita redoute que cela conduise à une infiltration d’extrémistes religieux qui pourraient utiliser l’or comme source de financement.

Au Mali, des groupes djihadistes combattent actuellement l’armée malienne, soutenue par les mercenaires russes de Wagner. Le Sénégal partage plus de 250 kilomètres de frontière avec le Mali, une frontière poreuse, difficile à contrôler pour les patrouilles de police et de gendarmerie.

“Les pressions autour de la zone de Kayes au Mali, avec une potentielle avancée de groupes dans cette ville, accentueraient la menace au Sénégal”, selon Paulin Maurice Toupane, analyste à l’Institut d’études de sécurité (ISS Afrique).

Jusqu’à présent, le Sénégal a été épargné par les attaques terroristes et est considéré comme l’un des rares pays stables d’Afrique de l’Ouest. Mais la ruée vers l’or et d’autres réseaux de trafic comme la prostitution, les armes ou les produits chimiques ont accru la vulnérabilité de Kédougou.

Dans le même temps, ces trafics pourraient aussi expliquer pourquoi les groupes jihadistes n’ont pas encore orchestré d’attaques au Sénégal. “Ils disposent d’espaces de retrait tactiques, et le Sénégal représente pour eux un intérêt majeur. Il y a les flux de capitaux, les mouvements d’armes, l’accès à la mer”, analyse Bakary Sambe, directeur régional de l’Institut Tombouctou de Dakar.

Des raisons d’être optimiste

Selon Amadou Sega Keita, la culture et les enseignements religieux sénégalais, dominés principalement par des confréries soufies modérées très influentes, sont incompatibles avec l’extrémisme et les attentats terroristes.”Les terroristes auront du mal à mettre la population de leur côté“, assure-t-il.

Alarmé par la situation dans les pays voisins, le gouvernement sénégalais a également pris plusieurs mesures pour prévenir le terrorisme avant qu’il ne devienne un problème. Dans la région de Kédougou, il a augmenté la présence des forces armées et lancé des projets d’infrastructures.

Mais pour Amadou Sega Keita, l’approche sécuritaire reste encore insuffisante. “Nous avons besoin d’une grande base militaire à la frontière pour montrer à l’ennemi que nous sommes constamment présents”, insiste-t-il.

Obtenir des réponses de la part des autorités est difficile et le sujet semble susciter un malaise. Nos demandes d’interview à la gendarmerie et au ministère de la Défense n’ont pas été concluantes.

Le long de la rivière Falémé, police et forces armées barrent la route à tout journaliste étranger qui tenterait de s’approcher. Seuls quelques habitants ont la possibilité de raconter leur histoire.

DW

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