La France souhaite passer le relais aux forces africaines, ou mieux : à une force onusienne dans les prochaines semaines. Mais le calendrier reste incertain.
Au sommet de l’Etat, on l’assure : tout se déroule comme prévu au Mali et l’opération Serval est une réussite. Dans une interview au “Monde” daté de mardi 12 mars, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian assure que “les opérations se déroulent conformément à l’agenda” fixé. Bien. Mais au fait… quel est cet agenda ? Est-il tenable ? Malgré les multiples annonces que se succèdent, le calendrier est incertain.
1. Quand la France quittera-t-elle le terrain ?
Au lendemain de l’opération terrestre française, le chef de l’Etat avait prévenu : la France restera au Mali aussi “longtemps que nécessaire”. La crainte d’un enlisement, exprimée par de nombreux acteurs, a cependant poussé les responsables politiques à donner une idée un peu plus précise d’un possible retrait. Ainsi aprèsLaurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, qui évoquait une diminution des troupes en mars, c’estFrançois Hollande qui a assuré qu’une partie des soldats – 4.000 hommes – quitterait le pays en avril.
Des annonces d’ordre politique qui n’engage en rien un retrait effectif. Elles visent dans un premier temps à assurer que la France n’a pas vocation à rester au Mali. Ensuite, elles permettent de mettre la pression sur les forces africaines qui sont censées prendre le relais à terme. Et presser l’Union africaine et la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) d’accélérer la mise en place de la Misma, et les Nations unis de transformer éventuellement la Misma en force onusienne.
2. Comment la France peut-elle partir ?
La mission que s’est donnée Paris est de “libérer l’ensemble du territoire malien”. Paris est tenu par cet engagement public. Interrogé il y a quelques semaines, le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre, expliquait que la “France n’est pas dans la position qu’elle avait en Afghanistan, où elle pouvait repartir avant les délais fixés. Là, le pays est la force principale et en tant que telle, elle est responsable de la sécurité et du bon déroulement des opérations de relève.”
La marge de manoeuvre est donc courte d’ici à avril car d’un point de vue militaire, la situation sur le terrain est complexe et le retrait, même partiel, dépendra de l’avancée réelle des opérations. Et tout peut évoluer. Deux mois après le début de l’intervention française, les soldats sont remontés jusqu’à l’extrême-nord du Mali où ils tentent de débusquer d’éventuels terroristes djihadistes. Jean-Yves Le Drian a cependant indiqué qu'”il y aura sûrement d’autres combats violents. D’ici trois semaines, si tout se passe comme prévu, ce territoire sera complètement visité”. Le retrait risque donc très progressif.
toujours est-il que dans l’hypothèse où la France remportait une victoire sur les combattants djihadistes, et qu’une partie des troupes françaises reviennent, une autre restera sans doute bien plus longtemps. D’abord, parce que si l’élection présidentielle malienne a lieu en juillet, comme le souhaite la France, il faudra veiller à ce qu’elle se déroule dans de bonnes conditions de sécurité. Ensuite, Paris doit garder une capacité d’intervention rapide au cas où les troupes africaines se trouveraient en difficulté face à des djihadistes qui seraient tentés de reconstituer leurs forces une fois les troupes françaises réduites. Cela suppose donc que la France maintiennent des bases sur le territoire malien ou prépositionne des unités dans la région, comme en Côte d’Ivoire. La France est intervenue au Tchad en 1969, et de mission Manta en opération Epervier, elle y est encore…
“François Hollande tiendra probablement son engagement. Mais quand il dit qu’il retirera des troupes, il parle des troupes qui ne seront plus utiles, explique Vincent Desportes au “Nouvel Observateur”. Je pense, en particulier aux troupes lourdes, dont la projection a été déclenchée alors que nous étions au cœur de la première bataille, alors que Gao et Tombouctou n’avaient pas été repris”. Et d’ajouter : “On risque de s’apercevoir assez rapidement qu’elles ne sont plus nécessaires. Les combats dans la zone de l’Adrar des Ifoghas ne sera pas une bataille de blindés, mais plus vraisemblablement une bataille dans laquelle les forces spéciales et la destruction par les frappes aériennes seront prépondérants”.
3. Qui prendra le relais ?
La France table sur une mise en place rapide de la force africaine, la Misma, et sa transformation en une opération de maintien de la paix (OMP) de l’ONU, la Minuma, pour prendre le relais de ses troupes. Mais la Misma, qui compte aujourd’hui environ 6.300 hommes sur le sol malien, en y intégrant les 2.000 soldats tchadiens, est loin d’être prête, elle doit encore être formée et équipée. Elle manque de tout pour le moment : armes, pick-up, produits alimentaires… Avant qu’elle ne constitue un ensemble cohérent, il va se passer plusieurs mois. Jean-Yves Le Drian assure que la Misma assurera les fonctions de “sécurisation des villes”. “Elles deviendront ensuite le creuset de la Minuma.” Ainsi, plus vite cette dernière, chapeautée par l’ONU, sera mise en place, plus vite on réglera le problème de la Misma.
Le ministre de la Défense a dit avoir “bon espoir” de voir cette force aboutir début avril. Pour le moment, la décision n’a pas encore été prise et les plans ne sont pas arrêtés. Quoi qu’il en soit, pour l’heure, la démarche est diplomatique.
4. Comment se déroulera l’opération de maintien de la paix (OMP) de l’ONU ?
Mardi, Laurent Fabius a indiqué à la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale qu’une résolution sur une OMP serait proposée au Conseil de sécurité en avril pour y être voté. Il a précisé que cette force onusienne serait opérationnelle deux mois plus tard. Selon un diplomate européen cité par l’AFP, la Minuma pourrait mobiliser au total jusqu’à 10.000 hommes. Aux forces africaines de la Misma s’ajouterait le contingent tchadien et d’autres unités, notamment burundaises et mauritaniennes. Les opérations de maintien de la paix doivent être acceptés par toutes les parties, être impartiales et ne peuvent pas user de la force. C’est plutôt une force d’interposition qui ne peut intervenir qu’en cas de légitime défense ou si un mandat les y autorise.
5. Qui financera l’opération de maintien de la paix ?
Une source diplomatique, citée par l’AFP, confie que l’argent promis à Addis Abeba lors d’une conférence de donateurs de l’Union africaine destinée à financer la Misma et la restructuration de l’armée malienne, soit plus de 455 millions de dollars (338 millions d’euros) “n’est pas encore sur les comptes” et les Tchadiens se sont inquiétés de savoir quand et par qui ils seraient payés. Une telle mission de l’ONU résoudrait au moins un problème, celui du financement. Laurent Fabius a indiqué que l’OMP serait financée par les Nations unis. Jusqu’à présent c’est la France qui a supporté l’essentiel des frais, ainsi que la majeure partie des dépenses du contingent fourni par le Tchad, soit 2.000 hommes (approvisionnement en munitions et essence). Fin février, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian avait donné le chiffre de 100 millions d’euros dépensés.
6. Et l’armée malienne dans tout ça ?
C’est le talon d’Achille de toute cette orchestration… Démoralisée, sans armes, son niveau de compétence n’a pas vraiment évolué depuis le début de l’opération et tout est à reconstruire. Le ministre des Affaires étrangères évoque un outil adapté : la mission européenne EUTM qui pourrait selon lui former 3.000 hommes. “Toute la question est la qualité du pré-recrutement. Il faut éviter le clientélisme.” Par ailleurs, sur le plan politique, la situation militaire ne peut être un succès qu’en cas d’application de la feuille de route adoptée par Bamako et avalisée par Paris. Celle-ci prévoit une élection présidentielle en juillet ainsi que l’ouverture d’une Commission vérité et réconciliation pour régler le conflit touareg, involontairement à l’origine de la déstabilisation du Mali. Et l’avenir du Mali se joue tout autant au sud qu’au nord.
Source: nouvelobs