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Wagner au Mali : “Comment s’accorder avec une force qui n’obéit qu’à elle-même?”

Jeudi 23 décembre, la France et quatorze partenaires internationaux publiaient un communiqué conjoint pour condamner la présence soupçonnée des “mercenaires” russes de Wagner au Mali. Quelles seraient les conséquences d’un déploiement russe pour les forces occidentales en présence ? Réponses avec le Général Bruno Clément-Bollée, consultant en matière de sécurité en Afrique et ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère français des Affaires étrangères.

TV5MONDE : Avait-on déjà observé des signes de présence de la force Wagner avant aujourd’hui ?

Général Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère français des Affaires étrangères : Il n’y avait pas de soldats russes au Mali, en tout cas, pas à ma connaissance. En revanche, on a assisté à un espèce de balai aérien sur les pistes de Bamako qui montrait qu’on préparait un déploiement de forces militaires prochainement. Des baraquements ont été préparés ainsi que des stocks de rations pour nourrir un détachement important. Des cadres dirigeants de la société Wagner ont fait des allers-retours entre Bamako et leur lieu de résidence habituel.

Les autorités maliennes n’ont jamais démenti le sujet, sans jamais dire pour autant que Wagner était présent. On pouvait donc s’attendre à ce que l’affaire débouche sur une arrivée des “mercenaires”. On note aujourd’hui que ces mouvements sont de plus en plus importants. Nous pourrions donc imaginer que les paramilitaires ne tardent pas.

TV5MONDE : Pourquoi le gouvernement malien n’a-t-il pas encore confirmé le déploiement de Wagner ? 

Le gouvernement malien est dans une pleine crise de confiance avec tous ses partenaires à ce sujet. Wagner est une Société Militaire Privée (SMP) : est-ce qu’il s’agit du bras armé de Moscou ? Moscou s’en défend mais on s’aperçoit qu’il y a une étrange conjonction entre les intérêts de Moscou et cette présence de Wagner. La société paramilitaire a quand même été observée en Syrie, en Libye, en République centrafricaine et à chaque fois il y a eu des problèmes d’exactions qui ont été soulevés.

Une force militaire est normalement cadrée par ce que l’on appelle des règles d’engagement. Quand l’unité en question va rencontrer un problème qui devra être réglé par la force, il doit se fixer dans un cadre. Ces règles d’engagement garantissent un traitement de l’affaire dans un cadre éthique et compatible avec les valeurs que nous défendons tous. Ce n’est visiblement pas une priorité pour Wagner.

Il y a donc une crise de confiance entre tous les acteurs qui aident le Mali et le Mali lui-même. J’imagine aussi que le non-voyage du président Emmanuel Macron là-bas n’est pas étranger à l’affaire.

TV5MONDE : Quelles conséquences ce déploiement de Wagner pourrait causer pour les forces armées déjà en place ? 

Les forces armées déjà présentes sont coordonnées dans un système extrêmement complexe avec leurs différents alliés. Quand on fait agir deux entités de deux pays ensemble, ça ne se fait pas à la va-vite. Cela se prépare et se coordonne. Déjà au plan technique, il peut y avoir des incompatibilités entre les équipements. Par exemple, si on ne peut pas se parler à la radio d’une unité à l’autre alors qu’on est censé agir ensemble, cela devient rapidement compliqué. Comment s’accorder entre tous ces acteurs et Wagner qui n’obéit qu’à lui-même ? 

Aucun des alliés agissant au profit du Mali ne semblent accepter de composer avec Wagner.

Général Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère français des Affaires étrangères

Concernant la junte, on a tous le sentiment que Wagner va l’aider à rester au pouvoir et qu’elle va s’affranchir du cadre politique qui a été fixé par la communauté internationale. Il existe un cadre de règlements proposé par la CEDEAO. Il avait été accepté par les autorités maliennes. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Par ailleurs, aucun des alliés agissant au profit du Mali ne semblent accepter de composer avec Wagner, selon le communiqué de la diplomatie française. Pour autant, le mot “retrait” n’a été mentionné nulle part dans le texte.

TV5MONDE : Quelles pourraient être les réactions des autres partenaires de la France dans la lutte contre le djihadisme au Mali ? 

C’est une décision collective. Je doute qu’il y ait des pays qui sortent de Takuba (la France, mais aussi l’Estonie, la République Tchèque, la Roumanie ou encore le Portugal composent la force Takuba, ndlr).

Cependant, en République centrafricaine, la force de l’Union européenne, l’European Training Mission (EUTM), qui formait les forces centrafricaines, a décidé d’arrêter sa mission dès lors qu’elle a su que les militaires qu’elle formait agissaient ensuite sous la coupe de Wagner. Aujourd’hui, il existe en effet des unités centrafricaines qui sont commandées par des “mercenaires” de Wagner.

Imaginer cela au Mali, avec Barkhane qui est en pleine réorganisation, compliquerait fortement la situation.

TV5MONDE : Selon la diplomatie française, “ce déploiement ne peut qu’accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique“. Quelle est la réelle vocation de Wagner sur le terrain malien ? 

La vocation de la force. La Russie est en train de se redéployer sur le continent africain et visiblement au travers d’une politique définie. Moscou a l’air de se défendre en disant qu’elle n’a aucun lien avec Wagner, mais il est permis d’en douter. En même temps, sur le plan militaire, est-il possible de tenir tout le terrain malien avec 1.000 soldats de Wagner ? Je crains que les autorités maliennes soient déçues. Je pense plutôt que les objectifs de la junte actuelle résident dans une volonté de s’affranchir d’un cadre politique fixée par la communauté internationale et par la même occasion, de se maintenir au pouvoir.

Je pense que par cette phrase, les autorités françaises font allusion aux exactions pour lesquelles Wagner a déjà été pointée du doigt. Nous imaginons d’ailleurs qu’il va y avoir des tensions au sein de la population vis-à-vis de la force nationale qui agit conjointement avec les “mercenaires”. Wagner est un mercenaire sans foi ni loi et dont la seule valeur est d’être payé. Sa présence ne va pas aider à agir dans un cadre éthiquement respectable. Tout cela participe à un climat malsain au sein d’un pays qui, politiquement, n’est pas du tout stable.

Par ailleurs, nous connaissons aussi l’état de développement du Mali. De fait, il est légitime de se questionner sur le coût de la présence Wagner pour les autorités maliennes. Cette présence n’est certainement pas cadeau. On parle de 10 millions de dollars par mois et en même temps, des géologues russes ont été identifiés au Mali. On peut donc imaginer une rémunération en source minière, avec de l’or, comme c’est le cas en République centrafricaine avec les diamants.

TV5MONDE : En quoi la présence de Wagner pourrait-elle être un moyen d’obstruer la transition politique exigée par la communauté internationale ?  

La présence des forces paramilitaires russes va aider la junte à se maintenir au pouvoir car elle lui permettra de se targuer du fait qu’elle a les forces suffisantes pour maintenir la situation sécuritaire du pays et que donc elle n’a pas besoin de la communauté internationale, car le Mali est souverain. C’est un peu le message actuel envoyé par les autorités maliennes.

Les élections qui doivent se tenir fin février n’auront d’ailleurs vraisemblablement pas lieu.

Général Bruno Clément-Bollée

On sent bien qu’il y a une crise de confiance entre le Mali et ses partenaires, il n’y a qu’à voir comment la CEDEAO est reçue. Les élections qui doivent se tenir fin février n’auront d’ailleurs très vraisemblablement pas lieu. Il faut plus de 2 mois pour installer un cadre sain et stable pour pouvoir assurer des élections. On pourrait peut-être aménager une date en accord avec les autorités maliennes sur cette question, mais elles ne donnent aucun signe pour aller dans ce sens-là.

 

Source: TV5

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