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Wagner au Mali : ce qui se joue

Un éventuel déploiement du groupe de paramilitaires russes au Mali défraye la chronique depuis plusieurs semaines. Les autorités de la transition sont catégoriques : aucun contrat n’a été signé avec le groupe Wagner. Pour autant, le sujet est loin d’être clos et continue de susciter des réactions au sein de la communauté internationale. Jamais un rapprochement de Wagner avec un État en Afrique ou au Moyen-Orient n’avait été autant controversé. Au-delà des condamnations de principes, les enjeux d’un possible déploiement du groupe au Mali, transposés dans les arcanes des relations internationales, seraient tout autres.

 

Un grand méchant loup. C’est l’une des images auquel renvoie l’évocation du groupe Wagner, à cause de sa mauvaise réputation concernant le respect des droits de l’Homme dans les zones de conflits où il intervient. Paradoxe d’ailleurs, alors que le groupe n’a officiellement aucune existence légale en Russie, où les sociétés militaires privées sont interdites. Le 13 septembre 2021, l’agence Reuters publiait une dépêche affirmant « les autorités maliennes sont proches de conclure un accord avec la société militaire privée russe Wagner, ce qui permettrait à Moscou d’étendre son influence en Afrique de l’Ouest malgré l’opposition de Paris », selon des sources diplomatiques et sécuritaires. Ce sera le début d’une cabale diplomatique contre le Mali pour empêcher la signature d’un contrat entre les deux parties.

La France, l’Allemagne ou encore l’Estonie ont été les premières à réagir en brandissant la menace d’un désengagement militaire dans le pays, suivies de la Cedeao et de l’Union européenne, qui ont également condamné l’éventuel déploiement de mercenaires russes au Mali. Mais, depuis le déclenchement de la polémique, les autorités de la transition n’ont jamais confirmé l’existence de négociations entre elles et le groupe Wagner, encore moins la signature d’un contrat d’intervention de ce dernier dans le pays.

« Nous avons dit à nos amis français, et ils le reconnaissent avec nous, qu’il n’y a pas de contrat, mais ils nous disent que nous en avons l’intention. Je crois qu’il faut qu’on soit sérieux. Les États ne se jugent pas sur des intentions. Cette affaire dite Wagner est utilisée comme une sorte de chantage sur l’État malien pour l’empêcher de travailler avec certains partenaires », a déclaré le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Abdoulaye Diop, le 14 décembre, chez nos confrères de la BBC. Toutefois, même si l’État malien ne le reconnaît pas, Mais, lors d’une conférence de presse en septembre en marge de la 76ème Assemblée générale des Nations unies, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait affirmé que les autorités maliennes avaient contacté des compagnies armées privées russes et que ces dernières avaient le droit légitime d’être au Mali, parce qu’ayant été « invitées par le gouvernement de transition ».

Selon un article d’Africa Intelligence en date du 22 décembre, les négociations entre les autorités maliennes et Wagner seraient sur le point d’aboutir. Elles prévoiraient le déploiement de 500 hommes dans une dizaine de localités. Enjeux divers Si la question Wagner au Mali suscite autant de pressions internationales sur les autorités, c’est parce qu’elle soulève, à en croire certains analystes, plusieurs enjeux dans un contexte international marqué par la crise actuelle entre la Russie et l’Ukraine, qui met la pression du côté européen, et même américain, vis-à-vis des Russes. Pour le Directeur du Cabinet Afriglob Conseil, Boubacar Salif Traoré, le Mali est clairement entré dans des jeux d’influence en relation avec cette crise internationale, chaque pays cherchant à se renforcer dans sa zone d’influence traditionnelle. « À partir de ce moment, aujourd’hui, puisqu’il y a des stratégies de positionnement et qu’on est revenu vers une sorte de guerre froide, chacun cherche à renforcer ses positions. C’est pourquoi il y a cette pression occidentale, menée par la France, l’UE et les États-Unis, contre un déploiement de Wagner, que les Occidentaux considèrent comme un outil au service du Président russe Vladimir Poutine, ce que l’intéressé lui même a toujours nié », analyse celui qui parle d’un enjeu lié à une possible réduction de l’influence occidentale sur la zone. Le président français a d’ailleurs demandé des précisions sur la question au président russe lors d’un entretien téléphonique entre les deux le 21 décembre. Pour les autorités maliennes, l’enjeu est tout autre, parce que la question Wagner est aussi un moyen pour eux de montrer qu’elles peuvent traiter avec qui elles veulent.

« L’opinion publique malienne est aujourd’hui dans une phase où elle cherche des autorités pour mettre en place une véritable souveraineté. Il y a une volonté de s’émanciper des différentes tutelles et de se réapproprier l’ensemble des avantages du pays », poursuit le spécialiste des questions de sécurité et de développement dans le Sahel. Pour sa part, le géopolitologue Dr. Abdoulaye Tamboura évoque deux problématiques liées à une possible intervention du groupe Wagner au Mali.

Celle d’un État traitant avec un groupe de sécurité privée et celle d’une intervention de ce groupe sur un territoire considéré comme une zone d’influence française. « La France n’acceptera jamais de partager les mêmes renseignements, issus de l’OTAN, et les mêmes terrains d’intervention que les forces russes. Ces deux entités, Wagner et les forces de l’OTAN, c’est-à-dire en l’occurrence ici la France et ses alliés européens de la Force Takuba, appuyés par les Américains, ne peuvent pas se retrouver sur un même terrain et cohabiter techniquement », explique le Dr. Tamboura. « L’intérêt des Russes au Mali est un enjeu géopolitique. Il témoigne, en réalité, d’une volonté de l’État russe de faire sentir aux pays européens, notamment à la France, qu’il usera de toutes ses forces et moyens pour rééquilibrer l’influence géopolitique en Afrique entre l’Europe occidentale et lui », confie par ailleurs l’analyste politico-sécuritaire Ismaël Touré qui y voit aussi une motivation née de la volonté de certains maliens, civils et politiques, qui militent depuis un moment pour une intervention militaire russe dans le pays.

Sanctions stratégiques

L’Union européenne a adopté le 13 décembre dernier des sanctions contre des personnalités et des sociétés liées au groupe Wagner pour ses activités en Libye, en Centrafrique, en Ukraine et en Syrie, espérant que ces mesures décourageront d’autres pays, à l’instar du Mali, à recourir aux services du groupe russe.

« L’objectif des sanctions est essayer d’empêcher à tout prix l’intervention de Wagner au Mali. On sait que dans l’UE la France est la 2ème puissance économique et la 1ère puissance militaire. Avec la diplomatie française, beaucoup de pays ne feront que suivre. Ces sanctions font partie d’une diplomatie coercitive », relève le Dr. Tamboura.

Un avis que partage également Boubacar Salif Traoré, qui estime que pour l’UE, « annoncer des sanctions, c’est montrer à la fois qu’elle est solidaire de la France et qu’elle tient aussi à se manifester sur la scène internationale ». Mais, pour lui, cela ne dissuadera pas le groupe Wagner de « faire ce qu’il voudra faire ».

Dans la foulée de l’annonce des sanctions européennes, les États-Unis sont montés au créneau pour exhorter le gouvernement de transition du Mali à « ne pas détourner les maigres ressources budgétaires de la lutte contre le terrorisme menée par les forces armées maliennes » pour une intervention des forces de Wagner, « connues pour leurs activités déstabilisatrices et leurs violations des droits humains ».

Le groupe, dont on n’a que des informations parcellaires, serait apparu pour la première fois en 2014. Plusieurs sources le relient directement au Président russe Vladimir Poutine, sans que des preuves irréfutables n’aient été apportées pour l’étayer. L’ONG Amnesty International, qui a mené une enquête sur le groupe en août dernier, le qualifie comme « l’armée secrète de Vladimir Poutine », qui appartiendrait à un homme d’affaires proche du palais présidentiel russe, Evgueni Prigojine. Un « chauve milliardaire russe » de 59 ans qui fut prisonnier dans sa jeunesse pour « banditisme et vols avec violence ».

Tableau sombre

Il y a tout un mystère autour de Wagner, accusé « de commettre des tortures, des exécutions ou des viols contre des civils dans des zones de conflit » par des ONG qui défendent les droits humains, comme entre autres la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), l’association russe Mémorial et Amnesty International.

En mars dernier, une plainte pour « crimes de guerre » a été déposée contre le groupe en Russie par le Centre syrien des médias et de la liberté d’expression (SCM), la FIDH et l’association russe Mémorial, qui l’accusent « d’avoir torturé et décapité un déserteur supposé de l’armée syrienne en 2017, alors qu’il se trouvait en Syrie ». Toutes ces accusations ne sont pour le mouvement Yerewolo debout sur les remparts, qui milite activement pour une intervention russe, que des stratégies occidentales « pour empêcher le Mali de se tourner vers un autre partenaire », pour lui plus efficace.

En Centrafrique, officiellement Moscou a déployé 1 135 instructeurs « pour former l’armée nationale » et nie toute participation de ces derniers dans les opérations des forces armées centrafricaines. Mais, derrière, « c’est la société de mercenariat privé qui opère », révèlent des experts des Nations unies. Leur rapport, paru fin juin 2021, dénonce des « violations des droits de l’Homme et manquements au droit international humanitaire ».

Tout comme en Centrafrique, la présence des membres de Wagner a été confirmée dans un rapport d’avril 2020 des experts de l’ONU « contrôlant l’embargo sur les armes imposé à la Libye ». Aux côtés du maréchal Khalifa Haftar, ils sont plus de 1 000 soldats à « fournir un soutien technique pour la réparation des véhicules militaires et à participer à des combats et opérations d’influence. Ils aident également dans le domaine de l’artillerie, du contrôle aérien, fournissent une expertise dans les contre-mesures électroniques et déploient des tireurs d’élite », selon ces experts.

Aly Asmane Ascofaré et Mohamed Kenouvi

Source : Journal du Mali

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