C’est lors de sa traditionnelle allocution télévisée du 31 décembre 1999 que Boris Eltsine annonce sa décision de quitter la présidence de la Russie. C’était il y a vingt ans. Ce jour-là, il met sur orbite un homme qui n’a pas quitté le pouvoir depuis : Vladimir Poutine.
De notre correspondant à Moscou,
On serait tenté de croire que Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, un peu par surprise, le 31 décembre 1999. On se souvient des images de l’allocution télévisée du Nouvel An de son prédécesseur Boris Eltsine. Un président fatigué, éreinté, serait-on tenté de dire, par la folle décennie des années 1990 qui aura vu l’Union soviétique s’effondrer, tourner le dos au communisme et plonger dans un capitalisme sauvage.
Un pays où les affaires se réglaient alors à coups d’armes à feu ou de voitures piégées. En ce dernier jour de l’année 1999, Boris Eltsine annoncera donc à un pays stupéfait qu’il quitte la présidence de la Russie avec effet immédiat, laissant le pays sous la conduite d’un homme en qui il a toute confiance jusqu’à l’élection présidentielle qui sera organisée en mars 2000. Cet homme ? C’est un certain Vladimir Poutine.
Il était alors très peu connu du grand public, même s’il exerçait déjà la fonction de Premier ministre depuis le mois d’août. Une époque où les Premiers ministres se succédaient sans véritablement imprimer l’opinion publique. Cette position, il l’a acquise après avoir passé plusieurs années dans l’antichambre du pouvoir sans exercer d’activités susceptibles de lui apporter la notoriété. Entré en politique à la mairie de Saint-Pétersbourg dans les années 1990, ville dont il deviendra adjoint au maire avant de céder aux sirènes moscovites en 1996 pour prendre le poste d’adjoint du directeur des affaires de la présidence. En 1997, il sera nommé chef adjoint du personnel de la présidence par Boris Eltsine, avant de prendre la tête du FSB, le service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, l’ancien KGB, en 1998.
Un caméléon
Durant toutes ces années, Vladimir Poutine aura su fédérer autour de lui un réseau de partisans qui le moment venu n’ont pas hésité à le propulser sur le devant de la scène pour le tester en tant que chef du gouvernement et voir ce dont il était capable. Andrey Kolesnikov, politologue du Carnegie Center à Moscou, estime qu’à l’époque « tous les différents clans ont vu en lui un espoir pour un avenir meilleur. Les libéraux ont vu un libéral qui allait poursuivre une bonne politique économique, les services spéciaux ont vu un des leurs, un homme qui était prêt à se battre pour la Tchétchénie, et les masses, un homme qui avait une poigne de fer [ndlr : par opposition à Boris Eltsine, considéré comme le jouet des oligarques], bref, il a réussi à satisfaire tout le monde et à passer le test avec succès ».
Dès lors, Boris Eltsine disposait de la perle rare pour quitter le pouvoir contre des garanties de sécurité une fois en retraite, tant pour sa famille politique que pour les siens. C’est ensuite que progressivement, Vladimir Poutine, adepte de la verticale du pouvoir, va placer aux postes clés des proches en qui il a toute confiance, encadrer les gouverneurs locaux et les oligarques pour restaurer la puissance d’un État alors déficient.
Restaurer la puissance du pays
Ses deux premiers mandats, 2000-2004 puis 2004-2008 seront marqués par le redressement spectaculaire de l’économie russe et une amélioration importante du niveau de vie de la population. Des achèvements qui lui valent encore aujourd’hui la reconnaissance d’une majorité de Russes même si Andrey Kolesnikov explique que Vladimir Poutine n’y est pas pour grand-chose. « On dit qu’il a soutenu l’économie, mais c’est facile de la faire progresser quand le prix du pétrole est élevé ou de faire fonctionner l’économie de marché dans un cadre qui a été mis en place par Egor Gaïdar [ndlr : ministre des Finances, ministre de l’Économie et Premier ministre en 1991 et 1994] », déplore le politologue.
De l’art de se maintenir au pouvoir
Comment dès lors Vladimir Poutine a-t-il pu se maintenir au pouvoir pendant près de vingt ans sans marquer l’économie russe de son empreinte ? Cela tient au talent qu’il a développé pour rester à la tête de l’État, même durant la rocade qu’il a effectuée au poste de Premier ministre de 2008 à 2012, Dmitri Medvedev occupant la fonction présidentielle. Pour Andrey Kolesnikov, cela s’explique par deux facteurs : « Il est parvenu à créer un équilibre entre les clans qui coexistent pacifiquement de par le seul fait qu’il se tient au milieu et parce qu’il a fait en sorte qu’il n’y ait pas d’alternative possible. »
Vingt après cette fameuse soirée du 31 décembre 1999, la situation a changé. La croissance de l’économie est anémique pour un pays comme la Russie, la population a du mal à se projeter dans l’avenir et le paradoxe, pour Andrey Kolesnikov, « c’est que personne n’attend de Vladimir Poutine qu’il change quelque chose de façon sérieuse ou qu’il améliore immédiatement la situation ».
Traditionnellement, les Russes ont pour habitude d’écouter l’allocution de leur président, tous les 31 décembre. Après celle de ce soir, il en restera quatre pour Vladimir Poutine sans que personne ne sache s’il parviendra à surprendre la population dans la même mesure que son prédécesseur, il y a tout juste vingt ans.
RFI