Dans le cadre de la tournée africaine du président français Emmanuel Macron – au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau – Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS, responsable du programme Afrique/s, interroge Dr Christian Pout, Ministre Plénipotentiaire, président du Think Tank camerounais CEIDES.
Dans la séquence de décryptage de l’organisation de la tournée d’Emmanuel Macron en Afrique, on a pu lire, par exemple, que le président français souhaitait bloquer l’influence de la Russie en Afrique ou qu’il sacrifiait la démocratie. Comment depuis Yaoundé lisez-vous ces analyses ?
Les moments de mésententes et d’incompréhensions du contexte camerounais qui ont marqué les relations franco-camerounaises ces dernières années ont largement influencé les lectures de quelques analystes, notamment, sur les réseaux socio-numériques, au point de réduire leurs capacités à rendre compte convenablement des réalités. Au regard de l’importance que peut représenter la visite officielle d’un Chef d’État qui préside aux destinées d’une grande puissance occidentale dans un pays africain, il est tout à fait compréhensible que des rapprochements se fassent avec le contexte international. Le Cameroun entretient des relations multidimensionnelles, anciennes, privilégiées et conviviales avec la Russie, qui ont d’ailleurs connu une consolidation avec le renouvellement de l’Accord de défense liant les deux pays en avril 2022, et la volonté manifestée par la Russie d’accompagner le Cameroun dans la réhabilitation de la Société nationale de raffinage (SONARA), victime d’un incendie le 31 mai 2019. Malgré les impacts de la crise russo-ukrainienne sur le Cameroun, les relations bilatérales entre la Russie et le Cameroun n’ont pas connu de perturbations notables. En rapprochant la constance de ces rapports avec la percée de la Russie, ou plutôt son repositionnement dans les États africains, en particulier dans des pays considérés par le passé comme « le précarré français », à l’exemple de la République centrafricaine, on parvient à déceler l’origine des réserves émises sur la visite du Président Macron. En ce qui me concerne, ces réserves ne font pas honneur à la profondeur des relations franco-camerounaises, et surtout, à l’intensité des échanges économiques, culturels, sociaux, intellectuels, voire même politiques, en termes de coopération décentralisée. C’est à vrai dire ces derniers aspects qui sont au cœur de la visite du Président Macron au Cameroun.
Vu du Cameroun quels sont les enjeux ? Qu’est-ce qui resurgit dans la presse ? Est-ce qu’il y a des attentes précises ?
Le Cameroun est engagé dans l’implémentation de son ambitieux programme de développement, tel qu’énoncé dans sa Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND 30). En évaluant ses capacités et ses besoins, il a depuis longtemps fait le choix d’accorder une place de choix à tout partenaire disposé à l’accompagner de bonne foi et dans le strict respect de sa souveraineté, dans la réalisation de ses objectifs stratégiques en matière de développement. Les répercussions de la pandémie de Covid-19, la morosité économique, les secousses provoquées par la crise russo-ukrainienne et d’autres difficultés conjoncturelles internes confortent la pertinence de cette ouverture aux partenariats extérieurs. Il m’apparaît donc que les enjeux de la visite du Président Macron sont multiples et tout au moins justifiés. Ceux-ci concernent bien sûr la redynamisation des rapports entre la France et le Cameroun, après quelques sons de cloches discordants. Mais aussi, plus traditionnellement, la revue des actions de la France au Cameroun, de l’assistance technique, des relations économiques et commerciales. Sur ce dernier point, il est important de noter que la chaine de centres commerciaux Casino a inauguré il y’a quelques jours au Cameroun l’une des plus grandes surfaces commerciales d’Afrique centrale. C’est donc dire l’intérêt pour la France d’aborder les sujets économiques avec les plus hautes autorités camerounaises. La présence d’hommes d’affaires français dans la délégation officielle témoigne aussi de l’importance de ces enjeux. Concernant les volets politiques et stratégiques, j’aimerais rappeler qu’au cours des dernières décennies, les contacts entre la France et le Cameroun ont particulièrement porté sur les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Le Cameroun s’efforce en effet de juguler sur son territoire la violence meurtrière orchestrée par des groupes irrédentistes dans les régions anglophones et par la secte Boko Haram dans l’Extrême-Nord. A cet effet, l’appui d’un pays ami comme la France continue d’être apprécié, d’autant plus qu’il est aujourd’hui prouvé que certains financiers de ces groupes opèrent depuis l’étranger.
C’est aussi, entre autres, l’une des interpellations qui revient au sein de l’opinion publique camerounaise, à savoir que les puissances qui disent compatir aux pertes en vie humaine et aux dégâts matériels générés par ces groupes armés consentent à extrader, à défaut de poursuivre sur leur sol, les citoyens d’origine camerounaise qui financent lesdits groupes pour la logistique, l’achat des armes et autres matériels militaires.
Il est évident que le peuple camerounais a souvent été heurté par les propos désobligeants tenus en France, sur incitation d’activistes, contre le Chef de l’État, Paul Biya. En Afrique, le respect dû aux hauts responsables et aux personnes qui ont atteint un âge respectable est de rigueur. Les attentes populaires concerneront donc aussi le changement de ce qui s’apparente à une tolérance excessive et soupçonnée complice du Cameroun bashing.
Sous d’autres aspects, les retours qui nous reviennent des attentes de la jeunesse touchent à la saisine des meilleures opportunités d’insertion, de financement de projets et de formation au sein d’institutions de référence française disposant d’une expertise qui n’est pas encore pour l’instant totalement acquise au Cameroun. Cette jeunesse est aussi très impatiente de profiter des possibilités offertes par la décentralisation et espère tirer profit de l’expérience française pour mieux s’impliquer dans la gestion des affaires publiques.
En tant que président du CEIDES, quels sont les enjeux pour les trois pays hôtes (Cameroun, Bénin, Guinée-Bissau) ? Pour l’Afrique ?
La tournée subsaharienne du Président Macron suscite davantage d’intérêt dans la mesure où elle se positionne comme une manifestation profonde des réajustements opérés dans la politique extérieure africaine de la France. Le deuxième mandat récemment entamé par Emmanuel Macron semble vouloir surpasser le précédent en accordant aux partenaires africains, notamment aux pays-pivot des espaces régionaux comme le Cameroun, une place plus respectueuse de leur importance réelle. Les trois pays que vous évoquez ont en commun leur ferme détermination à capitaliser leurs atouts, à l’exemples de leurs richesses naturelles et humaines, pour atteindre les objectifs de développement qu’ils se sont fixés, et ainsi, améliorer le bien-être de leur population. Les enjeux prennent donc une forte coloration économique, sociale et beaucoup moins politiques, puisqu’il s’agit de pays globalement stables, bien que les préoccupations sécuritaires restent au centre des débats avec ces pays. Pour le Cameroun et le Bénin en particulier, les enjeux sont aussi ceux de trouver des solutions consensuelles pour rapidement restituer à ces pays leurs biens culturels, un engagement pris par le Président Macron et qui avait été unanimement salué.
Je conclurais en disant que les autres États africains observent attentivement le déploiement des actions stratégiques retenues par la France dans l’entretien des rapports dont elle a appelé à renouveler les bases. La manière avec laquelle les autorités françaises aborderont le nouveau partenariat avec l’Afrique influencera assurément dans un sens positif ou négatif – on le souhaite moins – la montée de plus en plus visible d’un sentiment anti-français. Cela est d’autant plus crucial que la crise qui oppose la Russie et l’Ukraine tend à s’enliser, et à pousser les États africains à redéfinir leurs positions, de même qu’à revoir leurs relations avec certains partenaires.