Comme nous l’annoncions dans notre édition d’hier, le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta a rencontré mercredi à Koulouba les membres d’une mission conjointe du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et du Comité politique et de sécurité de l’Union européenne en séjour dans notre pays. Cette visite inédite de 72 heures des deux organisations dans notre pays, qui s’achève aujourd’hui a pour objectif d’évaluer la situation sécuritaire au Mali et l’état d’avancement du processus de paix en interactions avec les autorités et acteurs politiques maliens, ainsi que les partenaires internationaux au Mali. Après avoir écouté, tour à tour, les chefs des deux délégations sur le bien fondé de la mission conjointe, le chef de l’Etat a fait une intervention importante sur la situation qui prévaut dans le pays. Dans cette intervention, il assène quelques vérités bien senties. Nous proposons l’intégralité de cette sortie du président de la République.
« …Votre mission conjointe est un signal très fort pour nous. C’est la deuxième fois que nous recevons une mission d’une telle importance après celle effectuée dans ce pays, l’année dernière, par le Conseil de sécurité, tous membres compris, qui s’est rendue à Bamako, à notre chevet, tout comme vous aujourd’hui, engager un dialogue pour comprendre et mieux cerner toutes les subtilités de la question malienne, et de la question de la sécurité du Sahel. Qui (la sécurité) se pose aujourd’hui, non pas en terme malien, mais en terme mondial car ce qui se passe au Sahel concerne l’ensemble africain et le monde entier. […]
Mesdames et Messieurs, chers amis de l’Union européenne, chers amis de l’Union africaine, en vos rangs et qualité, soyez les très bienvenus en terre malienne. Le fait que cette mission soit une mission conjointe de l’Union européenne et de l’Union africaine, traduit à souhait le partage solidaire des préoccupations qui sont les nôtres aujourd’hui par rapport à la paix mondiale. Ce qui se passe au moment même ou nous parlons ici, vous et moi, nous fait rejoindre, quelque part, ce qui se passe également dans la proche Asie, à Minsk. Il s’agit […] du même débat, du même combat, à savoir le droit souverain des Nations à rester unies, à garder leur intégrité territoriale dans des contextes difficiles. Et c’est à cela que nous faisons face ici au Mali.
Nous avons apprécié tout le concours fabuleux qui s’est développé autour de nous quand notre pays, en 2013, a failli succomber sous le joug de terroristes, il n’y a pas d’autres appellations, d’un genre nouveau, venus avec l’étendard d’une fausse religion car, l’Islam au Mali, nous connaissons. Nous ne sommes pas des néophytes ici par rapport à l’islam, nous sommes un vieux pays d’islamisation et précisément le Nord du Mali. Ces villes mystiques, historiques auxquelles ces gens se sont attaqués, Tombouctou, Gao…, sont de hauts lieux de souvenirs islamiques, des hauts lieux de savoir, des universités en le temps ou cela n’était pas la mode dans le monde entier. […]
Donc, le prétexte religieux est un faux prétexte, nous l’avons bien compris. Et ceux de Tombouctou et de Gao, qui ont souffert le martyre pendant deux ans, l’ont bien compris également, qu’il ne s’agissait point d’Islam mais d’une imposture. D’une imposture à nulle autre pareille. Un faux drapeau islamique derrière lequel des crimes insondables, des crimes inimaginables ont été commis quotidiennement, à l’endroit de populations civiles paisibles qui ne demandaient qu’à être. Qui ne demandaient qu’à vivre dans un endroit apaisé et dédié au développement et à la prospérité. Cela, fort heureusement, la communauté internationale en a pris conscience et le point d’orgue a été atteint quand le 11 janvier 2013, le président François Hollande, devant l’imminence de la chute de la ville de Konna, qui était quelque part l’entrée vers le sud du Mali, a décidé de faire intervenir la force française SERVAL avec l’accord des Nations Unies. Ça a été un soulagement énorme pour notre peuple, ça a été le début de la respiration. […]
En même temps, cela ouvrait une autre ère. L’ère de la tentative d’apaisement, de la tentative de restauration de l’Unité nationale et de Réconciliation nationale dans des conditions que nous souhaitions alors apaisées, fraternelles et conviviales. Nous avons, pour notre part, gouvernement du Mali, accepté et de bien bonne grâce, toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, de la 2100 à tout le reste…. avec bonheur, avec sincérité et avec engagement constant. Et ces résolutions étaient à l’image de ce qu’a été l’accord de Ouagadougou. A savoir des engagements très forts sur la question de la souveraineté du Mali, sur l’intégrité territoriale du Mali, que la nécessité de la réconciliation nationale et de l’établissement d’un dialogue national inclusif, entre les parties pour que le processus de paix que nous conduisons aujourd’hui en Alger auquel nous participons d’un engagement constant et de niveau respectable ministériel, puisse arriver à terme. Mais hélas, la communauté internationale présente ici au Mali via la MINUSMA peut en témoigner, le cessez-le-feu conclu entre les parties, la cessation des hostilités également convenue lors de la mise en place de la feuille de route en Alger, sont deux documents fondamentaux qui ont été scrupuleusement respectés par le gouvernement du Mali, quoique qu’on en ait dit.[…]
Dans le même temps, on a vu les groupes armés s’égailler à droite et à gauche pour marquer de leur empreinte telle ou telle position géographique. C’est une vielle ruse connue dans l’histoire des pays. Je prends des points, et le jour venu à la table des négociations, je m’en revendique pour créer une nouvelle situation. Nous avons assisté à cela constamment y compris ce matin (mercredi ) quand le village d’Agouni a été investi par le MNLA qui y a planté son drapeau. Aujourd’hui même. Cela est constant, patent et avéré. Alors, quand dans sa volonté de faire croire qu’il est le porte-parole effectif des populations du Nord, sans nuances, le MNLA engage les populations du Nord du Mali à le rejoindre sous peine d’en cuire et qu’il le met en application, comment faire un procès à des populations d’hommes libres et dignes de refuser ce nouveau servage, ce nouvel esclavagisme, et que ces populations se battent en refusant cela. Le faire, c’est une astuce du gouvernement du Mali qui passe par des milices armées pour combattre le MNLA. Alors, que veut-on ? Que veut-on du Mali ? Que nous disions ici et maintenant que nous sommes d’accord pour nous laisser subjuguer par les groupes armés ? Que nous sommes d’accord que les groupes armés prennent le Nord du Mali ? Toutes les malices ont été utilisées. On parle de fédération. La fédération suppose deux Etats. Est-ce que nous avons affaire à deux entités étatiques aujourd’hui ? Est-ce que nous avons affaire à une communauté homogène s’opposant à une communauté nationale ? Non !
Alors, quelle est cette nouvelle trouvaille de champ politique ? Où veut-on que nous allions ?
Je crois que l’histoire du Mali est connue, c’est une histoire de dignité, l’histoire d’un peuple qui, au long des siècles, a marqué de son empreinte cette partie de l’Afrique occidentale, par sa dignité et son sens de l’honneur, par son sens de responsabilité qui fait que nous n’insultons pas l’avenir. Malgré toutes les malices, malgré toutes les embûches, nous sommes restés constants. Nous n’avons jamais quitté la table des négociations même quand on nous envoyait des seconds, quand les responsables en chef ne venaient pas. Nos ministres étaient à la table. Nous respectons, qu’on nous respecte aussi ! Qu’on respecte les accords convenus ! Nous sommes en Alger. […]
Il n’y a aucune malice de la part du Mali. Nous n’avons pas intérêt. Je suis arrivé à la tête de ce pays à la suite d’une crise très difficile, très profonde, très douloureuse, et je sais gré à l’Afrique, à l’Europe … du soutien fantastique dont nous avons bénéficié. […]
Il n’y a jamais eu dans ce pays d’exclusion au motif ethnique, religieux, de la couleur de la peau. Nous sommes blancs et noirs au Mali, sans complexe. Le Mali est un pays de métissage. Qu’on n’amène pas ici, dans le traitement de la question malienne, des concepts qui, peut-être, valent ailleurs, mais pas au Mali. Qu’on ne mélange pas tout. Qu’on fasse appel à l’histoire,^ à l’intelligence de l’homme, aux choses sues, connues et établies. Le Mali n’est pas un pays d’exclusion. Et aujourd’hui, on voudrait nous faire écrire, noir sur blanc que, désormais, il y aura tant de ceci ou tant de cela. Non !
Ca rappelle d’autres pays à travers le monde que nous connaissons, où il y a des partages comme cela, entre gens de religions différentes, entre gens d’ethnies différentes. De grâce, que ce germe ne soit pas introduit au Mali. Nous n’avons pas besoin de cela pour vivre de manière conviviale. […] Nous sommes ouverts, nous sommes disponibles ; Il n’y a aucune alternative à la paix. Seule la négociation vaut. Nous sommes filles et fils de ce même pays. Il est temps que nous cessions les hostilités, il est temps que nous cessions de nous entretuer, il est temps que nous échangions. Que nous nous comprenions. L’heure est à l’unité. Au moment où l’on dit que l’Afrique n’est pas en si mauvaise voie, que sa croissance, aujourd’hui, est un modèle d’espérance pour le monde entier… l’on voudrait décourager cela que l’on ne s’y prendrait pas autrement, en encourageant des velléités séparatistes. En tout cas, ici au Mali, nous sommes déterminés à aller à la paix, une paix réelle et solide. L’ensemble national malien, je le dis, ne sera jamais d’accord avec le moindre morcellement territorial du Mali. Et aucun homme d’Etat malien ne peut s’engager dans cette voie et avoir l’assurance de la paix ».
source : L Essor