Dans le cadre de la transition politique initiée suite au coup d’État militaire du 18 août 2020, le gouvernement de transition du Mali a entamé un processus d’élaboration d’une nouvelle constitution pour permettre un retour à l’ordre constitutionnel et à un régime civil. Le processus constituant a été boycotté par d’importantes parties prenantes, et certaines dispositions du projet de nouvelle Constitution – notamment la concentration du pouvoir entre les mains du président et l’élargissement du rôle de l’armée – suscitent l’opposition. Cependant, sauf changement de dernière minute, ce projet devrait être soumis à référendum.
Depuis son indépendance en 1960, le Mali a connu trois Constitutions et donc trois Républiques : la Constitution du 22 septembre 1960 (Première République) ; la Constitution du 02 juin 1974 (Deuxième République) ; la Constitution du 25 février 1992 (Troisième République). La Constitution actuelle, promulguée le 25 février 1992, n’a fait l’objet d’aucune révision en dépit de quatre tentatives restées sans suite (en 1999, 2011, 2017 et 2019). Cette absence de réforme, due en partie à la rigidité de la procédure de révision, n’a pas permis de satisfaire à certains engagements internationaux (dont la directive de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) du 29 juin 2000 imposant à tous les Etats membres d’instaurer une Cour des comptes indépendante) ni de répondre à certaines circonstances changeantes (notamment l’engagement en faveur d’une décentralisation étendue pris dans le cadre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger conclu en 2015 entre le gouvernement du Mali et la Coordination des Mouvements de l’Azawad). La Constitution de 1992 a aussi survécu à trois coups d’État (22 mars 2012, 18 août 2020 et 25 mai 2021), mais son temps semble désormais compté.
Le processus constituant sous transition militaire
Le processus d’élaboration d’une nouvelle Constitution en cours au Mali a pour but de permettre un retour à l’ordre constitutionnel suite au coup d’État militaire du 18 août 2020 mené à l’encontre du président Ibrahim Boubacar Kéita. Le 1er octobre 2020, les chefs de file du coup d’État ont adopté une Charte de la transition. Cette charte prévoit une transition politique de 18 mois (qui a par la suite été rallongée à 24 mois) durant laquelle des réformes institutionnelles et structurelles doivent être adoptées pour aboutir à la tenue de nouvelles élections. Cette charte de transition complète la Constitution du 25 Février 1992 et prévaut en cas de contradiction entre les deux documents.
Afin de définir la feuille de route de la transition, le gouvernement de transition a organisé des Assises Nationales de la Refondation (ANR) en décembre 2021, qui ont consisté en une série de consultations et de débats entre les différentes forces vives du pays. Malgré le boycott de plusieurs dizaines de partis politiques, les participants aux ANR ont recommandé l’élaboration d’une nouvelle constitution.
C’est en vue de matérialiser cette recommandation que le président de la transition, le colonel Assimi Goïta, a nommé par décret une Commission de rédaction de la nouvelle Constitution chargée de rédiger un avant-projet de Constitution dans un délai de deux mois, puis une autre commission chargée de la finalisation des résultats fournis par cette dernière dans un délai de deux semaines. La Commission de finalisation a remis le projet final de nouvelle Constitution le 27 février 2023, dont le contenu a été “validé” par le président de la transition.
Alors que la Charte de la transition ne précise pas la procédure d’adoption d’une nouvelle constitution, le chronogramme de la transition prévoit que le projet de nouvelle constitution soit soumis à l’approbation du peuple par référendum, sans vote préalable au sein du Conseil National de Transition, l’organe législatif intérimaire. Initialement prévu le 29 mars 2023, le référendum constitutionnel a été reporté par le gouvernement de transition, pour permettre à l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections nouvellement créées de procéder aux préparatifs pour la tenue du scrutin.
Vers une concentration du pouvoir entre les mains du président
Le projet de Constitution envisage le maintien du régime politique de la Constitution de 1992 mais avec des pouvoirs présidentiels largement renforcés. Le Président, élu au suffrage universel direct, sera chef de l’État et chef de l’exécutif. A ce titre, le Président détermine la politique de la Nation (art. 44), alors que le Premier Ministre et son gouvernement la mettent en œuvre (art. 76). Le Premier ministre et son gouvernement sont nommés par le Président et sont responsables politiquement devant celui-ci uniquement (arts. 57 et 78). En matière législative, le Président voit ses pouvoirs largement renforcés. Le président peut soumettre des projets de loi au parlement (art. 119) ; imposer – par l’intermédiaire du gouvernement – au parlement de se prononcer par un seul vote sur un texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement (art. 122) ; peut – par l’intermédiaire du gouvernement – demander au parlement l’autorisation temporaire de prendre des ordonnances pour réguler des questions relevant du domaine de la loi (art. 121) ; et peut soumettre au référendum toute question d’intérêt national ou tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics après avis consultatif de la Cour Constitutionnelle (art. 60). Le Président dispose également du pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale (art. 69). En outre, le Président dispose d’importants pouvoirs de nomination discrétionnaires au sein de l’administration civile et militaire (art. 67). De plus, alors que le Président de la République est désormais le chef de l’exécutif et est ainsi un acteur politique à part entière, le Président est également garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire (art. 134) et à ce titre il préside le Conseil supérieur de la magistrature (art. 64). Le projet de Constitution prévoit une procédure de destitution du président par le parlement en cas de haute trahison, mais les conditions substantives et procédurales de ce mécanisme apparaissent tellement contraignantes qu’il sera difficile dans la pratique de le mettre en œuvre (art. 73).
Le projet de Constitution élabore un système de gouvernement qui ne semble pas en mesure d’assurer un équilibre entre les différentes branches de pouvoir.
Autrement dit, le Président de la République disposera du pouvoir réglementaire, sera en mesure d’exercer une très grande influence sur le processus législatif (et ce alors même que l’exécutif n’est plus responsable politiquement devant le parlement), sera impliqué dans la gestion du système judiciaire et nommera de façon discrétionnaire une grande partie de l’administration civile et militaire. Ainsi, le projet de Constitution élabore un système de gouvernement qui ne semble pas en mesure d’assurer un équilibre entre les différentes branches de pouvoir. Malgré ces préoccupations, le projet de Constitution contient également quelques innovations positives par rapport au texte de 1992, notamment : le verrouillage de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels (arts. 45 et 185) dans le but de renforcer les garanties d’alternance démocratique au sommet de l’État ; la détermination d’un mandat unique non renouvelable pour les membres de la Cour Constitutionnelle et l’instauration d’une répartition plus équilibrée des différentes autorités de nomination (art. 145), gages d’une indépendance renforcée pour la juridiction constitutionnelle ; l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité à postériori via le mécanisme de la saisine par voie incidente (art. 153) pour une meilleure protection des droits et libertés constitutionnels ; ou encore l’élargissement de la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature aux justiciables (art. 136) dans le but de renforcer la confiance du public envers le système judiciaire.
Certaines innovations répondent à des obligations régionales et des engagements pris dans le cadre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. La création d’une seconde chambre parlementaire sous la dénomination “Sénat” doit ainsi permettre une meilleure représentation des populations et des collectivités territoriales décentralisés au sein du processus législatif national (conformément à l’un des engagements phare de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger). Par ailleurs, la création d’une Cour des comptes (arts. 156 à 163), juridiction spécialisée en matière de contrôle des dépenses et des recettes de l’État, répond à l’obligation contenue dans la directive de l’UEMOA mentionnée précédemment.
Les dispositions contentieuses
Le projet de constitution comprend un certain nombre de dispositions contentieuses. Parmi celles-ci, l’on peut citer le maintien de l’exigence de la nationalité d’origine pour être candidat à la magistrature suprême du pays, en excluant ainsi de la course présidentielle des citoyens maliens ayant disposé de leur nationalité par voie de naturalisation. Dans la même dynamique, le renoncement à l’autre nationalité en cas de double nationalité à l’étape de la candidature pour l’élection présidentielle pose problème dans la mesure où le candidat se trouvant dans une telle situation ne dispose d’aucune garantie d’être élu, ce qui lui causerait une double perte (art. 46).
La question de la pertinence de la seconde chambre s’est de nouveau posée avec acuité dans ce projet, les arguments invoqués sont entre autres la vulnérabilité du système économique malien et le bicamérisme inégalitaire qui donne le dernier mot à l’Assemblée nationale dans l’hypothèse d’un blocage au cours de l’adoption d’une loi entre cette dernière et le Sénat (art. 123).
La considération des langues nationales comme langues officielles et le français comme langue de travail prête à confusion (art. 31), en ce sens que les modalités d’usage des langues officielles devront être déterminées par une loi organique. De plus, dans la mesure où le décret n° 159 PG-RM du 19 juillet 1982 reconnait officiellement 13 langues nationales au Mali, mais non parlées par l’ensemble des Maliens, le français demeure la langue de l’unité. Il faut reconnaître que la reconnaissance de 13 langues nationales comme langues officielles serait à même de fragiliser davantage le vivre-ensemble entre les citoyens.
La stabilité démocratique du Mali requiert la dépolitisation de l’armée et la démilitarisation de l’administration publique . . .
Une autre disposition controversée concerne la place accordée à l’Armée dans la Constitution. En plus de ses postes militaires, le projet de Constitution dispose que “les forces armées et de sécurité participent aux actions de développement économique, social, culturel et de protection de l’environnement du pays” (art. 89), en contresens du principe de la séparation du pouvoir civil et militaire. Désormais chargée de veiller à “l’exécution de la loi”, l’Armée pourrait sortir des casernes si celle-ci se trouve violée, en l’occurrence par le pouvoir civil (art. 89). De plus, une obligation pèsera désormais sur l’Etat de veiller à ce que les forces armées et de sécurité disposent en permanence de capacités en ressources humaines et en moyens matériels pour accomplir leur mission (art. 93).
Dans cette perspective, les Forces armées et de sécurité insatisfaites des moyens mis à leur disposition par le pouvoir civil, peuvent être tentées de prendre des responsabilités. Alors que la stabilité démocratique du Mali, requiert la dépolitisation de l’armée et la démilitarisation de l’administration publique, plusieurs experts craignent en cela un risque de constitutionnalisation des coups d’état au Mali, au cas échéant.
La légitimité du processus constituant remise en question
Pour une large partie des acteurs de la classe politique et sociale du pays, la transition ne devrait pas être si ambitieuse en s’intéressant ainsi aux grandes réformes. Se voulant une période courte, elle aurait dû se consacrer à l’organisation des élections en vue d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Pour bon nombre d’entre eux, un président illégitime arrivé au pouvoir par un coup d’État ne peut pas engager de grandes réformes aussi importantes que l’écriture d’une nouvelle Constitution. La transition militaire au Mali a cristallisé des dissensions internes entre les Maliens autour des trajectoires de la transition. Beaucoup d’acteurs n’ont pas pris part aux travaux des Assises Nationales de la Refondation dont l’une des principales conclusions fut le changement de Constitution. C’est en cela que plusieurs partis et regroupements politiques et des organisations de la société civile fustigent le projet de nouvelle Constitution. D’autres jugeant bien pertinente une réforme de la Constitution du 25 février 1992, plaident plutôt pour le maintien de ladite Constitution, mais tout en la révisant.
Le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) a exprimé son regret par le fait que la Commission chargée de finalisation du projet de Constitution n’ait tenu compte que d’un seul point de ses recommandations formulées le 27 octobre 2022. C’est ainsi que le SYLIMA a réitéré son souhait d’extirper du projet de Constitution des dispositions relatives à l’élargissement de la saisine aux citoyens du Conseil supérieur de la Magistrature (art. 136), à l’élargissement de sa composition au personnel non judiciaire (art. 137), à la rédaction des décisions de justice dans un délai déterminé (alinéa 3 de l’article 131), et appeler à une véritable séparation des pouvoirs. De son côté, La Ligue Malienne des Imams et Savants pour la Solidarité Islamique (LIMAMA) désapprouve la présence du principe de laïcité dans le projet de nouvelle Constitution qui semble selon elle, être contraire à leur religion, et propose que ce principe soit remplacé par l’expression “État multiconfessionnel”. Alors que rien ne présage dans ce projet que la laïcité s’oppose à la religion musulmane. Bien au contraire, le projet précise explicitement que la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances et a pour objectif de promouvoir et de conforter le vivre-ensemble (art. 32). Quant aux groupes signataires de l’accord d’Alger, ceux-ci s’opposent également au projet de nouvelle Constitution en ce qu’il ne reflète pas les engagements en matière de décentralisation du pouvoir.
Conclusion
Le déficit de consensus entre les forces vives de la nation autour de la gestion de la transition, n’est pas favorable à un tel projet de nouvelle Constitution. Toutefois, sauf changement de dernière minute, le projet sera soumis à référendum. A cet égard, l’instabilité sécuritaire dans le pays empêchera probablement certains électeurs de participer au référendum, ce qui pourrait exacerber encore un peu plus les critiques à l’encontre du manque de légitimité du processus constituant.
Pr. Fousseyni Doumbia est Maître de Conférences en Droit Public et Droit Constitutionnel à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako. Outre ses activités d’enseignant-chercheur, Pr. Fousseyni Doumbia travaille également comme expert international sur les questions de gouvernance et de réforme constitutionnelle en Afrique centrale et de l’Ouest.
Source : Aujourd’hui-Mali