Le ministre malien de la Réconciliation nationale et du développement des régions du Nord, Cheick Oumar Diarrah, vient d’annoncer la création au Mali, dès la semaine prochaine, d’une « Commission dialogue, vérité, justice et réconciliation ». Selon lui, après avoir refusé de subir le joug totalitaire, fanatique des djihadistes, et réussi sa restauration démocratique, le pays doit se frayer un nouvel avenir, s’inventer un autre futur en tournant définitivement la page sombre de l’impunité récurrente. Cela dit, dans un pays où les élites dirigeantes ont tendance à réduire toute question sérieuse à la magie du seul discours, il convient de rappeler ici que, ce n’est qu’en respectant et en articulant strictement les termes « vérité, justice et réconciliation » qu’on assistera à l’avènement d’une nouvelle socialité malienne, c’est-à-dire une nouvelle manière de penser et de voir l’Autre et le monde. En d’autres termes, vérité, justice, réconciliation ne doivent pas être des mots de parade pour couvrir l’inhumanité. Evidemment, les Maliens doivent se montrer capables de regarder leur passé récent en face, un passé fait d’occupation du Nord du pays et de crimes terroristes.
En aucun cas, ne sacrifier le vrai et le juste au nom de la réconciliation nationale
La reconstruction du Mali ne doit pas être seulement politique, économique, culturelle : elle doit être également morale et éthique. Car l’occupation et les crimes djihadistes ont brisé l’harmonie sociale du pays, puisque les démagogues terroristes avaient recruté, dans leur entreprise criminelle, des gardes-chiourmes parmi les populations du Nord-Mali. Bien sûr, il ne faut cesser de le répéter : tous les habitants du Nord-Mali ne sont pas des terroristes et parmi eux, il existe beaucoup de victimes du djihadisme.
Mais tous ceux qui se sont rendus coupables de crimes contre l’humanité, d’actes barbares, c’est-à-dire les coupeurs de bras, les lapideurs « professionnels » de femmes, doivent être traînés devant les tribunaux, jugés et punis. D’où la nécessité d’établir clairement les faits, afin de situer la responsabilité de chaque Malien durant l’occupation djihadiste. Il suffit de rappeler cette raison toute simple et pourtant décisive : c’est parce que certains Maliens ont désespéré de la République et de la démocratie, qu’ils en sont venus à douter du Mali, avant de finir par prendre les armes contre lui dans le dessein d’y répandre une idéologie nihiliste et totalitaire.
Cette commission qui va naître bientôt, pour être crédible, efficace, devra se montrer sérieusement indépendante. Et, elle ne doit, en aucun cas, sacrifier le vrai et le juste au nom de la réconciliation nationale. Comme l’a si bien relevé la philosophe Séverine Kodjo-Grandvaux, il est temps de sortir, sur notre continent, de cette absurdité intellectuelle selon laquelle, « la justice occidentale serait motivée par la recherche de la vérité, alors que la paix et l’harmonie sociale primeraient pour la justice africaine ».
Non, au Mali, comme ailleurs en Afrique, aucun pardon ne peut être accordé aux coupables de crimes de masse et de crimes terroristes, de surcroît un pardon d’Etat.
La commission vérité, justice et réconciliation doit redonner aux victimes du fanatisme djihadiste, estime de soi, respect et dignité. Elle ne devra pas s’amuser à kidnapper leur parole. Cette commission devra être conçue comme un espace cathartique dans lequel les Maliens pourront discuter entre eux de l’essence du vivre-ensemble, et non un espace où prédominera « la parlerie ». C’est dire qu’une telle commission ne peut que revêtir à la fois une dimension profondément morale et éthique, rédemptrice. Affirmer que vérité, justice et réconciliation au Mali, c’est d’abord l’affaire des Maliens, revient à mettre l’accent sur leur responsabilité collective face au passé djihadiste de leur pays, passé qui méritera d’être éclairé, connu, grâce aux recherches d’historiens africains et maliens. A qui doit-on imputer les crimes terroristes au Nord-Mali ? A certains « citoyens » maliens.
En respectant strictement la dialectique vérité, justice et réconciliation, la démocratie malienne peut et doit garantir son destin
Dans de telles circonstances, il paraît étrange de voir que, pour certains Maliens, à commencer par leurs responsables politiques, c’est la médiation du président Blaise Compaoré qui les empêcherait de se réconcilier entre eux. Au contraire, il faut rendre justice à cette médiation qui a permis au Mali, grâce à l’« Accord préliminaire de Ouagadougou », de tenir, dans la paix et la sécurité, les élections présidentielles et législatives. Malgré ses limites et ses défauts, cet Accord de Ouagadougou a fortement contribué à la renaissance politique du pays.
Cela dit, en exigeant désormais que Blaise Compaoré soit un médiateur parmi d’autres médiateurs, Bamako entend dénoncer ses « affinités électives » avec les groupes armés du Nord, notamment le MLNA, dont l’aile politique est carrément domiciliée à Ouagadougou. Au fond, Bamako ne croit plus du tout à sa neutralité. De même, en reconfigurant la médiation du président Compaoré, Bamako laisse sous-entendre qu’un médiateur qui est lui-même fragilisé par sa situation politique intérieure explosive, n’est plus en mesure d’inspirer un nouvel horizon. Comme on le voit, il s’agit là, tout simplement d’une question de confiance entre Bamako et Ouagadougou.
Mais en vérité, la paix au Mali est et reste une marche ininterrompue. Avec l’occupation et les crimes djihadistes, le Mali était devenu une société malade. Aujourd’hui, la Commission vérité, justice et réconciliation réussira-t-elle à la soigner, et surtout prévenir de telles folies subversives et criminelles ? Quoi qu’il en soit, il s’agira, avec cette commission, de redonner au vivre-ensemble malien, bâti sur une nouvelle éthique résolument humaniste et démocratique, toute son importance et sa valeur.
Oui, en respectant strictement la dialectique vérité, justice et réconciliation, la démocratie malienne peut et doit garantir son destin. A défaut, tout effritement de la confiance du peuple malien en cette commission à venir, fera place au ressentiment, à la vengeance et au désespoir. Mais en entendant, il convient de saluer, à sa juste mesure, la création de cette commission comme un refus du régime IBK de toute forme d’autisme politique national face à la mécanique et la criminalité djihadiste et terroriste. Que la vérité se sache et que justice soit rendue à toutes les victimes !
Source: Le Pays.bf