L’argent reçu par une vanneuse par sac oscille entre 200 et 350 Fcfa. Il faut donc vanner 10 sacs pour avoir 2000 ou 3500 Fcfa. Ce qui n’est pas évident par jour
Un jour d’avril aux environs de 10h devant la Grande mosquée de Bamako, un spectacle banal attire notre attention. Une cohorte de vanneuses (des femmes qui nettoient les céréales au moyen d’un van) était à l’oeuvre. La gymnastique était intense. Les va -et- vient des membres supérieurs des vanneuses se faisaient dans un rythme soutenu et synchronisé qui traçait une belle «figure de chorégraphie». Ces femmes s’activaient à vanner du riz et du mil. Au même moment, un groupe d’hommes s’employait à tamiser. Une complicité tacite semblait exister entre les deux groupes.
La curiosité aiguisée, nous approchions ces travailleurs qui n’en avaient cure des regards inquisiteurs.
Nos premiers recoupements nous amènent à comprendre que les hommes, pour la plupart, sont des ressortissants de Ségou. Tandis que les femmes viennent de Bamako, mais tous partagent le même secteur d’activité. Vanner le mil ou le riz est le plus souvent la chasse gardée de la gent féminine. Aujourd’hui, des hommes aussi exercent cette profession. Ils sont installés devant les magasins. Moralité de l’histoire : les hommes pratiquent aussi les métiers réservés d’antan aux femmes et vice versa. Un vieillard explique qu’auparavant, ce travail était effectué par des machines, notamment au niveau de l’Office du Niger à Ségou pour le compte de l’Office des produits agricoles du Mali (OPAM). Ces céréales apurées étaient donc destinées à la vente. Actuellement, aucune de ces machines n’est opérationnelle. Ce facteur combine avec les contingences de la vie a amené des femmes à en faire un véritable métier pour subvenir à leurs besoins. Pour celles qui ont perdu leurs maris, c’est une question de subsistance parce qu’il y a plusieurs enfants à leur charge. Au lieu qu’elles se tournent les pouces ou qu’elles tendent la sébile, elles préfèrent donc chercher leur pitance en travaillant de leurs mains. Notre interlocuteur (le vieillard) rappelle un adage très répandu qui dit : «la faim chasse le loup hors du bois», autrement dit la nécessité contraint ces femmes à faire ce dur métier pour soutenir leurs familles. Parce que dans certains cas, les maris n’ont pas de quoi s’occuper de leurs épouses, souligne le septuagénaire. Adama Sangaré, commerçant de son état, est installé au niveau de la Grande mosquée. Il explique que depuis des lustres, des femmes officient comme vanneuses à cet endroit. C’est un métier éprouvant pour une récompense dérisoire, dit notre commerçant qui rappelle que les accords passés avec les vanneuses sont très clairs. Elles sont payées au prorata des sacs vannés. Mais c’est une fois le travail fini que la personne entre en possession de son dû. L’argent reçu par une vanneuse par sac oscille entre 200 et 350 Fcfa. Il faut donc vanner 10 sacs pour avoir 2000 ou 3500 Fcfa. Mais le commerçant en face de la Grande mosquée s’empresse de préciser que les femmes peuvent travailler de 8 à 19 heures sans pouvoir vanner 5 sacs. C’est tout à fait le contraire chez les hommes dont les prouesses peuvent culminer à 20 sacs vannés par jour.
PAR NÉCESSITÉ. Fodé Sangaré exerce aussi le commerce. Il explique que les femmes font ce métier pour elles-mêmes. «Nous les payons en fonction des efforts accomplis dans la journée», confie-t-il, ajoutant que c’est pitoyable de voir les femmes travailler ainsi. Puisqu’elles n’ont pas d’autres moyens de subsistance, elles n’ont donc pas le choix. Avec ses 35 ans d’expérience dans le commerce de céréales, M. Sangaré a toujours satisfaction avec les vanneuses. Korotoumou Diarra exerce la profession de vanneuse depuis quelques années maintenant. Elle avoue qu’elle fait ce métier par nécessité, c’est-à-dire pour avoir de quoi payer la popote et soutenir sa «petite famille ». Cette mère de famille désabusée confie que les choses sont très compliquées. Au lieu d’épauler juste son époux qui vend de la friperie, elle se retrouve véritablement en soutien de famille parce que le commerce de son mari ne prospère pas. Il peut passer toute une journée sans gagner le moindre kopeck et s’accommode mal de cette situation.
La trentenaire dépassée, «Koro» exprime à qui veut l’entendre son envie d’abandonner le métier de vanneuse. «La fatigue qu’on éprouve dans ce métier est énorme comparativement aux salaires. Je ressens des douleurs à la poitrine très souvent et pour me soigner, je dépense tout l’argent gagné. Le plus souvent, cela ne suffit même pas à payer les frais de consultation, des examens et analyses biomédicales et autres ordonnances», explique-t-elle. A seulement 17 ans, Djénèbou a appris très tôt à vanner le riz. Le peu qu’elle gagne est remis à sa maman. Son père est un compressé. Il travaillait dans une entreprise de la place qui a touché le fond. Djénèba a été contrainte d’abandonner l’école pour soutenir les siens. Elle peut vanner entre 4 ou 5 sacs de céréales (riz ou de mil). Une autre dame, âgée de 50 ans, explique avoir débuté dans ce métier très tôt. Elle assure la charge de ses enfants et petits enfants et pense être dans l’obligation morale de le faire. Mais par la grâce d’Allah, elle ne se plaint pas trop, parce que souvent les commerçants la gratifient de bonus. Ainsi, elle peut gagner plus que le travail accompli dans la journée. «Ces âmes sensibles me prennent en pitié et paient même parfois mes ordonnances quand je tombe malade», raconte-elle. Mais comme d’autres vanneuses, notre interlocutrice reconnaît que c’est un métier éprouvant pour l’organisme humain.
Un groupe de jeunes hommes faisant du tamisage laisse entrevoir une complicité entre ses membres. «Nous sommes tous natifs de Ségou et exerçons ensemble ce métier. Nous ne gagnons pas assez et nous sommes prêts à s’essayer à d’autres métiers plus rentables », souligne un membre du groupe.
Aminata TRAORÉ
Source: Essor