L’Indonésienne Shandra Woworuntu croyait réaliser son “rêve américain” en venant travailler à Chicago. Elle fut tout au contraire catapultée dans les bas-fonds de l’esclavage sexuel aux Etats-Unis.
Aujourd’hui âgée de 37 ans, saine et sauve en Amérique et travaillant pour une ONG, la jeune femme a levé le voile pour l’AFP sur le sort de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants que des associations disent victimes chaque année d’une traite internationale d’êtres humains, au cœur de la première puissance mondiale.
En 2001, après avoir perdu son emploi d’analyste financière dans une Indonésie ravagée par la crise économique asiatique, Shandra Woworuntu, tout juste mère de famille, répond à une offre d’emploi temporaire dans un hôtel de Chicago.
Armée d’un précieux visa de travail pour les Etats-Unis, elle quitte son pays et sa fille au printemps 2001, lui promettant de revenir au plus vite.
“J’étais excitée, je croyais au rêve américain. J’allais gagner de l’argent et rentrer au bout de six mois”, raconte-t-elle à l’AFP à Washington.
Mais à peine le pied posé sur le sol américain, elle est cueillie à l’aéroport JFK de New-York et emmenée de force par un gang du crime organisé. “Ils m’ont mis un pistolet sur la tempe et j’ai uniquement pensé à sauver ma peau”, murmure-t-elle.
Elle se souvient de sa première nuit à New-York, jetée selon son récit dans un bordel avant d’être exploitée par plusieurs proxénètes, dont un Malaisien du nom de “Johnnie Wong”, un Taïwanais parlant le cantonais, et un Américain.
“J’ai peut-être été kidnappée, je ne sais plus exactement, je n’ai pensé qu’à survivre”, lâche-t-elle, encore traumatisée.
Ses compagnes d’infortune sont toutes des jeunes filles étrangères, dont deux autres Indonésiennes. A 25 ans à l’époque, elle est la plus âgée du groupe. La plupart sont encore adolescentes, la plus jeune n’a pas 12 ans, se rappelle Shandra Woworuntu.
Pendant plusieurs mois, elle raconte avoir été forcée de se prostituer toutes les nuits dans des casinos et des hôtels, les clients venant choisir une fille ou commandant par téléphone.
Traite d’êtres humains
“Le téléphone n’arrêtait pas de sonner”, se remémore Shandra, affirmant que ces victimes d’un “esclavage des temps modernes” étaient le plus souvent privées de nourriture.
La jeune femme est transportée d’un hôtel à un autre dans un mini-bus aux vitres teintées, enfermée dans des chambres aveugles et sous haute garde. Très vite, elle perd toute notion du temps et de l’espace. Ses geôliers lui disent qu’elle doit travailler pour rembourser “30.000 dollars de frais de recrutement”.
“Ce n’était pas le boulot qu’on m’avait promis”, lance-t-elle sans sourire.
Shandra ne sait pas combien de temps a duré sa captivité. Elle se rappelle simplement être arrivée aux Etats-Unis au printemps et s’être échappée la même année “quand il faisait froid”.
Ce jour d’hiver, elle profite d’une fenêtre de salle de bain pour sauter deux étages plus bas. Sans papiers, elle dit avoir vécu des semaines dans la rue, sans convaincre ni la police, ni les églises de l’enfer dont elle a réchappé.
Shandra Woworuntu est finalement recueillie par une association d’aide aux victimes d’exploitation sexuelle, Safe Horizon, qui croit à son histoire, semblable à des milliers d’autres, qu’elles concernent des étrangers ou des Américains, selon les ONG.
L’association Alliance To End Slavery and Trafficking estime qu’entre 14.000 et 17.000 hommes, femmes et enfants sont les cibles, chaque année, d’une traite d’êtres humains aux Etats-Unis, alimentant les milieux de la prostitution ou du travail forcé dans des fermes et ateliers clandestins.
“C’est du crime organisé, très bien organisé, et de plus en plus sophistiqué”, s’alarme la directrice de l’Alliance, Melysa Sperber, qui exhorte le gouvernement américain à resserrer ses contrôles.
Dans son rapport mondial 2013 sur la traite d’être humains, le département d’Etat a reconnu que les Etats-Unis étaient “une source, une destination et un lieu de transit pour des hommes, femmes et enfants, américains et étrangers, victimes de travail forcé (…) et de traite sexuelle”. La plupart viennent du Mexique, du Honduras, de Thaïlande, des Philippines et d’Indonésie.
© 2014 AFP