Après un premier décret présidentiel qui gracie environ 1200 prisonniers sur l’ensemble du territoire national, le Président Ibrahim Boubacar KEITA vient de taper fort, à l’occasion de la célébration de la nuit du destin correspondant au 27em jour du ramadan. A quelques instants de la fermeture des portes de la prison, 400 détenus triés sur le volet furent remis en liberté dans la cadre de la lutte contre la propagation de la COVID-19 au Mali,
Que du bonheur pour les familles ainsi reconstituées, la liberté n’a pas de prix. L’espoir et la rédemption sont-ils au rendez-vous? Il faut l’espérer quand on sait que la récidive est un phénomène social non négligeable au Mali.
Mais au-delà de cette bonhomie solidaire et contagieuse à l’égard des autres, c’est l’occasion pour, le juriste que je suis, de jeter un regard rétrospectif sur la démarche entreprise.
La grâce présidentielle est l’une des prérogatives attachées à la fonction présidentielle au Mali.
L’article 45 de la Constitution du Mali dispose que : «Le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Il exerce le droit de grâce. Il propose les lois d’amnistie ».
Le droit de grâce est différent de l’amnistie, l’oubli en grec, qui efface rétroactivement le caractère punissable des faits comme s’ils ne se sont jamais passés. Reprocher un fait amnistié à son auteur devient alors punissable tout comme le fait pour le bénéficiaire de l’amnistie de se prévaloir des mêmes faits vis à vis de ses victimes.
Contrairement à l’amnistie qui découle d’une proposition de loi formulée par le Président, la grâce découle d’un décret présidentiel qui permet de réduire ou de supprimer une sanction pénale. Si le Président vous accorde la grâce, selon qu’elle est partielle ou totale, vous serez dispensé d’exécuter partiellement ou totalement votre peine. On vous libère sur le champ.
Elle suppose donc un certain nombre de préalable, une procédure à suivre, une qualité pour la solliciter et une condition de fond :
1- Dans la pratique, la procédure exige une demande écrite émanant de personnes habilitées à demander la grâce présidentielle à savoir le condamné lui-même ou son avocat , un membre de sa famille, le Procureur de la République compétent via les services de l’administration pénitentiaire .
2- Un dossier technique est joint à la demande. Il s’agit plus exactement d’un rapport à dire d’expert bâti sur le comportement du détenu qui du fait de son éventuelle réinsertion ne doit pas présenter un danger pour la société . Et ce dossier technique doit faire l’objet d’une véritable instruction par le cabinet du Président de la République en vue de l’obtention de la grâce présidentielle. Le président peut accorder la grâce comme il peut la refuser. En cas de refus aucune voie de recours ne peut être exercer à l’encontre de cette décision.
2- Et enfin les questions de fond, qui peut bénéficier de la grâce présidentielle et dans quelle condition ? C’est la réponse à ces questions précises qui vaut le pourquoi de ce petit billet sur la régularité de ce qui nous a été servi.
Le Président en a-t-il été informé ? Seul dieu sait!
En vérité, n’importe quel détenu ne peut pas bénéficier de la grâce présidentielle. Une condition indispensable et insurmontable de fond existe.
Il faut que la peine du détenu soit définitive et exécutoire. C’est-à-dire que tous les recours (appel ou pourvoi en cassation) doivent être épuisés, ce qui signifie que le détenu ne peut plus contester juridiquement sa condamnation. Aucun risque de violation du principe de la présomption d’innocence ne doit subsister au moment où la grâce intervient en dernier ressort. Si tel n’est pas le cas , l’amnistie du détenu demeure la seule alternative juridiquement admissible à ce stade.
Par ailleurs, si le but recherché est bien la protection de la vie des détenus en temps de pandémie, comment comprendre alors que des personnes présumées innocentes et détenues préventivement pour des faits qu’elles n’admettent pas avoir commis se voient, au même moment, refuser leur demande de liberté provisoire quand d’autres, bien que condamnés, recouvrent la liberté? Ces personnes non condamnées par une instance juridictionnelle ne méritent-elles pas, elles -aussi, la protection de la loi et des autorités maliennes.
C’est cet aspect sélectif de la Grâce présidentielle lié à la pandémie Covid qui pose un réel problème d’équité.Faut-il désengorger nos prisons en mettant en liberté provisoire les milliers de détenus préventifs présumés innocents et en attente de jugement ou gracier tout bonnement des détenus déjà reconnus coupables et condamnés? L’idéal serait de vider en commençant par les détenus préventifs sans lien avec la criminalité violente et ensuite les condamnés. C’est une question d’équité et de cohérence. Personnellement, je préférerais protéger d’abord les présumés innocents que les déjà condamnés. On peut me juger cynique quand je dis ça mais ce n’est pas du cynisme, un présumé innocent en droit est un innocent tant que sa culpabilité n’a pas été démontrée. Un adage juridique de notoriété publique proclame qu’«il vaut mille fois mieux libérer un coupable que de causer du tort à un innocent » .
Nul ne connaît la liste complète des personnes graciées pour la simple raison qu’elle n’a pas été publiée comme il se doit. Mais un cas emblématique triomphalement annoncé par les autorités elles -mêmes sur les réseaux sociaux, a heurté notre bon sens.
Cette personne qui a été condamnée en première instance à 2 ans de prison ferme pour apologie du Terrorisme et offense au chef de l’Etat avait relevé appel de sa décision et le dossier est actuellement pendant devant les juges d’appel. Dans ces conditions, il n’est pas éligible à la grâce tant qu’il conteste le bien fondé de la peine infligée. Fallait-il au contraire l’amnistier ? Peut-être ! Les mêmes remarques valent pour certains dossiers pendant devant des cabinets d’instruction, les mis en cause furent graciés en pleine Instruction par la simple volonté du prince du jour. Cela doit-il mettre fin immédiatement aux procédures suivies contre ces personnes. Il y a lieu de s’interroger.
Après tout «mouna ambè woro gnini manogo la » , la silure n’a pas de cuisse, faut pas rêver.
La grâce présidentielle est la voie toute tracée, peut-être, pour rechercher la paix sociale et c’est tant mieux, je n’y vois aucun inconvénient. Mais de grâce, mettons l’esthétique Républicaine au centre des activités institutionnelles. Le formalisme, la légalité et la cohérence constituent le socle d’une démocratie affirmée.
Les magistrats ne devraient pas laisser passer ces agressions faites à la loi. Le pouvoir judiciaire est le pouvoir qui arrête le pouvoir. Et en toutes circonstances, il faut toujours s’évertuer à affirmer la prééminence du droit et la forme est la rançon du droit. Il appartient au pouvoir judiciaire de tracer les frontières entre le possible et l’impossible et minimiser les ingérences dans la saine distribution des pouvoirs au sein de la République au lieu de se confiner dans une posture de département de l’exécutif.
Nous ne sommes pas dans un royaume.
Me Alassane A Diop, avocat à la cour.