La Charte de la Transition malienne prévoit un exécutif tricéphale : le président de la Transition, le vice-président et le Premier ministre se partagent le pouvoir. Selon l’article 7, « le président de la Transition est secondé par un vice-président. Il est désigné suivant les mêmes conditions que ce dernier.
Le vice-président est chargé des questions de défense et de sécurité ». L’article 11 dispose, lui, que « le Gouvernement de la Transition est dirigé par un Premier ministre nommé par le président de la Transition ». Le texte, qui remplace la Constitution de la IIIe République, a le mérite de la simplicité, mais sa concision permet diverses interprétations. Depuis son instauration, force est de constater que l’application de la Charte a été souvent renouvelée. Si, dès septembre 2020, un triumvirat très marqué par la présence militaire dirigeait le Mali, depuis le 24 mai 2021 et la vacance de la vice-présidence, l’exécutif est désormais bicéphale. Mais, alors, du Président ou du Premier ministre, qui gouverne le régime de transition ?
Le primat de la primature ?
Parce qu’elle dépend du Président, Assimi Goïta, du point de vue politique et juridique, la nomination de Choguel Maïga à la primature pourrait signifier la supériorité du chef de l’État dans le duo qu’il forme avec le chef du gouvernement. Toutefois, depuis qu’il est en poste, l’ancien responsable du M5-RFP occupe l’espace médiatique et politique : en juin dernier, il annonçait la tenue des Assises nationales de la Refondation, censées préparer l’instauration d’un régime civil, avant de reporter les élections ; en matière internationale, il s’exprimait sur le rôle, selon lui négatif, de la France au Mali. Son exposition a conduit à l’effacement volontaire du Président. Nous y voyons trois raisons au moins. L’expérience, d’abord, de Monsieur Maïga pallie les maladresses et la personnalité falote d’un Assimi Goïta incapable de discourir. Engagé depuis plus de vingt ans en politique, chef de parti, candidat à la présidence de la République, il a passé au total plus de six ans à la tête des deux ministères qui lui furent confiés. Ensuite, comme ancien membre du M5, qui lutta contre Ibrahim Boubacar Keïta, il peut rassurer une partie du peuple, inquiet de la politique de la junte ; comme réserviste et ancien président du parti unique sous le régime de Moussa Traoré, il a aussi la confiance de l’armée. Dans le domaine international, enfin, le civil qu’il est légitime le pouvoir inique des militaires ayant mis fin à la IIIe République, au mépris du droit. Dans ces conditions, le chef du gouvernement supplante-t-il le Président – plus ou moins réduit à un rôle protocolaire, ou honorifique, bien qu’il puisse, à son gré, remplacer le Premier ministre ?
Une hydre à deux têtes
Depuis le mois de juin, un partage tacite des pouvoirs a fixé les missions des deux membres de l’exécutif : au Président les questions militaires, de défense et de sécurité ; au Premier ministre civil les sujets politiques, puisqu’il est chargé de conduire la politique du pays. À première vue, cette répartition entraîne une application inédite de la Charte, c’est-à-dire à l’instauration de deux présidents : l’un militaire, l’autre politico-civil. Cette interprétation originale prouverait la volonté d’une gouvernance pacifique du Mali et le souci de rendre pérennes les institutions d’un État, aussi fragile et illégitime soit-il. Mais n’est-il pas simpliste de prétendre séparer les questions de défense et de sécurité de politique nationale ? En effet, le 9 décembre dernier, le Président Goïta, après avoir commencé son discours en liant l’insécurité et l’avenir du Mali, déclarait : « [C]hanger le Mali, c’est changer de prime abord le Malien lui-même. D’où la nécessité d’une transformation fondamentale des mentalités et des comportements. Toute chose qui passe obligatoirement par le renforcement de l’éducation familiale, formelle et non formelle ainsi que par l’instruction civique ». Il n’y a pas programme politique plus ambitieux, surtout pour un Président dont les compétences devraient se limiter au commandement militaire.
Finalement, à cause d’une rédaction imprécise, voire hasardeuse, la Charte a produit une horreur constitutionnelle : une présidence à deux têtes a surgi, dont les prérogatives s’entremêlent et ont englouti la vice-présidence et ses attributions. Si l’une semble prévaloir, elle risque à tout moment d’être dévorée par l’autre. La junte a accouché d’une hydre, qui contrôle le Mali pour une durée indéterminée.
Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord ; diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et avocat au Barreau de Paris.