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Tunisie : sainte Mbarka

Élue de gauche dans la nouvelle Assemblée, la veuve du député assassiné Mohamed Brahmi, Mbarka Aouania, est résolue à poursuivre le combat de son époux. Portrait d’une dame de fer au coeur de velours.

Mbarka-Aouania-Brahmi tunusie depute

Le 2 décembre, elle a fait son entrée, comme tous ses pairs, sous la coupole du Bardo pour participer à la séance plénière inaugurale de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP), issue des législatives du 26 octobre. Mais Mbarka Aouania n’est pas une élue comme les autres. Veuve de Mohamed Brahmi, ancien secrétaire général du Courant populaire, assassiné le 25 juillet 2013, elle n’a rien laissé transparaître de son émotion en prenant place non loin du siège qu’avait occupé son mari.

Par son éloquence, son intégrité, sa force tranquille et cette grande dignité dont elle ne s’est jamais départie depuis la mort de son époux, elle est aujourd’hui l’une des figures politiques les plus respectées et les plus populaires du pays.

Candidate aux législatives sous son nom de jeune fille, cette mère de cinq enfants, qui s’est toujours entièrement consacrée à sa famille – hormis deux intermèdes durant lesquels elle a été institutrice -, a décidé de poursuivre le combat de Mohamed Brahmi, lequel s’était notamment illustré en dénonçant l’indifférence du pouvoir à l’égard des régions de l’intérieur, pourtant berceaux de la révolution.

C’est d’ailleurs dans la circonscription de Sidi Bouzid, dont son mari était originaire, que Mbarka a été élue. Humble et lucide, elle reconnaît “avoir été choisie par le Front populaire (FP) pour le symbole et en hommage au martyr Hadj Mohamed Brahmi”. Mais elle n’en a pas moins des opinions bien tranchées et ne mâche guère ses mots. À l’annonce des résultats des législatives, elle a été l’une des premières voix, alors que les négociations entre les différentes formations pour la répartition des pouvoirs étaient à peine amorcées, à dénoncer les micmacs politiques.

Et de déclarer sans ciller : “Les urnes ont démontré que, sous la table, les deux partis de droite, l’un libéral, l’autre religieux, marchent main dans la main. Préparons-nous à une nouvelle troïka”, en référence à la coalition gouvernementale qui a dirigé le pays de décembre 2011 à janvier 2014. Résolue à reprendre le flambeau laissé par son mari, elle ne s’est fixé aucun objectif de carrière. “Je n’ai pas l’ambition d’accéder à une charge ministérielle. Mon unique ambition est de faire en sorte que les petites filles de Sidi Bouzid poursuivent leurs études, que les habitants de la région accèdent à l’eau potable, que les femmes travaillent dans de meilleures conditions. C’est ma source de motivation et mon devoir”, a-t-elle assuré à l’issue du scrutin du 26 octobre.

Cette cuisinière hors pair, dixit son fils aîné Adnène, a pourtant hésité à s’engager en politique, avant d’accepter de rejoindre les rangs du FP. Et ne cache pas sa détermination à faire toute la lumière sur le meurtre de son mari. “Quand la vérité sera connue et dite, alors poindra la liberté”, confie-t-elle avec une certaine retenue, consciente de l’ampleur de la tâche et des multiples obstacles qu’il lui faudra surmonter pour parvenir à ses fins.

L’amour de la patrie et le combat pour la liberté

Issue d’une famille de la classe moyenne de Sidi Ali Ben Aoun, à 50 km au sud de Sidi Bouzid, Mbarka s’est forgé un tempérament au sein d’une fratrie de treize enfants, poursuivant des études contre l’avis de ses dix frères. C’est d’ailleurs sur un campus à Tunis que son coeur a commencé à battre pour un militant du Mouvement des étudiants arabes progressistes et unionistes de dix ans son aîné et dont elle fera l’homme de sa vie.

Personne n’avait encore pris la mesure de la personnalité de Mbarka le jour de l’assassinat de Mohamed Brahmi. Voilée, sur la réserve, les yeux remplis de chagrin, elle passe de prime abord pour une femme au foyer endeuillée et un peu bigote. Mais l’attitude de “la veuve du hadj” dès le lendemain du drame apporte immédiatement un démenti cinglant.

Plutôt que de se contenter de faire son deuil en s’occupant du chantier d’une maison en cours de construction ou de l’exploitation agricole familiale, Mbarka part publiquement en guerre, avec une rare éloquence et une étonnante force de conviction, contre le dévoiement de l’islam, assurant “qu’une femme qui perd l’homme qu’elle aime finit par dépasser la douleur pour s’engager dans son sillage. Le hadj m’a laissé un héritage précieux : l’amour de la patrie et le combat pour la liberté”. Car Mohamed Brahmi avait fait de son épouse sa confidente, celle avec laquelle il partageait ses points de vue politiques et débattait du bien-fondé de ses positions. Mbarka a été à cette école-là ; son caractère et son intelligence ont fait le reste.

“Qui s’y frotte s’y pique”

Au départ, son intransigeance et son franc-parler, mais aussi son air un peu bougon et une certaine distance ont surpris, avant de lui conférer très rapidement une stature. Elle ne s’exprime jamais par hasard et toujours avec une honnêteté confondante. Au début, on l’écoutait par respect pour son deuil. Mais, très vite, elle en impose tellement que même ses détracteurs ont fini par lui prêter une oreille attentive. N’a-t-elle pas subjugué des milliers de Tunisiens lors du discours mémorable qu’elle a prononcé en août 2013 durant le sit-in d’Errahil, consécutif à l’assassinat de son mari et qui conduirait Ennahdha à quitter le pouvoir ?

Personne n’a oublié son réquisitoire quand, d’une voix contenue et sans trembler, elle a accusé les islamistes d’avoir fomenté le crime, osant conclure par un tonitruant : “Pissez-leur dessus ; je n’ai pas honte de le dire, car ce sont des criminels.” Elle n’est alors plus “la veuve du hadj”, mais Mbarka, une égérie à la fois rassurante et réconfortante bien qu’elle ne rechigne pas à la confrontation.

Le dicton “qui s’y frotte, s’y pique” lui sied à merveille, au point qu’elle relève, avec humour et une pointe de colère, que certains élus d’Ennahdha, comme Ali Laarayedh, ancien Premier ministre, en poste en 2013, et Walid Bennani, député de Kasserine, évitent de la croiser dans les couloirs de la nouvelle Assemblée. En revanche, Abdelfattah Mourou, membre fondateur d’Ennahdha, dont elle a été l’adversaire malheureuse pour le poste de vice-président de l’ARP, l’a gratifiée d’un baiser sur la tête à l’issue du vote. “Elle est descendue dans l’arène parce qu’on a tué son mari ; en faisant de la recherche de la vérité son premier devoir, elle lui fait ses adieux et lui rend hommage depuis le lieu qu’il a conquis”, commente Raouf Raïssi, un membre de la société civile.

Mohamed Ennaceur, nouveau président de l’ARP, qui avait omis de citer son époux, l’a appris à ses dépens. “Il est probable que vous ne seriez pas à cet endroit sans le meurtre du député Brahmi et le sit-in d’Errahil du Bardo”, lui lance-t-elle. Mais Mbarka ne s’inscrit pas dans une logique revancharde. Elle se bat pour qu’éclate la vérité. Celle que l’on a surnommée “veuve courage” a transcendé sa douleur pour mener un combat. “La vérité sur les assassinats politiques doit être faite. Avec le Front populaire, nous défendrons ces dossiers bec et ongles vu que nous en sommes les premières victimes”, martèle Mbarka, qui associe à sa lutte Basma Khalfaoui, veuve de Chokri Belaïd, leader de gauche assassiné en février 2013.

Mbarka dérange et elle le sait

En siégeant à l’ARP, Mbarka sait qu’elle pourra faire mieux entendre sa voix pour exiger la vérité, quitte à se mettre à dos ceux qui ne sont là que dans une logique de conquête de pouvoir. “Elle est incompatible avec un milieu où règne l’opportunisme. Elle agit comme un révélateur d’une voyoucratie qui se croyait investie d’une légitimité”, confie l’un de ses proches, qui craint que son combat ne l’isole, même des siens, en lui conférant une plus grande dimension encore. Déjà certains ironisent et persiflent.

“Comme le Front populaire est en mal d’audience, quoi de mieux que d’exploiter la souffrance d’une femme qui en fait trop et qui erre comme une âme perdue au milieu de la faune politique pour faire pleurer la perte cruelle d’un mari devenu héros malgré lui !” lâche, avec peu d’élégance, Salem Ben Ammar, docteur en sciences politiques. Mbarka dérange et elle le sait. Surtout quand elle dénonce l’islam politique en général et les liens d’Ennahdha avec l’organisation internationale des Frères musulmans en particulier, mais elle persiste et signe. “Souriez, vos ennemis n’aiment pas ça”, recommande-t-elle aux Tunisiens.

Source: jeuneafrique.com

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