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Tribune sur l’extrait de Modibo Keita : ‘’ Jubilé du Cinquantenaire un autre regard’’ : La marche vers le 22 septembre, la raison d’un choix, les leçons de l’histoire

Le peuple malien célèbre, le dimanche 22 septembre, le soixante-quatrième anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale : de son indépendance. Cette célébration, ces dernières années, est de plus en plus banalisée. On commémore plus qu’on ne célèbre. Depuis des lustres, le peuple est sevré de la retraite aux flambeaux et du bal populaire dans la nuit du 21 au 22 septembre, des défilés et des manifestations populaires la journée du 22 septembre. En particulier, c’est du défilé militaire sur le boulevard de l’Indépendance dont les Bamakois sont sevrés. Dans cette tribune déduite d’une étude, le Professeur Issiaka Ahmadou Singaré nous plonge dans un retour à la réalité avec la réponse à trois questions : quelles ont été les étapes franchies avant le 22 septembre 1962 ?  Pourquoi le choix de la date du 22 septembre ? quelles leçons tirer de ce qui s’est produit dans notre pays de 1946 au 22 septembre 1960 ?

  1. L’évolution politique du Soudan Français vers l’indépendance

Entre le 6 novembre 1946 le 22 septembre 1960, notre pays a connu quatre périodes différentes de son histoire contemporaine : celles de l’Union Française, de l’autonomie interne au sein de l’Union Française, de la Communauté Franco-Africaine et, enfin, de la Fédération du Mali. Le 22 septembre 1960 est à considérer comme la résultante des faits qui se sont déroulés durant ces quatre périodes.

  1. 6 novembre 1945 – 23 juin 1956 : l’Union Française

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France est sommée, par les vainqueurs, de décoloniser. Elle s’y résout à contrecœur. Plutôt que de plier bagages et de partir, elle choisit de partir en restant. Elle se dote, le 13 octobre 1946, d’une nouvelle constitution, celle de la IVè République et forme, avec ses possessions d’outre-mer, l’Union Française. Le 25 octobre, comme pour associer les colonisés à la gestion de leurs affaires intérieures, elle crée les Conseils généraux qui évolueront pour devenir des Conseils territoriaux. Le Conseil général du Soudan et son avatar, le Conseil territorial du Soudan seront dominés par le PSP jusqu’en 1956. Se succéderont à leur présidence, Tidiane Fagadan Traoré et Fily Dabo Sissoko.

L’Union Française est acceptée par les colonies d’Afrique subsaharienne. A l’époque, celle-ci comportait deux fédérations de colonies, deux Etat sous tutelle et l’île de Madagascar. Les deux fédérations de colonies sont l’Afrique Occidentale Française (AOF) et l’Afrique Equatoriale Française (AEF). Les deux Etats sous tutelle sont le Cameroun et le Togo. L’AOF comportait huit colonies : la Côte d’Ivoire, le Dahomey (actuel Benin), la Guinée Française, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), la Mauritanie, le Niger, le Soudan Français (actuel Mali) et le Sénégal.

La France mettra dix ans (1946 – 1956) pour leur reconnaître un début d’émancipation. Durant ces dix années, les seules avancées notables sont, en général, outre l’obtention de certaines libertés individuelles, la transformation des colonies en Territoires d’Outre-Mer (TOM), l’octroi de la citoyenneté de l’Union Française aux « indigènes » des TOM, la suppression du travail forcé.

En particulier, les Soudanais profitent des espaces de libertés qui leur sont reconnus pour créer des associations, des syndicats et des partis politiques, voter et envoyer des députés aux deux Assemblées nationales constituantes, celle de novembre 1945 et celle de juin 1946.

Deux hommes briguent les suffrages du deuxième collège, celui des « sujets de l’Empire » par opposition au premier collège, celui des citoyens français : Fily Dabo Sissoko et Mamadou Konaté. Le premier est élu député de la circonscription du Soudan-Niger le 18 novembre 1945. Au lendemain des élections, les deux adversaires transforment leur équipe de campagne en partis politiques. Ainsi voient le jour, en 1946 : le Bloc Soudanais de Mamadou Konaté et le Parti Progressiste Soudanais (PSP) de Fily Dabo Sissoko à côté du Parti Démocratique Soudanais (PDS) d’Idrissa Diarra. Déjà, le clivage, quand tout incite à constituer un front uni contre les abus de la colonisation.

La France consacre l’essentiel de son activité outre-mer à la lutte contre aux nationalistes ayant rejeté l’Union Française. Se sentant relégués au second plan à Paris, les députés subsahariens s’organisent, se rencontrent à Bamako et créent un parti supra-territorial en octobre 1946 : le Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Le RDA doit être représenté dans chaque territoire par une section. Les trois partis soudanais se rencontrent pour fusionner. C’est un échec ; de nouveau, le clivage. Le Bloc Soudanais et le PDS fusionnent pour donner naissance à l’Union Soudanaise-section territoriale du RDA (US-RDA). Le PSP choisit de préserver son autonomie, reprochant au RDA son apparentement avec le Parti Communiste Français (PCF).

Aucun des deux partis n’est à l’abri des divisions internes. Elles sont très marquées au sein de l’US-RDA avec les oppositions entre partisans de Mamadou Konaté et ceux de Modibo Keïta. A noter que Mamadou Konaté est membre fondateur du RDA dont il est le premier vice-président là où Modibo Keïta n’est membre fondateur ni du RDA ni de l’US-RDA. En octobre 1946, comme Ahmed Sékou Touré du reste, il ne figure pas parmi les congressistes n’est même pas présent à Bamako.

Les partisans de Mamadou Konaté sont conduits par Tiémoko Diarra. Ils remportent une première manche lors de la tenue du IIIè Congrès de l’US-RDA en septembre 1952, avec la création du poste de président du parti et l’élection de Mamadou Konaté à ce poste. Les seconds auront l’année d’après, le dessus en réussissant à faire élire Modibo Keïta comme Conseiller de l’Union Française contre Tiémoko Diarra, candidat sortant. A cette occasion, le parti a frôlé l’implosion. Mais la sagesse a prévalu. Tiémoko Diarra a retiré sa candidature quelques heures avant la clôture du dépôt des listes.

Le clivage s’accentue et atteint son paroxysme lors du désapparentement du RDA avec le PCF. De nouveau, le parti est au bord de l’implosion. Mamadou Konaté est pour la rupture, Modibo Keïta, contre. Lors d’un vote du Comité directeur de l’US-RDA, ce dernier est mis en minorité avec un résultat de 11 voix contre 5. Ses adversaires poussent plus loin, le sommant de démissionner de son poste de Secrétaire général du parti pour rejoindre son nouveau poste d’affectation, Tombouctou.

En décembre 1951, il a dû se sentir concerné par cette phrase de Mamadou Konaté : « Que ceux qui veulent faire un parti communiste aillent le créer… » La querelle rebondit lors de la tenue du IVè Congrès ordinaire de l’US-RDA (22-25 septembre 1955) avec des échanges peu amènes entre les deux hommes, le Président du parti et le Secrétaire général à l’ouverture et à la clôture des assises. La disparition de Mamadou Konaté sera suivie d’une période d’accalmie. Modibo Keîta renforce son emprise sur l’US-RDA contraignant Tiémoko Diarra à démissionner pour créer, avec Me Sylvandre, le Mouvement Socialiste de Défense des Intérêts du Soudan (MSDIS).

Le PSP non plus n’est pas à l’abri des dissensions. La plus notoire est celle qui voit la rupture entre Fily Dabo Sissoko et Tidiani Fagadan Traoré. Le PSP a été constamment présenté comme un parti de « notables ». A tort. Certes, Fily Dabo Sissoko est chef de canton et président des chefs de canton du Soudan Français. Cependant, le PSP ne manque pas de cadres. Il en dispose même plus que l’US-RDA.

En 1951, le double collège est supprimé. Fily Dabo Sissoko doit se choisir un colistier pour les législatives de cette date en remplacement de Me Sylvandre. Les prétendants ne manquent pas : Tidiane Faganda Traoré, Yalla Sidibé, Ya Doumbia, Hamounet Dicko, Mamadou M’Bodge… Sur recommandation du gouverneur Louveau, Fily Dabo Sissoko choisit Hamadou Dicko, 37 ans. Tidiani Faganda Traoré estime le choix inconcevable. Il démissioone du PSP pour créer son propre parti, l’Action Progressiste. De la fusion de ce parti avec le MSDIS naît le Bloc Démocratique Soudanais (BDS).

AU RDA comme au PSP, les clivages continueront de se manifester jusqu’à la dissolution des deux partis, en 1968 pour le premier, en 1959 pour le second

  1. 17 juin 1956 – 13 mai 1958 : l’autonomie interne

La France subit de véritables déculottées outre-mer, en Indochine, au Maghreb. Pour ne pas perdre l’Afrique subsaharienne, elle laisse du lest. Elle promulgue une loi-cadre connue sous le nom de loi Gaston Defferre. Cette loi ne consacre pas l’indépendance des TOM. Elle autorise une décentralisation une déconcentration des pouvoirs. Chaque territoire est doté d’une Assemblée Territoriale élue au suffrage universel. Le parti majoritaire à l’Assemblée Territoriale forme un conseil de gouvernement présidé par le gouverneur du Territoire avec, comme vice-président du conseil, un élu du parti majoritaire.

L’ US-RDA remporte les élections territoires de 1956 en supplantant le Parti Progressiste Soudanais. Mahamane Alassane Haïdara est élu Président de l’Assemblée Territoriale, Jean Marie Koné est nommé vice-président du Conseil de gouvernement. Il en est ainsi dans chacun des huit Territoires de l’AOF, des quatre de l’AEF, à Madagascar, au Cameroun et au Togo. Pour le député de la Côte d’Ivoire, ces dispositions donnent entière satisfaction. Celui du Sénégal, Léopold Sédar Senghor la compare à l’association entre le cavalier et sa monture », en conteste la pertinence.

Son choix, contrarié, est celui d’une confédération unissant la France aux « fédérations primaires » que sont l’AOF et l’AEF auxquelles serait reconnue le droit à l’indépendance. Il est sur la même longueur d’onde que Modibo Keïta. Tous deux s’abstiennent lors du vote pour l’adoption des décrets d’application que le Sénégalais assimile à des « joujoux et [à] des sucettes »,

A partir de ce moment s’effectue le clivage entre deux conceptions de l’évolution des relations entre l’Afrique subsaharienne francophone et la France. Houphouët-Boigny est partisan de la dislocation de l’AOF, estimant que la Côte d’Ivoire, territoire économiquement mieux doté que les autres ne saurait être la vache laitière de territoires comme la Haute-Volta ou le Soudan. A l’inverse, Senghor prône le renforcement des pouvoirs du Grand Conseil de l’AOF, donc, des liens fédérateurs.

La balance penche du côté de Senghor. Les députés subsahariens non issus du RDA se regroupent et créent deux partis fédéraux : le Mouvement Socialiste Africain (MSA) et la Convention Africaine (CAf). Le vent de l’unité souffre. Les trois regroupements de partis veulent se fédérer. Le 29 septembre 1957, le RDA tient, à Bamako, son IIIè Congrès interterritorial. Houphouët-Boigny, inamovible Président du parti depuis sa création est présent. Les ténors de la rencontre sont Gabriel d’Arboussier, Modibo Keïta, Ahmed Sékou Touré.  Le chef du gouvernement Sénégalais, Mamadou Dia, y assiste en qualité d’observateur.

Le débat porte sur l’unification des forces politiques en vue de constituer une fédération. Houphouët-Boigny qui s’y oppose est mis en minorité. Il se retire des assises et, en sa qualité de ministre français, choisit de prendre ses quartiers au palais du gouverneur à Koulouba. Le reste du congrès se déroule en son absence. Mais, ses cadets du RDA lui évitent le déshonneur : l’idée de jeter les fondements d’une fédération n’ est pas abandonnée, mais repoussée.

Les débats entamés à Bamako se poursuivent à Paris. Mais, Houphouët-Boigny pose des conditions inacceptables pour les responsables du MSA et de la CAF. Ces derniers se retrouvent pour fusionner et donner naissance au Parti du Regroupement Africain (PRA) en mars 1958. Le duel entre Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor Senghor continue. Un événement majeur va intervenir et changer la donne.

III. 13 mai – 28 septembre 1958 : la Communauté Franco-Africaine

Le 13 mai 1958, la France connaît son énième coup d’Etat depuis qu’à la fin du XVIIIè siècle Avec l’appui des généraux de l’Armée d’Afrique, Charles de Gaulle accède à la présidence du conseil de gouvernement. Son programme tient en quatre points : mettre fin à la guerre d’Algérie, définir de nouveaux rapports entre la Métropole et l’Outre-Mer, moderniser la France, construire l’Union Européenne.

La modernisation de la France commence par la modernisation de ses institutions. De Gaulle choisit de mettre fin aux régimes des partis, source d’instabilité gouvernementale. Assisté par Michel Debré, il rédige une nouvelle Constitution et la soumet au référendum des Français, métropolitains comme ultramarins. Il leur est demandé de se déterminer par « Oui » ou par « Non ».

Dans les rangs des députés ultramarins, c’est, de nouveau, la division. A la place de l’Union Française, il leur est proposé la Communauté Franco-Africaine. Pour eux, l’alternative est la suivante : voter « oui » et devenir république indépendante membre de la Communauté Franco-Africaine ad vitam aeternam ; voter « non » et faire sécession en se mettant hors de cette communauté. En votant « oui », les Territoires, devenus Républiques », continueront à bénéficier de l’aide au développement. En votant « Non », ils font sécession et se privent de cette aide.

Face à cette proposition, trois tendances se dégagent.

La première est incarnée par Ahmed Sékou Touré. Il n’est pas contre l’association entre la France et les TOM au sein de la Communauté Franco-Africaine. Mais, il propose le schéma suivant : que la possibilité leur soit donnée d’être membres de la Communauté non en tant que TOM, mais en tant qu’Etats indépendants et souverains ; en un mot, que l’indépendance précède l’adhésion.

La deuxième tendance est celle de Houphouët-Boigny. Elle consiste faire voter « oui » conformément au vœu de Charles de Gaulle, en se privant de toute possibilité d’évoluer, par la suite, vers l’indépendance. Depuis sa rupture avec les communistes en 1954, le député de la Côte d’Ivoire a choisi son camp. Il exclut toute formule d’indépendance, son vœu étant la transformation de son Territoire en Département d’Outre-Mer (DOM). Il le fait savoir à Kwame Nkrumah, Premier ministre du Ghana en visite officielle à Abidjan : vous avez fait le choix de l’indépendance, nous avons fait celui de la lierté.

La troisième tendance est celle de Léopold Sédar Senghor. Se déterminer est plus que douloureux pour ce dernier. D’emblée, il écarte la rupture avec la France en votant « non » comme le recommande Mamadou Dia. Mais, il n’est pas non plus en faveur d’une adhésion excluant toute possibilité d’évolution vers l’indépendance. Il n’écarte pas l’adhésion à la Communauté. Mais, il recommande qu’une fois membre de la Communauté, les nouveaux Etats puissent évoluer vers l’indépendance, seuls ou groupés.

Charles de Gaulle commence par trancher en faveur d’Houphouët-Boigny. Ce dernier occupe, à ses côtés, une place de choix. Il est ministre d’Etat et membre du Conseil constitutionnel chargé de la rédaction de la Constitution. Georges Pompidou, en sa qualité de directeur de cabinet du Président du conseil, intervient en faveur de son condisciple et ami, Léopold Sédar Senghor. La Constitution est légèrement modifiée. La possibilité d’être membre de la Communauté et d’évoluer, par la suite, vers l’indépendance, seuls ou groupés, est reconnue aux TOM, au grand dam d’Houphouët-Boigny qui se dit trahi.

Le référendum a lieu le 28 septembre 1958. Au Soudan (l’épithète « français » a cessé d’accompagner le nom depuis la loi-cadre), l’US-RDA, parti majoritaire, appelle à voter « oui ». Son rival, le PSP, fait le choix contraire. Fily Dabo Sissoko assimile la proposition de de Gaulle à un diktat, voire, à un chantage ; d’où sa phrase : « Nous sommes d’un pays où l’on préfère mourir de faim plutôt que d’être substanté par celui qui vous le rappelle constamment ».

Charles de Gaulle est plus que satisfait des résultats du référendum, aussi bien de ceux de la Métropole que de ceux de l’Outre-Mer. A l’exception de la Guinée, tous les Territoires ont voté, massivement, « oui ». Il en est de même pour Houphouët-Boigny car l’esprit fédéraliste est, momentanément, enterré. Chaque TOM est indépendant et traite directement avec Paris. Le 24 novembre 1958, le Soudan devient République Soudanaise, membre de la Communauté, avec, à sa tête, Modibo Keïta, Président du conseil des ministres, Jean Marie Koné, Vice-Président.

Une nouvelle page dans les relations franco-africaines s’ouvre. Elle réserve bien des surprises à de Gaulle.

  1. 4 avril 1959 – 22 septembre 1960 : la Fédération du Mali

Léopold Sédar Senghor n’a pas renoncé à son idée de fédération. Ni Modibo Keïta. Pour celui-ci, l’heure est au choix entre continuer à cheminer avec Houphouët-Boigny et entériner la balkanisation de l’AOF ou rompre avec le Président du RDA et rallier Senghor. Il opte pour la seconde solution. Son option est également celle de Sourou Migan Apithy (Dahomey), et de Maurice Yaméogo (Haute-Volta).

La décision de créer la Fédération du Mali est prise. Quarante députés, soit dix députés par Etat, en rédigent les textes fondamentaux. Mais, vite, le nombre d’Etats fédérés tombe à deux. Ni Charles de Gaulle, ni Houphouët-Boigny ne peuvent souffrir l’idée d’un regroupement allant dans le sens contraire de leurs intérêts. Ils choisissent de le torpiller. Un port en eau profonde est proposé au Dahomey à condition qu’il se démarque de la fédération. Il n’hésite pas, il choisit le port. A la suite de pressions exercées sur la Yaméogo par Houphouët-Boigny, la Haute-Volta, à son tour, quitte le regroupement.

Sénégalais et Soudanais restent ensemble. Les textes fondamentaux sont revus pour être adaptés à la situation née du départ des deux Etats sécessionnistes. Le 4 avril 1959, le transfert des compétences est signé entre la France et la Fédération du Mali. Les institutions sont mises en place ; dont : un Parti fédéral, une Présidence de la Fédération, un Conseil de gouvernement fédéral composé de huit ministres, une Assemblée fédérale. Le 20 juin 1960, la Fédération du Mali proclame son indépendance.

Sénégalais et Soudanais se répartissent les postes de responsabilité. Senghor est élu Secrétaire général du Parti Africain pour l’Indépendance (PAF). Il cumule cette fonction avec celle de Président de l’Assemblée fédérale dont le Vice-Président est Dramane Coulibaly, député de Ségou. Modibo Keïta est nommé Président du conseil du gouvernement. Mamadou Dia est Vice-Président du conseil, cumule cette fonction avec celle de ministre de la Défense. L’élection du Président de la Fédération est prévue pour le 20 août.

Elle n’aura pas lieu, à cause de la candidature de Senghor à ce poste, candidature que récuse, fermement, les Soudanais pour les raisons suivantes : la francophilie très affirmée du candidat, son union avec une Française, sa confession religieuse. Pour eux, il n’est pas le candidat idéal ; que les Sénégalais en proposent un autre, entre Lamine Guèye et Mamadou Dia. Ce dernier, à son tour, fait preuve d’intransigeance : ce sera Senghor ou la Fédération va éclater.

Elle éclate dans la nuit du 19 au 20 août, mais pour une autre raison. Une armée fédérale est créée. Il faut en nommer le chef d’état-major. Modibo Keïta propose son aide de camp, le colonel Abdoulaye Soumaré. Mamadou Dia propose le sien, le colonel Fall. En conseil de gouvernement, un vote intervient pour trancher. Les quatre ministres soudanais et un ministre sénégalais, Boubacar Guèye, votent en faveur de Soumaré. Modibo Keïta signe le décret de nomination, Mamadou s’abstient de le contresigner. C’est le blocage.

Deux semaines durant, le conseil de ministres ne se tient pas. La date du 20 août approche. Modibo Keïta décide de mettre fin à la crise. Il convoque, le 19 août, un conseil de ministres extraordinaire. Cinq ministres sur huit sont présents, les quatre Soudanais et Boubacar Guèye. Le quorum est atteint, les délibérations sont valables. Pour crever l’abcès, Modibo Keïta prend quatre décisions importantes : il destitue Mamadou Dia de son poste de ministre de la Défense, se nomme ministre de la Défense à sa place, décrète l’état d’urgence et donne instructions au colonel Soumaré d’assurer le service du maintien d’ordre.

Les Sénégalais réagissent. Avec l’appui de la gendarmerie française, ils mettent le colonel Soumaré aux arrêts. Les agents du maintien d’ordre, placés aux points stratégiques de Dakar, sont relevés et remplacés. Les militants UPS de l’intérieur sont invités à venir investir la capitale. Enfin, les ministres fédéraux maliens ainsi que tous les responsables soudanais présents à Dakar sont assignés à résidence. Dans le courant de la nuit, l’Assemblée législative est convoquée. A l’unanimité, elle vote la loi actant le retrait du Sénégal de la Fédération, proclame l’indépendance de la République du Sénégal. Charles de Gaulle et Houphouët-Boigny exultent : la Fédération du Mali a vécu.

  1. Le choix d’une date
  2. En souvenir de la mémorable bataille de Sabouciré ?

Le 22 septembre 2010 a été celui du Cinquantenaire. Amadou Toumani Touré, Président de la République, veut lui donner un cachet particulier. Les livres d’histoire ont dû être consultés et l’on y a découvert la date du 22 septembre 1878. Ce jour, après Médine et le siège de son fort par Oumar Saïdou Tall-al-Foutiyyou, notre peuple subissait le deuxième acte d’agression des troupes d’invasion coloniale française contre son territoire.

Sur instruction du général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, le lieutenant-colonel Reybaud, depuis Saint-Louis, marche sur la cité de Sabouciré, capitale de la principauté malinké du Logo. Le prince Niamody Sissoko s’était refusé à rompre l’alliance qui le liait à Oumar-al-Foutiyyou pour se placer sous protectorat français. Or, sans cette entente avec les envahisseurs français, impossible d’arriver à Bamako perçu comme tête de pont pour descendre le Niger, atteindre Tombouctou et, de-là, progresser vers le Nord pour faire la jonction avec les troupes venues d’Algérie et vers l’Est pour réaliser l’axe Dakar-Djibouti.

Dans cet ordre d’idée, Sabouciré est devenu un verrou à faire sauter. Faidherbe ne lésine pas sur les moyens. Avec le siège de Médine, il a mesuré la détermination avec laquelle un peuple défend sa patrie. Aussi met-il à la disposition de Reybaud le nécessaire pour une campagne conçue pour être des plus courtes : 585 hommes, des militaires français appuyés par des tirailleurs sénégalais et des spahis, 80 chevaux, 4 canons.

L’attaque de la cité débute à 8 heures, le 22 septembre 1878. Sabouciré est fortifiée. Sur les remparts, les résistants se relaient, opposant une défense farouche aux agresseurs. Mais, il faut se rendre à l’évidence. La supériorité technique de l’ennemi finit par faire la différence. Après huit heures de combat, les résistants proposent au prince l’évacuation de la cité. Ce dernier déclare préférer la mort à la honte et veut rester sur place, s’il le faut, mourir les armes à la main.

Quatre esclaves ne l’entendent pas de cette oreille. Ils l’enlèvent et, sur leurs épaules, le transportent vers les berges de la Falémé où l’attend une pirogue. Le lieutenant-colonel Reybaud, avec ses jumelles, voit la manœuvre, fait pointer le canon en direction de l’embarcation, ordonne le tir. Niamody Sissoko disparaît dans les flots. Son corps ne sera pas retrouvé. La France venait de commettre, sur notre territoire, son premier crime de guerre et son premier crime contre l’humanité.

Le Président Amadou Toumani Touré se rappelle cette bataille et en récupère la symbolique. A l’occasion des festivités du Cinquantenaire, il fait procéder à une restitution de la résistance sur les lieux mêmes de l’événement. L’acte inspire à Nouhoum Dicko, envoyé spécial à Sabouciré le 3 septembre, la réflexion suivante : « 82 ans après, le Mali de Modibo Keïta accédait à l’indépendance. Sabouciré se pose en cela comme un symbole de la résistance. Point de départ de la colonisation au Mali, le village de Sabouciré est aussi un lieu de mémoire incarnant à travers le 22 septembre 1960 l’arrêt de la colonisation. »

  1. Cependant, non Sabouciré, mais plutôt la nécessité de parer au plus pressé

Certes, Sabouciré est un lieu de mémoire. Mais, elle l’est, au même titre que tous les lieux de résistance à la pénétration coloniale : le Woyowayanko, Diéna, Sikasso, Taquinbawt, Andéranboucane… L’on peut faire entorse à la vérité historique et flatter le sentiment national en établissant la continuité entre le 22 septembre 1878 et le 22 septembre 1960. Cela ne doit nullement occulter que des motivations particulières ont conduit la République Soudanaise comme date de la proclamation de l’indépendance du Mali.

Le congrès extraordinaire de l’Union Soudanaise RDA, convoquée le 22 septembre 1960, était prévue pour durer quatre jours. Il n’a duré qu’un jour. Si le calendrier initial du congrès de l’Union Soudanaise RDA avait été maintenu, cette proclamation serait intervenue le 25 septembre et cette date aurait été retenue comme celle de notre accession à la souveraineté nationale et international.

  1. 1. La sécession du Sénégal

Les raisons du choix de la date du 22 septembre sont à rechercher dans la succession des événements qui se sont produits à partir du 20 août 1960 à Dakar. Ce jour aurait dû être celui de l’élection du Président de la Fédération du Mali. Il a été le jour de son éclatement.

A partir du 20 août, il ne sera plus possible de rapprocher les deux Etats naguère fédérés ; d’où une divergence d’appréciations de la situation entre Sénégalais et Soudanais. Cette divergence transparaît clairement dans les messages que les présidents des conseils de gouvernement des deux Etats adressent au Secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, pour l’informer de ce qui s’est produit à Dakar dans la nuit du 19 au 20 août et des dispositions qu’ils souhaiteraient que le Conseil de Sécurité prenne.

Pour les Sénégalais, leur retrait de la Fédération est irréversible. Dès le 20 août, le télégramme de Mamadou Dia est, en ce sens suffisamment explicite. Il est conçu comme pour signer la première manifestation du nouvel Etat indépendant sur l’arène internationale. Le chef du gouvernement sénégalais rend compte des événements et sollicité l’adhésion du Sénégal à l’ONU en tant qu’Etat indépendant et souverain. Cette demande est réitérée le 23 août.

  1. 2. Le refus de reconnaître la sécession du Sénégal

De leur côté, les Soudanais ne demeurent pas inactifs. Pour eux, pour Modibo Keïta en particulier, la sécession du Sénégal, assimilée à une trahison, ne possède pas de fondement légal car aucune disposition constitutionnelle ne l’autorise. Aussi est-elle sans effet, « la Fédération du Mali continue ».

Les communications avec l’extérieur sont interrompues. Tous les centres de transmission sont occupés. Les Soudanais sont assignés à résidence. Grâce à un petit émetteur, depuis ses appartements, Modibo Keïta parvient à faire parvenir à Hamaciré N’Douré, Président par intérim du Conseil de gouvernement du Soudan, le texte d’un télégramme destiné à Dag Hammarskjöld et daté du 20 août. Le Président du conseil fédéral y donne des précisions sur les événements récemment survenus à Dakar et sollicite une intervention du Conseil de Sécurité pour empêcher la sécession du Sénégal.

Les dirigeants soudanais ne resteront pas longtemps en résidence surveillée à Dakar. Dès le 20 août, ils embarquent dans un train spécial, destination Bamako. Dans la nuit du 22 au 23 août, c’est l’arrivée à Bamako, sous une fine pluie.

Le 25 août est marqué la tenue d’une conférence de presse par Modibo Keïta. Il ne s’est pas encore résolu à accepter la sécession du Sénégal. Aussi anime-t-il la conférence de presse en portant double qualificatif : chef du gouvernement fédéral du Mali et chef du gouvernement de la République soudanaise.

La séance a lieu dans la salle du conseil des ministres à Koulouba en présence des membres du gouvernement et du Bureau Politique National (BPN). Plusieurs points sont abordés lors de la séance, dont la ferme détermination à maintenir l’unité de la Fédération. Il se dit prêt à recourir à tous les moyens, y compris l’usage de la force, pour s’opposer au séparatisme du Sénégal : « Il n’y a rien », déclare-t-il, « que nous ne puissions envisager pour maintenir l’intégrité territoriale du Mali. »

Au cas où l’indépendance du Sénégal serait reconnue par un Etat, à l’égard de cet Etat, répond-il, « nous adopterons une attitude analogue à celle des puissances occidentales à l’égard de la Chine. » Pour lui : « Le Mali est juridiquement indissoluble. » Aussi considère-t-il « comme éphémère une initiative de quelques dirigeants sénégalais qui ont trahi le serment du 17 janvier 1959. »

Ce même 25 août, que Dag Hammarskjöld répond au télégramme transmis par l’intermédiaire de Hamaciré N’Douré. La réponse est loin de donner satisfaction à son destinataire. Elle ne fait mention ni du retrait du Sénégal de la Fédération du Mali ni de la demande d’assistance auprès de l’ONU afin d’empêcher cette sécession. Au contraire, elle insiste sur l’initiative française relative à d’éventuels pourparlers entre les deux désormais ex Etats fédérés.

le 26 août, Modibo Keïta donne suite au télégramme de Dag Hammarskjöld.  Il réitère sa demande d’une assistance auprès de l’ONU en sa qualité de « président Modibo Keïta, président [du] gouvernement fédéral [du] Mali et [du] gouvernement [de la] République soudanaise ». Il termine en précisant : « […] D’autre part, [la] capitale [de la] Fédération [du] Mali [est] provisoirement fixée à Bamako. »

  1. 3. L’évolution vers l’indépendance du Soudan

Cependant, tout semble indiquer que le Président du conseil de gouvernement du Soudan se résout à accepter le divorce. Le 29 août, à la suite de la tenue d’une conférence des cadres de l’Union Soudanaise-RDA et d’une session de l’Assemblée législative du Soudan, il se décide à se rendre à Paris répondre, enfin, à l’invitation du général de Gaulle. Il y arrive le 2 septembre. Le 31 août, deux ministres du gouvernement soudanais, Mamadou Aw et Seydou Badian Kouyaté l’ont précédé dans la capitale française pour remettre, en son nom, une lettre au général de Gaulle.

La rencontre entre les deux chefs de gouvernement est rapportée différemment par Seydou Badian Kouyaté et par Modibo Keïta. Selon le premier, elle a été plutôt tendue, le second insiste, au contraire, sur la courtoisie observée de part et d’autre. Modibo Keïta reproche à son homologue français le rôle négatif joué par son pays dans la crise malienne. De Gaulle reconnaît l’implication de certains responsables français, mais demande que soient abordés les problèmes bilatéraux entre la France et le Soudan.

Un sujet le préoccupe : le sort qui sera réservé à ses troupes stationnées sur le territoire du Soudan. De Gaulle négocie le maintien de ses troupes sur place. Un accord est trouvé. Sur proposition de Modibo Keïta, les troupes françaises évacueront les différents camps militaires disséminés sur l’ensemble du territoire pour se regrouper dans les bases de Kati, Bamako, Gao et Tessalit.

  1. 4. Le congrès du 22 septembre 1960 et la proclamation de l’indépendance de la République du Mali

Le temps joue contre Modibo Keïta. Le 20 septembre, toutes les anciennes colonies françaises au sud du Sahara ont été admises à l’ONU, à l’exception de la Mauritanie, non encore indépendante, du Sénégal et du Soudan. Or, dès le 28 juin, une semaine après la proclamation de son indépendance, la Fédération du Mali avait déposé une demande d’adhésion à l’ONU. Après le 20 août, le Sénégal a renouvelé cette demande mais en tant que République indépendante. Le Conseil de Sécurité se propose de réexaminer, le 28 septembre, la demande formulée le 28 juin, date à laquelle il avait recommandé à l’unanimité l’admission de la Fédération du Mali à l’instance internationale.

L’examen risque d’être défavorable au Soudan. La Fédération du Mali, de facto, a cessé d’exister. Le Sénégal a l’appui de la France, membre permanent du Conseil de Sécurité. Le Soudan n’est pas encore un Etat indépendant et, par conséquent, ne peut formuler une demande d’adhésion. C’est cette situation qui a prévalu pour convoquer le congrès extraordinaire du 22 septembre 1960. La convocation est faite le 15 septembre. Tout devait être terminé le 25 septembre, avant la date butoir du 28 septembre.

Le congrès travaille au pas de charge. Deux discours sont prononcés, celui du Secrétaire politique de l’US-RDA, Idrissa Diarra et celui du Secrétaire général du part, Modibo Keïta. Quatre messages sont entendus ; ceux des Femmes, des Jeunes, des Anciens Combattants et victimes de guerre, de l’Union Nationale des Travailleurs du Soudan. Deux résolutions sont adoptées : la Résolution de politique générale et la Résolution économique.

Modibo Keïta, dans son discours, invite les congressistes « à autoriser l’Assemblée législative :

1° A /appréhender les compétences transférées par la République soudanaise à la Fédération du Mali ;

2° A/ proclamer comme Etat indépendant et souverain la République soudanaise ;

3°A /proclamer que la République soudanaise s’appelle République du Mali, libre de tous engagements et liens politiques vis-à-vis de la France, comme la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Dahomey.

L’Assemblée législative vote à l’unanimité ces propositions. La Fédération du Mali a vécu. La République du Mali est née. Le 28 septembre, le Mali et le Sénégal sont admis à l’ONU. Une page de notre histoire nationale vient d’être tournée. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

Dans une prochaine parution, la réponse à cette question.

  Issiaka Ahmadou Singaré

Docteur d’Etat-ès-Lettres

 Professeur émérite de l’Université de Bamako

Le Sursaut
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