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Tribune: Le dialogue de sourds entre la Cédéao et le Niger

Après la fin de l’ultimatum donné à la junte qui a pris le pouvoir à Niamey le 26 juillet 2023, la Cédéao a décidé de passer à l’offensive en activant sa force en attente même si selon elle, la voie diplomatique reste privilégiée.

Les sanctions de la Cédéao impactent la vie des populations bien que l’option militaire ait retenu plus l’attention. Les menaces et les sanctions très sévères contre le Niger, ne semblent faire reculer la junte.

L’organisation s’est mise en difficulté dès le début de la crise en brandissant la menace d’une intervention militaire en cas de refus de la junte à rétablir le président Bazoum. En voulant être intransigeante contre le coup de force de trop, elle s’est mise en difficulté. Il faut rappeler que c’est le sixième coup d’Etat dans la région depuis 2020 et la Cédéao joue sa crédibilité face à son impuissance à prévenir les coups d’Etat.

Au regard de la situation actuelle, un statu quo se pose. L’option militaire divise plus que jamais et la solution diplomatique ne donne aucun résultat. Les deux parties sont dans un dialogue de sourds. Il est donc difficile de parvenir à un compromis. Les putschistes contrôlent l’essentiel du pouvoir et ont des soutiens populaires.

Le dimanche 6 août à quelques heures de la fin de l’ultimatum, des milliers de manifestants ont répondu à l’appel du mouvement pour une conscience patriotique (MCP) au stade général Seyni Kountché à Niamey pour exprimer leur soutien au CNSP et s’opposer aux sanctions et menace d’intervention. Les sanctions sévères prises à l’encontre du Niger et la menace d’une intervention militaire ont contribué à durcir les positions et à accélérer l’adhésion des populations au coup d’Etat.

A travers cette démarche, la Cédéao a voulu procéder par l’option du pire dont les conséquences néfastes d’une telle intervention pour le Niger et l’ensemble de la région ont été largement évoquées ces dernières semaines par des spécialistes.

 

Une option militaire qui divise en Afrique et au-delà

Après le sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao sur la situation politique au Niger tenu à Abuja, le 10 août, l’organisation régionale a décidé d’activer sa force en attente pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Cette option militaire envisagée par la Cédéao est loin de faire l’unanimité au sein des Etats membres de la Cédéao et au-delà.

Certains pays notamment la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Nigéria, la Guinée-Bissau ont affiché leur volonté à participer à cette action militaire si les négociations diplomatiques venaient à échouer. Malgré le mutisme de certains chefs d’Etat, le président cap-verdien, José Maria Neves est opposé à toute intervention militaire qui selon lui, ne ferait qu’aggraver la situation et transformerait la région en un environnement explosif.

Le pays a refusé de participer à la deuxième réunion des chefs d’Etats-majors de la Cédéao qui s’est tenue à Accra les 17 et 18 août derniers pour discuter des questions logistiques et stratégiques de l’intervention militaire. Il y a visiblement une dissension au sein de la conférence des chefs d’État qui ne fait pas reculer cette décision.

Les grands voisins du Niger comme le Tchad et l’Algérie non membre de la Cédéao ne sont pas favorables à une intervention militaire qui pourrait avoir des conséquences directes sur la détérioration de la situation sécuritaire ou encore sur le flux migratoire car la région d’Agadez représente un point de passage des migrants ouest-africains vers l’Europe. L’Algérie, à travers son ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf, tente une médiation auprès de trois pays membres de la Cédéao: le Nigeria, le Bénin et le Ghana afin de trouver une solution pacifique à la crise.

Le Niger occupe une place stratégique pour les puissances occidentales dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et abrite plusieurs bases militaires étrangères. Cette question nigérienne divise également ses partenaires internationaux, notamment la France et les Etats-Unis. Paris a affirmé son plein soutien à l’ensemble des conclusions adoptées à l’occasion du dernier sommet extraordinaire de la Cédéao qui implique l’option militaire.

Washington quant à lui s’oppose à toute intervention militaire et opte pour une résolution pacifique de la crise. A travers cette démarche, les Etats-Unis ne souhaitent pas compromettre ses investissements au Niger de plusieurs centaines de millions de dollars et veulent se dissocier de l’image de la France de plus en plus rejetée par les populations sahéliennes.

Les Etats-Unis disposent d’une base militaire non loin de l’aéroport international de Niamey Diori Hamani et d’une base de drones dans la région d’Agadez qui constitue la principale base de renseignement du Pentagone au Sahel avec la présence de près de 1000 soldats.

L’Union africaine a tardé à se prononcer sur la crise nigérienne. Il a fallu huit jours après la réunion de son Conseil de paix et de sécurité pour que le communiqué de la réunion du 14 août soit rendu public. Elle prend acte de la décision de la Cédéao d’activer la force en attente et décide de suspendre le pays.

La suspension immédiate du Niger de toutes les instances de l’Union africaine par le Conseil de paix et de sécurité revient à reconnaître le coup d’Etat. Une position qui est contraire à celle de la Cédéao qui n’a jusque-là pas encore suspendu le Niger. Lors du deuxième sommet extraordinaire de la Cédéao tenu à Abuja le 10 août dernier, le ministre des Affaires étrangères du président Bazoum, Hassoumi Massaoudou a participé au sommet en tant que représentant du Niger.

Le Niger vers une Transition

Plus le temps passe, plus le retour aux affaires du président Bazoum paraît improbable. Le président Bazoum est en résidence surveillée depuis le 26 juillet et c’est le CNSP qui tient les rênes de l’appareil de l’Etat. Les putschistes ont formé un nouveau gouvernement le 7 août dernier et procédé à plusieurs nominations aux hautes fonctions militaires et les 8 régions du pays sont dorénavant administrées par des officiers supérieurs.

Ali Mahaman Lamine Zéine est nommé Premier ministre de ce gouvernement et les ministères de la Défense et de l’Intérieur sont occupés par le général Salifou Mody et le général Mohamed Toumba, les numéros 2 et 3 du CNSP. Le nouveau Premier ministre a occupé le poste de directeur de cabinet du président puis de ministre des Finances sous le régime du président Mamadou Tandja qui a dirigé le Niger de 1999 à 2010 avant d’être renversé par le commandant Salou Djibo.

Le CNSP décide de poursuivre le président Bazoum pour haute transition et atteinte. Les militaires à Niamey sont dans la dynamique de consolider leur pouvoir et un retour en arrière paraît inenvisageable.

La Cédéao a engagé une nouvelle tentative de dialogue avec le CNSP après l’échec du premier. Pour la première fois, la délégation de la Cédéao dirigée par l’ancien président du Nigeria Abdulsalami Abubakar, s’est entretenue avec le général Tiani, le 19 août avant de rencontrer le président renversé Mohamed Bazoum en présence du Premier ministre récemment nommé.

Dans la soirée du 19 août le chef du CNSP, lors de son adresse à la nation, a annoncé le lancement d’un dialogue national inclusif afin définir les principes fondamentaux devant régir la transition; définir la priorité de la transition dont la durée ne saurait aller au-delà de trois ans. Le CNSP essaie de légitimer son pouvoir auprès du peuple du Niger.

On assiste de plus en plus à des transitions constitutionnelles en Afrique de l’Ouest où des concertations nationales sont organisées par les juntes afin de créer un consensus autour du pouvoir de transition. Les présidents de transition sont alors investis par les Cours constitutionnelles comme on a pu observer récemment au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. Même si le général Abdourahamane Tiani contrôle le pouvoir, il n’est toujours officiellement pas chef d’Etat.

Bah Traoré

Chercheur et analyste. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest

Mali Tribune

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