La volonté affichée par les autorités de la Transition sur la marche à suivre pour sortir le Mali de la crise multidimensionnelle qui le secoue depuis plusieurs années ne s’accorde pas avec les exigences de la communauté internationale. Solutions à la situation sécuritaire et respect strict du délai de fin de la Transition, fixé à février 2022, deux sujets divisent. Entre la voie que le Mali souhaite emprunter pour résoudre de façon durable ses problèmes de fond et la fermeté des partenaires internationaux vis-à-vis de certaines lignes à ne pas franchir, la diplomatie malienne dispose-t-elle des moyens de résister ?
« La nouvelle situation née de la fin de l’Opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité, de manière autonome ou avec d’autre partenaires, de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le nord de notre pays », a laissé entendre le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga le 25 septembre 2021 à la tribune de la 76èmeAssemblée générale des Nations unies.
« Si on est un gouvernement responsable, on doit s’interroger. Ne faut-il pas chercher d’autres solutions, d’autres partenaires qui ne soient pas exclusifs ? Mais on ne peut pas nous interdire, en tant qu’État souverain, de prospecter d’autres formules », a-t-il poursuivi chez nos confrères de RFI et France 24.
Wagner inquiète
Ces déclarations du chef du gouvernement interviennent dans un contexte où depuis quelques semaines il y a une forte suspicion autour d’un projet d’accord entre le gouvernement de transition et la société paramilitaire privée russe Wagner. Un projet qui a suscité de vives inquiétudes au sein de la communauté internationale, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à l’Union Européenne, en passant par plusieurs pays qui interviennent directement dans la coopération sécuritaire avec Bamako.
Sans pour autant désigner explicitement le groupe de sécurité privé russe, Choguel Kokalla Maiga a annoncé clairement la signature dans « pas longtemps » d’un nouvel accord de partenariat.
« Le Mali entend désormais diversifier, et à moyen terme, ses relations pour assurer la sécurité du pays. Nous n’avons rien signé avec Wagner, mais nous discutons avec tout le monde », avait annoncé plus tôt le ministre de la Défense et des anciens combattants, le Colonel Sadio Camara.
« Je pense que les autorités de la Transition, en prenant cette posture, ont bien analysé leurs capacités de résistance. Quand vous prenez les faits, on ne peut pas quand même leur donner totalement tort, parce que cela fait quand même 9 ans que nous sommes dans la même situation sécuritaire et chaque jour cela va de mal en pis », soutient l’analyste politique Salia Samaké.
Quelques jours après la révélation par Reuters des discussions avec Wagner, la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements de la Cedeao, réunie en session extraordinaire le 16 septembre 2021, s’est prononcée sur la question.
« Au plan sécuritaire, la Conférence dénonce fermement la volonté des autorités de la transition d’engager des compagnies de sécurité privées au Mali et est très préoccupée par les conséquences certaines sur la détérioration de la situation sécuritaire au Mali et dans l’ensemble de la région », a précisé le communiqué final de l’organisation sous-régionale.
En marge de ce sommet, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou a, dans un entretien avec un média étranger, eu des propos très sévères sur le pouvoir à Bamako, ce qui a ravivé les tensions diplomatiques, déjà mises à mal entre les deux capitales depuis la prise de pouvoir à Niamey du Président Mohamed Bazoum. Le gouvernement du Mali a condamné « fermement » et rejeté ces propos « inacceptables, inamicaux et condescendants ».
Outre la réaction de la Cedeao, la France, l’Allemagne ou encore l’Estonie ont brandi la menace d’un désengagement militaire du Mali si les autorités de la Transition venaient à signer un accord avec la société Wagner, dont l’intervention serait « incompatible » et « inconciliable » avec les actions des partenaires sahéliens et internationaux du Mali.
Mais, du côté de Bamako, où les autorités se basent sur le principe de souveraineté de l’État, toutes ces pressions ne semblent pas freiner les ardeurs.
« Le gouvernement de la République du Mali rappelle que dans l’accomplissement plein et total de sa souveraineté, et dans le souci de préserver son intégrité territoriale et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États, il ne permettra à aucun État de faire des choix à sa place, et encore moins de décider quels partenaires il doit solliciter ou pas ».
Bras de fer avec la Cedeao ?
L’autre sujet qui cristallise les attentions est celui du respect du délai de la fin de la Transition, fixé à février 2022. Si là, aussi, la Cedeao et le reste de la communauté internationale restent attachés à la tenue des élections à date, une prolongation semble de plus en plus inévitable.
Le Premier ministre l’envisage d’ailleurs « de deux semaines à quelques mois de plus » pour minimiser les risques de contestation des élections. « Il vaut mieux avoir quelques semaines ou quelques mois de plus que de retomber dans une crise qui nous mettra dans l’incertitude, peut-être avec un autre soulèvement, un autre coup d’État, avec tout ce qui peut se profiler à l’horizon ».
Mais, pour la Cedeao, le « respect strict » du calendrier de la Transition devant conduire à la tenue effective des élections en février 2022 est « non négociable ». L’organisation régionale a déjà demandé aux autorités de soumettre, « au plus tard à la fin du mois d’octobre 2021 », le chronogramme devant conduire aux étapes essentielles pour les élections.
Or ce chronogramme, selon le gouvernement, ne sera établi qu’à la fin des Assises nationales de la Refondation, qui doivent se tenir, selon l’avant-projet diffusé, mais non encore officialisé, mi-novembre. Un décalage qui pourrait aboutir à une situation de bras de fer entre les parties.
Pour l’analyste politique Salia Samaké, qui trouve que la Cedeao se retrouve dans un « déni de nos réalités », ce bras de fer a d’ailleurs déjà commencé. « Pour qui connaît la situation aujourd’hui au Mali sur le plan sécuritaire, je ne vois pas comment on peut organiser des élections. Le minimum est d’être présent sur une bonne partie du territoire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ils sont en train de pousser, mais c’est comme si ils étaient absents de nos réalités », pointe-t-il.
Pour sa part, Dr. Abdoulaye Amadou Sy, ancien ambassadeur et Président de l’Amicale des anciens Ambassadeurs et consul généraux du Mali (AAACGM), est optimiste. « Je suis sûr et certain que la Cedeao reviendra au mois de novembre et prendra acte de ce que le gouvernement aura décidé et qu’il n’y aura pas de casse », affirme-t-il.
Moyens de résister ?
Les autorités de la Transition sont clairement dans une offensive aujourd’hui, sur le plan diplomatique, pour afficher leurs options pour le pays. Le discours du Premier ministre à la tribune de l’ONU est venu acter cette volonté.
En marge de cette 76ème Assemblée générale des Nations unies, tenue du 21 au 28 septembre 2021, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Abdoulaye Diop, a également multiplié les rencontres avec les partenaires du Mali avec lesquels il a fait le point de la situation du pays aux et présenté les actions majeures posées dans le cadre de la Transition en cours.
Le chef de la diplomatie en a profité également pour réaffirmer les attentes des plus hautes autorités du Mali et sollicité « la compréhension et l’accompagnement » des partenaires dans leurs accomplissements, en tenant compte de la « situation difficile » que traverse le pays.
Avec ses homologues ghanéenne, français, russe ou encore des Émirats Arabes unis, entre autres, Abdoulaye Diop a échangé sur la situation sécuritaire du Mali et le processus de Transition. Mais toute cette activité sur le front diplomatique n’efface pas la menace des sanctions de la communauté internationale à l’encontre du Mali si les autorités de Transition persistent dans des voies divergentes avec celle-ci sur des sujets fondamentaux.
Pour Salia Samaké, si des sanctions sont imposées, elles affaibliront certes le pays, mais selon lui la capacité de résistance de la diplomatie malienne aujourd’hui est un peu liée à la résistance du peuple. « Quand le peuple est derrière les autorités, il n’y a pas de raison qu’on ne résiste pas. Mais s’il y a des failles, les autorités peuvent être affaiblies et cela peut faire du tort à la démarche en cours », avance-t-il.
« Mais la pratique aussi a montré que toutes ces organisations sont téléguidées. À un moment donné, quand elles voient la détermination des peuples, cela peut affaiblir leur volonté de punition », ajoute celui qui insiste aussi sur une « union sacrée » autour des autorités pour pouvoir donner toutes les chances à la nouvelle politique de contribuer à « sortir le pays de toute cette crise ».
L’ancien ambassadeur Sy est pour sa part beaucoup plus tranché. Selon lui, le Mali ne pourra pas résister si la Cedeao décidait de prendre des sanctions économiques. « S’il y a embargo sur le Mali, nous allons le ressentir. On l’a vu une première fois. Cela n’a pas marché et la situation peinait plus les populations que les dirigeants politiques », rappelle celui qui plaide pour une diplomatie plus modérée.
Mohamed Kenouvi
Source : JournalDuMali