Décidément la CEDEAO est à l’image de la plupart de ses États membres avec une gouvernance de plus en plus dénuée de finesse, de délicatesse, souvent de déférence. C’est-à-dire une gouvernance voulue “démocratique” qui vire à la dictatoriale, voire à l’autocratique. Avec des États soixantenaires seulement, qui sont à l’apprentissage de tout, qui patinent entre politiques de courte vue et gouvernance népotique et clientéliste, qu’attendre des organisations régionales qui sont censées être la synthèse de ces États et de leurs formes politiques, économiques, sociales et autres ?
Le communiqué du Sommet extraordinaire d’Accra du 16 septembre 2021 sur la situation en Guinée et au Mali démontre que la CEDEAO est la véritable photographie des États qu’elle regroupe. Le communiqué se veut ferme à l’endroit des régimes transitionnels de Conakry et Bamako mais à la lecture finale des citoyens de l’espace, l’organisation régionale semble complètement coupée de la base, c’est-à-dire des citoyens qui paient le prix fort des mauvaises politiques menées par les premiers des gouvernants des États, c’est-à-dire les chefs d’État. La sortie complètement ratée du ministre nigérien sur les ondes de RFI confirme cette mauvaise lecture de la maîtresse «CEDEAO» des copies de ses «élèves Mali et Guinée».
Les phrases choc du chef de la diplomatie nigérienne, dans cette interview d’une rare violence verbale, méritent d’être analysées dans les écoles de diplomatie. «Notre volonté de mettre ces militaires au ban de la société», «les élections, c’est notre priorité», «sinon nous allons associer l’ensemble de la communauté internationale aux sanctions contre les militaires maliens», «nous exigeons une feuille de route claire pour qu’on aille aux élections», «nous n’acceptons pas que dans notre sous-région, des mercenaires viennent s’impliquer sinon davantage la situation sécuritaire», «la CEDEAO condamne cette velléité de vouloir signer un accord avec la société russe Wagner», «les militaires maliens doivent sans délai renoncer à ce type d’accord parce que nous n’acceptons».
La plupart de ces phrases dénotent du décalage, sinon du mépris des dirigeants à comprendre leur opinion publique surtout quand il s’agit de la fameuse communauté internationale. Le ministre nigérien apporte même de l’eau au moulin quand il limite cette communauté aux «bailleurs de fonds multilatéraux, les organisations de l’Union européenne, la Banque mondiale, le FMI», autant d’organisations «amies» mal vues dans l’opinion publique.
Il est vrai que, selon Confucius, «sans principes communs, ce n’est pas la peine de discuter», mais encore faudrait-il que ces principes valent pour tous et soient appliqués par tous.
La CEDEAO tient à ses textes et ses traités, mais ceux-ci, il faut le dire, sont pour la plupart méconnus des citoyens. Ces derniers ne s’intéressent d’ailleurs à ces textes que lorsqu’il y a coup d’État, seul moment de réveil collectif pour regarder les conséquences des mauvaises gouvernances çà et là. Et cet intérêt n’est nourri que par la perception faite des sanctions subséquentes.
Les chantiers des documents administratifs régionaux comme la carte d’identité et le passeport traînent toujours le pied dans leur mise en circulation, idem pour la libre circulation des personnes et des biens qui ne semble pas prendre la place des multiples barrières à la frontière et sur les corridors routiers, des taxes et amendes variant selon le pays, instaurant des tracasseries sur les innocents citoyens communautaires. Quant à la mise en place de la monnaie unique, l’«Éco», l’on voit bien la fébrilité des dirigeants Ouest-africains à contrarier l’agenda d’autres puissances non africaines.
Le ton des communiqués et notamment celui du 16 septembre laisse voir un air à la fois autoritaire, paternaliste et condescendant quand bien même que c’est l’organisation régionale faîtière. Il est vrai qu’il faille montrer les muscles pour imposer le respect des textes mais cela a ses limites quand il ne dissuade pas les candidats aux coups d’État. Depuis la démocratisation en 1991, les coups d’États militaires (une quinzaine en Afrique de l’Ouest depuis 1990) et constitutionnels (les fameux troisièmes mandats) alternent dans les différents pays membres sans que les textes essentiels tel que le protocole «A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité» ne puisse faire œuvre de dissuasion pour les candidats aux coups d’État.
Nous ne sommes plus à l’époque des coups d’État de copains, ou juste inspirés par des officines extra africaines d’intérêts économiques ou militaires. Aujourd’hui, dans un pays donné, le coup d’État parachève une insurrection civile ou une gouvernance chaotique d’un «gouvernement démocratique élu» et arrive comme un soulagement à une lassitude générale.
La réalité de l’analyse se trouve dans la mauvaise gouvernance généralisée dans nos États, malgré des élections courantes et onéreuses qui, pour la plupart, sont tripatouillées et volent les suffrages des innocents électeurs. La CEDEAO se contente à ce niveau essentiellement de l’envoi de ses observateurs électoraux, de l’adoption de leurs rapports et du respect de l’article 2, section 2, du protocole selon lequel «aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques».
L’on a souvent vu l’application de ces dispositions régionales à la tête du client et cela affaiblit une organisation commune.
Dans le cas du Mali, en 2012, au moment fort des sanctions de la CEDEAO, le chef du CNRDRE laissait entendre cette phrase dans un communiqué : «Nous réitérons notre invitation à la CEDEAO d’approfondir davantage son analyse de la situation du Mali. Nous lui demandons d’analyser les raisons qui nous ont amenés à cette situation». L’on sait par la suite la pression imposée pour précipiter le retour à l’ordre constitutionnel et l’organisation d’élections dans un pays occupé en divers endroits.
Les conséquences de ces impositions mal pensées se feront voir, sept ans après, avec les événements du 18 août 2020. S’agissant de ces derniers évènements, de leur suite le 24 mai 2021, les Maliens ont pensé entrevoir une certaine analyse des dirigeants sous-régionaux de la mal gouvernance qui alimente ces violents soubresauts institutionnels. Mais que nenni, l’organisation sous régionale reste dans sa posture d’aveuglement et de surdité face au mal être des populations, celles-là même pour qui elle est censée agir. Cela pourrait être fatal à son existence, son avenir.
Alassane SOULEYMANE, Journaliste
Source : L’ESSOR