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Transformations agro-alimentaires au Mali : Mme Dialia Kéita, la reine du monde rural

Promotrice de Keitala Négoce, Mme Dialia Kéïta est une championne locale dans les transformations agro-alimentaires. Femme leader déterminée et convaincue de la justesse de son combat, elle est, à 45 ans, incontestablement la reine qui valorise le monde rural. En dépit du lot des difficultés et incertitudes, cette icône de l’entreprenariat féminin ne baisse pas les bras.

 

La main posée sur la joue, Mme Dialia Kéïta, assise dans son salon dont l’ameublement en dit long sur sa modestie et son dégoût pour le luxe, a les yeux rivés sur la chaîne nationale ORTM 1 où l’émission « Le Grin de midi » du jeudi 22 septembre 2022 évoquait « Paix et cohésion : comment résoudre le tissu social ». Malgré le poids de la fatigue liée à sa participation au défilé de la fête d’indépendance du Mali, elle nous reçoit en ce début d’après midi pour un entretien. Un rendez-vous reporté à plusieurs reprises pour raison d’agenda.

Mme Dialia Kéïta surnommée par ses camarades d’enfance « La Gazelle » est une figure montante de l’entreprenariat féminin. Elle est basée à Sikasso, l’une des plus grandes régions agricoles du Mali située à 392 km de Bamako au sud du pays.

Aider les femmes à se mettre à l’abri de l’assistanat

Très tôt, la jeune Kéïta qui s’est fait remarquer par son talent de basketteuse abandonne les études et migre vers la Côte d’Ivoire. Suite aux tristes évènements, elle rentre au Mali dans le cadre de l’opération de rapatriement volontaire des Maliens, organisée par le gouvernement du général Feu Amadou Toumani Touré. A son retour au bercail, elle emprunte la voie de l’entreprenariat et se focalise sur le secteur agro-alimentaire.

Pour mieux se former, elle pose ses valises au Centre SONGHAÏ en République du Benin où elle décroche un certificat de fin de formation en entreprenariat dans le secteur de la transformation agro-alimentaire. Elle poursuit son chemin en étudiant plusieurs modules de formation dans le domaine de la transformation et de la fabrication des produits alimentaires. Ce n’est pas tout. Elle suit d’autres ateliers de formation sur la gestion de la vie associative, la conception, le montage et la gestion des projets.

Elle est consciente de la nécessité d’aider les femmes à se mettre à l’abri de l’assistanat. A travers ses actions, Mme Dialia Kéïta contribue au développement régional, voire national. Fervente adepte des principes coopératifs, elle place son action dans le cadre du développement économique et social. « Nous fournissons des intrants aux paysans avec des formations techniques », détaille-t-elle. Elle forme les producteurs sur les variétés de semences puis achète les produits de qualité pour la transformation et la commercialisation.

Mon premier financement au Mali, se souvient-elle, est venu de la Conférence des Ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie (CONFEJES). « C’était 1 500 000 F CFA, quand je suis rentrée de la Côte d’Ivoire », se rappelle-t-elle.

Bientôt vingt (20) ans durant, elle investit toutes ses énergies et ses compétences dans les transformations agro-alimentaires. L’idée de l’entreprise Kéitala Négoce dont elle est la promotrice a germé en 2006 pour être formalisée en 2014. L’union, la solidarité et l’entraide mutuelle sont très chères à Mme Dialia Kéïta. Keitala Négoce emploie 17 personnes de manière permanente, plus de 400 emplois temporaires. Elle travaille avec 127 coopératives dont 15 féminines dans plusieurs chaines de valeurs agricoles comme le soja, le fonio, le manioc, le gingembre, la mangue, le maïs, le bissap, le baobab, le moringa, l’acajou etc. « On a assez de produits », souligne-t-elle en ajoutant que « toutes les transformations sont faites sur place ». Militante pour une agriculture respectueuse de l’environnement, elle évite soigneusement l’utilisation des engrais chimiques. «Nous utilisons les engrais organiques. Pas d’engrais chimiques », explique Mme Dialia Kéïta.

Au siège de Keitala Négoce sis au quartier Wayerna II de Sikasso, elle effectue une visite rapide. Sur place, une dame et un jeune homme assurent la garde. Elle nous fait visiter les lieux et échange avec eux. Un véritable laboratoire de transformation de produits agricoles où le visiteur résiste difficilement à la propreté des lieux et au savoir-faire local.

Aujourd’hui grâce à l’expertise de sa promotrice, Keitala Négoce est spécialisé dans la multiplication et la distribution des semences certifiées de soja. Avec des coopératives partenaires, la production se chiffre à des centaines de tonnes de soja par an. Un marché local perturbé souvent par l’arrivée des burkinabés et des indiens qui créent une sorte de concurrence, laquelle anéantit les efforts de la patronne de Keitala Négoce. Malgré tout, elle et son équipe tiennent le cap et fabriquent à partir du soja plusieurs produits. Il y a entre autres la farine infantile, « Somballa », refos, café, brochette de soja, huile de soja, tourteau pour les animaux, lait de soja.

Une notoriété certaine auprès des producteurs et transformateurs

Au fil des années, Mme Dialia Kéïta a eu une grande renommée dans la vulgarisation de deux variétés de manioc auprès des paysans qui ont connu une augmentation substantielle de leurs rendements. La spécificité de ces variétés tient au fait qu’elles sont adaptées au climat de la région. L’une de ces variétés de manioc portait son nom.  Dans le milieu paysan, elle se singularise, selon de nombreux témoignages recueillis, par sa gestion démocratique mais aussi par son attachement à l’équité dans la répartition des gains. Ainsi, Dialia bénéficie aujourd’hui d’une grande confiance et d’une notoriété certaine auprès des producteurs et transformateurs de manioc à travers le Mali. Elle est non seulement la Directrice de la Compagnie Malienne pour le Développement du Manioc créée en 2015 avec plus de 15 coopératifs membres mais aussi la Présidente du Comité d’initiative pour la mise en place de l’interprofession manioc au Mali depuis juillet 2016.

Elle se réjouit du soutien de la jeunesse de Sikasso, du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur et du ministère en charge des Maliens établis à l’extérieur et de l’intégration africaine. « J’entre facilement chez les ministres, chez le gouverneur », confesse-t-elle.

Fière de son travail dans le cadre de l’acquisition d’une véritable souveraineté alimentaire au Mali, elle n’hésite pas à cracher ses quatre vérités. « Je ne gratte pas ma tête devant un ministre. Je gratte ma tête devant les paysans. Quand je vais dans les villages, c’est comme si Assimi est venu. Cela me suffit », souligne la promotrice de Keitala Négoce.

Elle parcourt le monde. De foire en foire, elle fait la promotion des productions locales et valorise le monde rural. « Nos produits ne sont pas aimés chez nous », regrette-t-elle avant de s’insurger contre la consommation de certains aliments dont la composition reste un mystère pour le consommateur. Selon elle, 80% de sa production sont vendus à l’extérieur contre 20% sur place. L’un des projets qui tient à cœur la promotrice de Keitala Négoce est l’installation des kiosques dans les communes où les populations peuvent acheter les produits finis. Selon elle, les femmes transformatrices ont des problèmes, aggravés par l’absence au niveau de l’Etat d’interlocuteurs, fiables en mesure de donner des solutions à leurs préoccupations. « Tantôt, c’est l’artisanat, tantôt c’est l’agriculture », déplore Mme Dialia Kéïta.

« On ne doit pas être à ce niveau »

A quelques kilomètres du siège de Keitala Négoce, l’ancienne émigrée présentée comme un cas de success-story de migrant de retour, a construit à la sortie de Sikasso, non loin du Camp Tiéba, avec l’appui de certains partenaires dont le Conseil régional de Sikasso, un bâtiment qui abrite une petite unité industrielle.

Dans la cour, elle expérimente un petit champ d’herbes servant à l’alimentation des animaux. On dénombre quelques pieds de bananiers et de papayers dont les fruits font saliver le visiteur. Des sacs de semences sont entreposés dans le grand magasin dont certains compartiments logent la machine. « On a des soucis. J’ai acheté une machine qui ne fonctionne pas… Avec tous ces investissements, l’Etat ne peut pas venir en aide. Vraiment, je souffre trop », ajoute Mme Dialia Kéïta. Il est difficile, pour elle, de supporter le coût de consommation de son groupe électrogène qui consomme 80 litres par jour. « On est bloqué. On ne travaille pas ici », lance-t-elle la main posée sur la machine. « On ne doit pas être à ce niveau », indique-t-elle d’une voix basse. En sortant, elle commente avec deux jeunes dames leur passage au défilé du 22 septembre et échange quelques mots avec elles, désœuvrées à cause de la situation de cette unité industrielle. Comme celles-ci, elle se soucie du sort d’autres collaboratrices qui sont actuellement au chômage technique.

Entre les difficultés d’honorer ses engagements de remboursement de prêts bancaires et la non-rentabilité de cette machine acquise auprès d’un partenaire turc, elle est découragée. Mais pas abattue. Malgré les difficultés et les incertitudes, Mme Dialia Kéïta reste forte et digne dans ses œuvres.

La promotrice de Keitala Négoce alerte : « Tous les semenciers sont dans le pétrin ». Elle nous informe d’un faux-bond de l’Etat malien qui a pris l’engagement d’acheter 200 tonnes de semences de soja avant de faire un revirement. Elle évoque le taux d’intérêt élevé des banques dans le cadre du financement des projets de développement et l’exigence de garanties. « Je n’ai aucun souci pour avoir des financements mais c’est le taux qui nous gène », lance-t-elle. Elle ne passe pas sous silence le problème de l’accès à l’électricité, notamment son coût.

L’appel à la création d’une direction en charge de la transformation

Très sensible au faible appui de l’Etat aux petites unités industrielles, elle plaide pour la création d’une direction en charge de la transformation. Elle appelle aussi à une meilleure vulgarisation des productions locales. Elle insiste pour plus d’appui aux recherches notamment dans le domaine agricole.

Pour cette admiratrice du Président de la Transition du Mali, Colonel Assimi Goïta, il faut l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Celle qui affiche une certaine déception vis-à-vis de la qualité des ressources humaines veille scrupuleusement à la bonne exécution des tâches confiées aux uns aux autres. Sa rigueur et son intransigeance peuvent déranger certains de ses collaborateurs.

Créative et entreprenante, la formatrice de talent qu’elle est, accepte de transmettre ses connaissances et de partager ses expériences au Mali et ailleurs. Très active dans la vie associative, de réseautage et de concrétisation d’actions d’intérêt public, elle s’illustre par son leadership. Présidente de l’Association des Femmes Rapatriées de Côte d’Ivoire à Sikasso (AFERCI), Mme Dialia Kéïta préside aussi la Société Coopérative pour le Développement Durable des Ressources Naturelles à vocation économique du Kénédougou « Muso Wasa » (S.CO.D.R.N.K). Depuis 2010, elle est membre de l’Association mondiale d’entrepreneurs leaders sociaux (hommes et femmes) ASHOKA.

Médaillée du mérite national avec effigie Abeille, Chevalier de l’Ordre national du Mali, elle a reçu un diplôme de mérite décerné, en 2013, à l’Association des Femmes Rapatriées de la Côte d’Ivoire (AFERCI) par le Ministre de la Promotion de la Femme de l’enfant et de la Famille pour sa participation active au développement agricole à l’occasion de la 18ème édition de la Journée Internationale de la Femme Rurale.

Mariée, elle est mère de cinq (05) enfants. Elle aime le sport particulièrement le Basketball et le voyage.

Disponible, accessible et très ouverte, elle est de par sa bravoure et son engagement une référence, un exemple à suivre pour la jeunesse qui ambitionne d’entreprendre pour l’avenir du Mali.

Chiaka Doumbia envoyé spécial à Sikasso

 

Pourquoi faut-il encourager Dialia

Au Mali en général et à Sikasso en particulier, elle est le symbole d’une gent féminine qui ne courbe pas l’échine sous le poids de la tradition. Elle est l’incarnation de la femme battante. Aujourd’hui, elle a fait des pas importants dans le domaine de la transformation agro-alimentaire. Si elle est encouragée et soutenue, Mme Dialia Kéïta a tous les atouts pour devenir une capitaine d’industrie au grand bonheur des paysans et consommateurs.

Il est de la responsabilité de l’Etat et de ses partenaires d’aider une femme comme elle, pleine d’engagement et d’initiative, à se maintenir mais aussi à avancer. Cela contribuera à lutter contre le chômage, à augmenter les revenus des paysans, à offrir à la population des aliments de qualité provenant de nos productions locales. Encourager Dialia, c’est lutter contre la pauvreté.

Des structures comme le Fonds d’appui à l’autonomisation des femmes et des enfants (FAFE) doivent être orientées vers plus de soutien à des cas comme celui de Mme Dialia Kéïta. Il faut aider à l’émergence des championnes comme celle-ci qui peuvent servir de référence, de modèle de réussite.

C.D

Source : Le Challenger

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