La 12ème édition des « Migrances » a ouvert ses portes à Bamako au Centre Amadou Hampaté Bâ (CAHBA), le samedi 16 décembre et se poursuit jusqu’au lundi 18 décembre journée internationale des migrants. Le thème de cette année est : « Quel modèle économique pour garantir à la jeunesse un avenir durable et au Mali, la paix et la sécurité ? ». Pour débattre de cette problématique, l’altermondialiste, Aminata Dramane Traoré donne la parole aux intellectuels d’Afrique et d’ailleurs, à des migrants et à la société civile malienne pour trouver des solutions durables et vivables et mettre un terme à la fuite des bras et des cerveaux. La tragédie libyenne a dominé les débats. Parmi les invités, l’ancien ministre de la Culture, le cinéaste Cheick Oumar Sissoko qui crache du feu sur le comportement animalier des Libyens…mais qui dénonce aussi le mouvement démocratique malien.
Pourquoi tant de jeunes émigrent-ils au risque de leur vie ? Cette question est au cœur de « Migrances », la rencontre annuelle des intellectuels, artistes et autres acteurs de la société civile, dont la douzième édition se déroule dans la capitale malienne. Le forum « Migrances » a été lancé au lendemain du drame de Ceuta et Melilla (enclaves espagnoles situées en Afrique) ou des migrants ont été tués par balles. Cet espace a été créé pour réfléchir aux causes des départs et explorer des pistes pour leur réinsertion. Cette édition 2017 s’inscrit dans un contexte africain et international marqué par une vague d’indignations, plus que légitime, suscitée par les images de la vente aux enchères de migrants noirs en Libye, diffusées par CNN.
Le rapatriement dans les pays d’origine de ceux et celles qui le souhaitent ainsi que le démantèlement des réseaux de passeurs et de trafiquants sauveront, indéniablement, des vies. Cependant, ils ne suffisent en aucun cas pour en finir, durablement, avec cette tragédie aux causes profondes. Au-delà de l’indignation, « nous nous devons de questionner le système économique dont les ravages se vérifient, désormais, dans tous les domaines et sous tous les cieux. Car ces hommes, femmes et enfants qui se dirigent vers l’Europe ne sont pas pauvres, mais appauvris et désemparés dans le cadre d’un modèle de développement qui enrichit les riches, saccage la planète et condamne à l’errance des millions et des millions d’êtres humains.
Sommes-nous prêts, tous ceux et toutes celles qui sont indignés par les traitements inhumains et dégradants qui sont infligés aux migrants subsahariens, à œuvrer pour un modèle économique qui garantisse aux jeunes du travail et des conditions de vie décentes de sorte qu’ils n’émigrent pas au risque de leurs vies et ne se radicalisent pas ? », s’interroge Aminata Dramane Traoré.
En poursuivant elle dira que la situation en Libye est le résultat du durcissement politique en Europe. De ce fait, aujourd’hui, l’enjeu est électoral, car l’Europe est totalement ébranlée par les flux migratoires depuis 2015. L’Allemagne en a pris un million de migrants. Mais politiquement, ça couté cher à Angela Merkel, dit-elle. « Personne ne leur dit que cette tragédie est le résultat de trois décennies de destruction du tissu économique dans les pays d’où ces gens-là partent. Ce n’est pas par amour pour l’Europe que les gens partent. Mais ils pensent trouver là-bas une réponse à l’épineuse question de chômage. Nous n’en serions pas là si un certain Sarkozy n’avait pas cru devoir amener la démocratie en Libye. », ironise-t- elle.
« Il est inacceptable de laisser entendre que les Africains vendent des Africains. Cela passe parce qu’il a fallu que des Occidentaux, à travers des institutions financières internationales, mettent nos économies à genoux. Ce ne sont pas des Etats faillis, mais des Etats mis en faillite. L’Etat seul ne peut pas ; nous devons nous donner la main pour y trouver une solution. » a-t-elle conclu.
Quant à l’ancien ministre de la Culture d’ATT, Cheick Oumar Cissoko, non moins haut cadre du parti Sadi de Dr Oumar Mariko a craché feu sur le comportement des libyens.
« Je suis révolté en voyant ces images en Libye. Je pense que l’on n’est pas allé à la mesure à prendre pour cette situation. Les Libyens sont responsables autant que nous, l’Europe aussi est responsable. Et en Libye ou ça se passe,je pense qu’il y a une chose à faire : qu’on sabote les intérêts des Libyens par exemple : les stations d’essence Oilibya, les hôtels Libya, les banques libyennes. Mais en même temps, il faut qu’il y ait une enquête pour déterminer à travers les images qu’on a vuesquels sont les Libyens et les Africains qui participent à cela. Il ya des noirs qui participent à cette tragédie inimaginable au troisième millénaire. Qu’est ce que l’Afrique fait par rapport à la Libye. Je dis boycotter les produits libyens. »
Selon le cinéaste et homme politique, ces jeunes vont parce qu’on ne leur propose pas d’alternative. Y a-t-il des alternatives à leurs proposer ? s’interroge-t-il. « En 2003, j’étais ministre de la Culture.A Cannes, j’ai dit devant les autorités que même s’ils élevaient les murs jusqu’au ciel, de l’Afrique au sud du Sahara et de l’Afrique du nord, des gens iront chez en Europe. Voila la réalité aujourd’hui. À l’époque, j’avais fait des propositions mais, on n’en a pas tenu compte. Ce continent porte en lui une part glorieuse du destin de l’humanité ».
« Nous devons travailler à cela et faire en sorte que nos compatriotes qui sont en Europe retournent en Afrique pour donner une autre image de notre continent. Nous devons travailler et expliquer cela à nos compatriotes vivant en France et d’autres pays européens dont certains ont des talents inouïs. Mais cela n’a pas été fait. Nous sommes entrain de ramasser les pots cassés. Et si je vois certains entrain de se taper la poitrine pour dire que c’est eux qui sont sortis en mars 91. Je dis non ! C’est nous qui sommes responsables de la situation que nous vivons aujourd’hui, nous les gens du mouvement démocratique. Nous en sommes responsables. Il faut nous assumer. Si on reconnait que nous en sommes responsables, on pourra dire pourquoi cela s’est passé ? Maintenant qu’est ce qu’il faut faire ? », s’indigne Cheick Oumar Sissoko.
Durant ces trois jours de débats, les discussions ont porté sur des sujets d’ordre économique, politique, culturel et religieux.
Aliou Badara Diarra
Par L’Enquêteur