Combattre le terrorisme tout en le finançant est à l’évidence le double jeu de la France au Sahel. Paris a libéré des otages ne payant des rançons rubis sur ongles, une duplicité qui contrarie la lutte contre le terrorisme menée par les pays de la région notamment l’Algérie.
Un détachement de l’Armée algérienne, engagé dans une opération antiterroriste dans la zone de Djebel Boutouil (région d’El Ancer, Est de la Wilaya de Jijel), a détruit le 28 décembre des casemates et surtout récupéré quatre-vingt mille euros, somme dont il a été établi qu’elle provient de la grosse rançon payée en octobre dernier pour libérer des otages au Mali, dont une ressortissante française, deux Italiens et une figure de l’opposition malienne.
Le 27 octobre dernier, les services de sécurité de l’ANP arrêtent à Tlemcen l’Algérien Mustapha Derrar, libéré avec des dizaines d’autres terroristes dans le cadre de la transaction ayant abouti à l’affranchissement des otages en question.
La libération du dernier otage français dans le monde et des autres codétenus pose nécessairement des questions. Au-delà des motivations propres à chaque camp, c’est la monnaie d’échange qui surprend de nouveau par sa nature et surtout par son ampleur inédite : de l’argent a été versé et 206 terroristes, selon le GISM, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, l’alliance djihadiste affiliée à Al Qaîda qui détenait les otages, ont été donc libérés !
Si on peut comprendre que la fin heureuse justifie les moyens utilisés, aussi sujets à caution qu’ils soient, on ne pourrait penser toutefois que la France aurait tout simplement bénéficié d’une libération concomitante après des négociations directes entre le nouveau pouvoir à Bamako et les chefs terroristes. Difficile d’admettre aussi que les autorités françaises se seraient contentées d’une simple position de spectateur passif qui aurait placé une totale confiance en la capacité des négociateurs maliens à aboutir à l’issue heureuse connue.
Difficile de croire à cela au pays d’accueil de l’opération militaire et sécuritaire française Barkhane, appuyée par cinq pays européens.
D’autant plus difficile à admettre que la libération des otages, dont l’otage française, s’est faite en contrepartie de la libération de terroristes dont, paradoxalement, un certain nombre d’entre eux ont été arrêtés grâce au concours efficace du dispositif français au Mali. Des terroristes libérés qui pourraient participer éventuellement à d’autres prises d’otages futures et à bien d’autres méfaits au Mali et ailleurs !
Curieux paradoxe qui vient nourrir l’ambiguïté ayant souvent caractérisé l’attitude des pouvoirs publics français dans le dossier de gestion du terrorisme au Sahel, et notamment au Mali. Quand il ne s’agit pas de libérer des terroristes comme cela s’est passé plus d’une fois, il est question en parallèle de financer indirectement le terrorisme salafiste en payant de fortes rançons contre la libération d’otages.
On savait effectivement que les différentes équipes au pouvoir à Paris payaient des rançons aux terroristes dans le Sahel, mais on n’en avait pas soupçonné par le passé la grandeur. Mais on en a été finalement édifiés. Et l’information était alors de taille en 2017, et ce fut même une petite bombe : AQMI avait reçu 42 millions d’euros pour les otages d’Areva ! La source de l’information, qui n’était alors pas livrée au conditionnel, est Pierre-Antoine Lorenzi, ancien de la DGSE, qui a négocié la libération de quatre des sept otages d’Areva au Niger. Il est ainsi le premier à donner au journal en ligne Mediapart ce chiffre : 12+30, qui font 42 millions d’euros ! Précisément, l’addition de deux rançons versées à AQMI pour la libération des salariés d’Areva enlevés à Arlit, au Niger, le 16 septembre 2010, et remis en liberté le 24 février 2011 et le 19 octobre 2013.
C’est l’Etat français qui paye
Pierre-Antoine Lorenzi, ex-directeur de cabinet de la DGSE au début des années 2000 et négociateur de la seconde libération, précisait que «c’est l’Etat qui a payé» les 30 millions d’euros décaissés en 2013 pour les quatre derniers otages. Les entreprises françaises Areva et Vinci avaient payé la première tranche en 2011, avec l’aval du président Nicolas Sarkozy. Les autorités françaises ont donc menti en affirmant en 2013 que la France n’avait rien versé pour ces libérations. «La France a toujours eu la même ligne depuis trois ans : on ne paye pas, parce que sinon on entre dans une autre logique », avait déclaré alors le ministre de la Défense de l’époque Jean-Yves Le Drian.
On s’en rend compte, le paiement de rançons et la libération subséquente de prisonniers d’AQMI révèle le double jeu des autorités françaises et européennes dans le dossier des otages. Duplicité qui avait fait sortir alors le président Barak Obama de sa réserve diplomatique pour reprocher sévèrement à la France de payer les rançons, tout en affirmant systématiquement le contraire. Y compris en signant à ce même sujet des déclarations solennelles du G8 affirmant que jamais une rançon ne devrait être servie aux terroristes. Il avait même précisé que la France et d’autres pays européens, notamment l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, avaient réglé la faramineuse somme de 125 millions de dollars depuis 2008 ! Au profit d’AQMI et du MUJAO, dont des porte-parole avaient affirmé que les pays concernés «ont satisfait toutes nos conditions !».
De son côté, une ancienne ambassadrice des États-Unis à Bamako, avait affirmé sur la chaîne française iTélé, que la France avait payé une rançon d’environ 12,7 millions d’euros pour libérer les quatre otages français enlevés au Niger en 2010. « Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique] a pris des Français en otages dans une mine d’uranium au nord du Niger, et pour faire libérer ces otages la France a payé une rançon d’environ 17 millions de dollars [12,7 millions d’euros] », avait déclaré, en février dernier Vicki J. Huddleston, ambassadrice des États-Unis au Mali de 2002 à 2005. « Les rançons, comme toutes les rançons, ont été payées indirectement. Elles ont terminé entre les mains du gouvernement malien et ensuite elles sont retournées, du moins une partie, aux salafistes », avait-elle alors ajouté.
La France a, de manière indirecte, financé le terrorisme en Syrie, comme ce fut le cas avec le cimentier français Lafarge, désormais associé en affaires au géant suisse Holcim. Au total, le cimentier hexagonal a versé plusieurs centaines de milliers d’euros à divers groupes armés, dont 5 millions de livres syriennes (20.000 euros) par mois à l’Eta islamique (EI). Fais admis par les dirigeants français du groupe Lafarge-Holcim. Bruno Pescheux, PDG de la filiale syrienne de l’entreprise jusqu’en juin 2014, avait reconnu le versement régulier de rançons. Selon la presse française, le groupe était en relation régulière entre 2011 et 2014 avec les autorités françaises qui avaient donné leur aval pour son maintien en Syrie.
On n’ignorait pas par ailleurs qu’outre l’argent, des pressions européennes avaient été exercées contre la Mauritanie et le Niger contraints de libérer des terroristes d’AQMI afin de faciliter la libération d’otages. Donc, officiellement, ni paiement de rançons, ni libération de détenus d’AQMI ou du MUJAO. Ce qui voudrait dire pour les bisounours qui voudraient bien y croire, que les ravisseurs sont de parfaits Samaritains qui finissent par s’attendrir après avoir battu leur coulpe !
Mais en vérité, aucune libération d’otage, sauf cas exceptionnels dus à des concours de circonstances tout aussi exceptionnels, ne s’est réalisée sans qu’il y ait une contrepartie concrète. Acquittement d’une rançon, libération de terroristes détenus ou les deux à la fois.
La prise d’otages une industrie
Mais c’est surtout le déboursement de rançons qui pose le plus de problème. En effet, il contribue à transformer la prise d’otage en véritable industrie. Il favorise la surenchère financière qui contribue à la création d’une Bourse des otages où certains ressortissants de pays donnés valent financièrement plus que d’autres.
Et il s’agit toujours des kidnappés les mieux cotés à la bourse des valeurs terroristes, à savoir les Français et les autres Européens qui sont détenus le plus longtemps possible et libérés ensuite moyennant paiement ou libération de terroristes qui ont une certaine importance pour leurs organisations respectives. Les autres, comme les Algériens, les Américains et les Britanniques, par exemple, sont généralement exécutés, du fait que leurs pays respectifs ne paient pas de rançons, conformément aux résolutions de l’ONU.
«La principale raison pour laquelle les Etats-Unis ne paient pas de rançon est simple : ça empire les choses. Ça met un prix sur la tête des autres citoyens et ça encourage les kidnappings», avait dit à ce sujet Daniel Benjamin, un ancien diplomate américain qui a été coordinateur du contre-terrorisme pour les Etats-Unis de 2009 à 2012, et est devenu directeur du John Sloan Dickey Center for International Understanding au Dartmouth College. «C’est nous qui nourrissons le terrorisme. C’est nous qui permettons aux groupes de s’équiper et de continuer dans la vague où ils sont partis. Des gouvernements occidentaux faibles, pour des considérations politiques un peu triviales, ont créé un problème international beaucoup plus grave», a dénoncé pour sa part Michel Juneau Katsuya, ex-agent du Service canadien du renseignement de sécurité.
Une enquête de 2014 du New York Times décrit le kidnapping comme une véritable industrie. Depuis 2008, elle aurait permis aux organisations terroristes de récolter au moins 200 millions USD, dont 125 pour la seule AQMI !
Il est indéniable que le règlement de rançons renforce le potentiel financier et, par extension logique, la capacité de nuisance des organisations terroristes partout dans le monde, et particulièrement au Sahel, extension territoriale de sécurité et profondeur géostratégique de l’Algérie. Notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, le placide Ramtane Lamamra, avait eu bien raison d’insister régulièrement sur l’impératif assèchement des sources de financement du terrorisme. Car, fait évident et têtu, c’est avec l’argent des trafics en tout genre, mais surtout avec celui des rançons que les terroristes «renforcent leurs capacités et étendent leur sphère d’action».
Tiguentourine en est une malheureuse et parfaite illustration. Et l’Algérie a donc mille et mille fois raison de plaider inlassablement pour «l’universalisation de l’interdiction de paiement de rançons». Même si des pays comme la France n’y contribuent guère.
Le Jeune Indépendant,
Source : moroccomail.fr