« La situation est sous contrôle », déclare le président Embalo mardi soir à la presse. La situation a été très confuse, ce mardi 1er février 2022, à Bissau. Des tirs ont été signalés dans le centre-ville près des institutions du pays. Des détonations qui ont provoqué un début de panique. La Cédéao a condamné une « tentative de coup d’État ». Selon l’agence de presse Lusa, c’est vers 17h20 (heure locale) que les militaires sont entrés dans le palais du gouvernement et que les membres du gouvernement ont été libérés…
Le président Embalo s’est présenté devant la presse mardi soir après plusieurs heures confuses dans la capitale bissau-guinéenne. Entouré du Premier ministre, du vice-Premier ministre et du ministre de la Justice, Umaro Sissoco Embalo a remercié les forces de défense et de sécurité du pays d’avoir empêché le coup d’État qui constitue une « atteinte à la démocratie ».
Cela a été « un acte préparé et organisé », a déclaré le chef de l’État, qui a attribué cette tentative de coup d’État aux « décisions (qu’il a) prises, notamment la lutte contre le narcotrafic et la corruption », sans désigner clairement les auteurs du coup de force. « Les assaillants auraient pu me parler avant ces événements sanglants ayant fait plusieurs blessés graves et des morts », a regretté le chef de l’État, sans toutefois en préciser le nombre.
Avant cette prise de parole, il avait écrit sur son compte Twitter « Je vais bien Alhamdoulillah » (Dieu merci), « La situation est sous contrôle gouvernemental ».
Je vais bien Alhamdoulillah. La situation est sous contrôle gouvernemental. Je remercie la population de Guinée Bissau et toutes les personnes au delà de notre pays qui se sont inquiétées pour mon gouvernement et moi. Vive la République et que Dieu veille sur la Guinée-Bissau.
— Umaro Sissoco Embaló (@USEmbalo) February 1, 2022
Des tirs de bazooka et de mitraillette
Lors de cette adresse, le président est apparu indemne et serein, après être apparemment resté coincé avec les membres du gouvernement dans le palais du gouvernement, un grand centre administratif bâti en périphérie de la capitale, non loin de l’aéroport, théâtre pendant plusieurs heures d’échanges de tirs nourris.
J’étais en plein conseil des ministres avec tous les membres du gouvernement, y compris le Premier ministre, quand on a été attaqué par de l’armement très lourd. (…) Je peux vous assurer qu’aucun camp n’est lié à cette tentative de coup d’Etat, c’est une chose isolée. Mais c’est lié aux gens qu’on a combattu. La corruption et le narcotrafic. C’est lié à ça. Ce n’est pas qu’une tentative de coup d’Etat mais pour tuer le président de la République et tout le cabinet.
C’est en début d’après-midi que les tirs de bazooka et de mitraillette commencent à retentir. Des militaires encerclent le palais du gouvernement, où se déroule un Conseil des ministres extraordinaire qui réunit le président de la République, Umaro Sissoco Embalo, le Premier ministre Nuno Gomes Nabiam et le reste du gouvernement. La séance est interrompue. Des militaires tentent d’investir les lieux. Les échanges de tirs avec les hommes chargés de la défense du président et du Premier ministre font plusieurs morts et des blessés, mais les assaillants ne parviennent pas à prendre le contrôle du bâtiment.
Après plusieurs heures d’incertitudes, des militaires loyalistes investissent la place et libèrent les occupants. Ils ordonnent la sortie des membres du gouvernement, selon l’agence de presse portugaise Lusa, qui cite une source gouvernementale. Alors que les rumeurs l’annoncent mort ou capturé, Umaro Sissoco Embalo confirme à plusieurs médias, dont RFI, qu’il est libre et en bonne santé. Selon des sources citées par Lusa, le chef de l’État a été exfiltré du palais du gouvernement et il a été conduit au palais présidentiel.
Sur des photos et des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, on voit plusieurs corps sans vie et des personnes en tenue civile qui pourraient avoir été arrêtées au palais du gouvernement, mais on ne sait pas exactement de qui il s’agit.
Selon des témoignages, les civils ont fui cette zone de la ville dès le début des échanges de tirs. Les écoles et nombre de magasins ont aussi fermé, les radios ne diffusaient que de la musique. Beaucoup de mouvements de militaires ont été constatés dans la capitale bissau-guinéenne tout l’après-midi. Des cordons armés ont été déployés autour de certains bâtiments officiels. Dans le reste de la capitale, c’était le calme qui régnait alors que chacun rentrait chez soi et tentait d’avoir davantage d’informations.
La Cédéao condamne une « tentative de coup d’État »
Dans un communiqué publié quelques heures après les tirs de feu et avant l’annonce de l’échec du coup, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest « condamne cette tentative de coup d’État et tient les militaires responsables de l’intégrité physique du président Umaro Sissoco Embalo et des membres de son gouvernement ».
Communiqué de la CEDEAO sur la Guinée Bissau pic.twitter.com/2ZSF60L1mQ
— ECOWAS-CEDEAO (@ecowas_cedeao) February 1, 2022
Une situation qui a été étroitement suivie par le président ghanéen Nana Akufo-Addo, également le président en exercice de la Cédéao, rapporte notre envoyé spécial à Accra, Serge Daniel. Il aurait, selon un de ses conseillers, appelé au téléphone certains de ses pairs de la sous-région pour évoquer la situation. Ces derniers auraient également joint le président Embalo pour lui apporter leur soutien pendant et après la tentative de putsch. Au cours de ces conversations par téléphone, les uns ont trouvé le président bissau-guinéen tantôt philosophe, déterminé ou encore drôle. Des conseils lui ont été prodigué pour un retour durable au calme.
En tout cas, cette tentative de coup d’Etat est un autre sujet de préoccupation pour l’institution sous-régionale. Car on s’apprête à Accra ce jeudi 3 février à parler du Burkina Faso, du Mali, de la Guinée, et désormais le dossier de la Guinée-Bissau pourrait s’inviter à cette réunion des chefs d’États de la Cédéao.
Mais l’institution sous-régionale n’est pas la seule à avoir exprimée son inquiétude. La Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) a également condamné « avec véhémence la tentative de coup de force », indique le ministère angolais des Relations extérieures qui préside actuellement l’organisation.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres appelle à la « fin immédiate » des « combats violents » à Bissau et au « plein respect des institutions démocratiques du pays », indique le communiqué.
Condamnation également du gouvernement portugais : « Nous condamnons l’attaque contre le palais du gouvernement à Bissau et nous appelons à la fin immédiate de cette action violente contre le président et le gouvernement de Guinée-Bissau. L’ordre constitutionnel doit être respecté par tous », écrit le ministère portugais des Affaires étrangères dans un tweet.
Secretary-General @antonioguterres deeply concerned by news of heavy fighting in Guinea-Bissau’s capital. https://t.co/4xi6aXBSyB
— UN Spokesperson (@UN_Spokesperson) February 1, 2022
L’Union africaine très inquiète de la « tentative de coup d’État »
L’Union africaine (UA) s’est dite très inquiète de la « tentative de coup d’État » en Guinée-Bissau. « Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, suit avec grande inquiétude la situation en Guinée-Bissau, marquée par une tentative de coup d’État contre le gouvernement du pays », écrit dans un communiqué l’UA.
Communiqué of H.E @AUC_MoussaFaki the Chairperson of the Commission on the Situation in Guinea Bissau : https://t.co/zMIHwX4ERm#GuineeBissau pic.twitter.com/8JymoCpDbn
— African Union (@_AfricanUnion) February 1, 2022
Des événements qui interviennent après un remaniement
Le Conseil des ministres extraordinaire durant lequel s’est déroulée la tentative de coup d’État se tenait suite au remaniement annoncé le 26 janvier dernier et qui a fait polémique au sein de la classe politique. Un remaniement gouvernemental décidé par le président de la République Umaro Sissoco Embaló, qui a été contesté dans un premier temps par le parti du Premier ministre Nuno Gomes Nabiam. Par la suite, le chef de l’exécutif a toutefois déclaré qu’il était d’accord avec le remaniement.
Les rapports entre le président de la République et l’exécutif ont été marqués ces derniers mois par un climat de tension qui s’est aggravé avec l’affaire de l’avion Airbus A340 qui avait atterri à Bissau en octobre dernier en provenance de Gambie avec l’autorisation de la présidence.
Parmi les personnes qui ont quitté récemment l’exécutif, l’ex-secrétaire l’État de l’Ordre public Alfredo Malu, qui avait affirmé ces derniers jours que son éloignement de l’exécutif était en lien avec l’affaire du mystérieux avion, tout en soulignant qu’il s’était limité à appliquer les ordres du Premier ministre en mettant à disposition des agents de la police pour accompagner des experts nord-américains qui ont inspecté l’avion.
Concernant l’avion Airbus A340, le Premier ministre Nuno Gomes Nabiam avait commencé par déclarer qu’il aurait atterri à Bissau de manière illégale, avec à son bord un chargement suspect. Mais quelques jours après, devant les parlementaires, il avait indiqué qu’une expertise qu’il avait diligentée avait conclu qu’il n’en était rien, sans donner plus d’explications.
Source : RFI