Sous le règne Ibekiste, la tradition hélas, funeste pour le maigre budget de l’Etat est une fois de plus respectée : un nouvel an, un nouveau premier ministre et une nouvelle équipe, au moins, recyclée au gré de l’actualité.
POURQUOI SOUMEYLOU B. MAÏGA ?
Ainsi le nouvel an 2018 sourit à M. Soumeylou Boubèye Maïga (SBM) qui n’est plus à présenter. Car de 1992 à nos jours, d’ailleurs à l’image du parti ADEMA son premier parti, de par sa ruse si raffinée qu’il est parvenu à surfer entre les vagues des régimes successifs de surcroît toujours à des postes stratégiques de l’Etat : défense, affaires étrangères, service de renseignement, secrétariat général à la présidence…. Les régimes passent Soumeylou est toujours là ! L’on comprend aisément pourquoi IBK a fait appel à lui pour conduire le dernier gouvernement (peut-être ?) à 6 mois de la bataille électorale pour réussir sa réélection à la magistrature suprême.
Le président IBK ayant compris que les Maliens ont enfin majoritairement découvert son vrai visage (« Kanfila tigui » : l’homme à deux paroles, mille et une promesses non tenues) au bout de 5 ans à la tête du pays, ne vont pas se laisser embarquer en bateau avec des formules toutes faites : « le Mali d’abord » devenu ma famille d’abord ; « le bonheur des Maliens » devenu celui de sa famille et ses clans. Ainsi ce remaniement du 30 décembre n’est rien d’autre qu’un calcul politicien pour une conservation du pouvoir et non un gouvernement de bataille pour les intérêts supérieurs du peuple malien longtemps rangés dans les oubliettes : la restauration de l’intégrité territoriale dans le nord du Mali demeure un vœu pieux ; les solutions au problème de l’emploi des jeunes où 800.000 emplois été promis (restent à prouver avec la liste des bénéficiaires et des postes), la lutte contre la corruption se résume à la production annuelle des rapports du vérificateur général sans suite en dépit des milliards volés ou pillés pour entretenir le confort du roi semblant Mandé Massa…
Le pays entre dans une période électorale au moment où les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Plus que jamais il faut donc une stratégie de conquête des voix en ratissant large au-delà de parti fut-il majoritaire. Toute chose qui expliquerait en partie le choix porté sur Soumeylou Boubèye Maïga, président d’un petit parti politique, l’Alliance pour la solidarité au Mali/Convergence des forces patriotiques (ASMA-CFP). Cependant sa force de mobilisation peut se révéler ravageuse avec un leader portant désormais une double casquette : président de parti et chef du gouvernement. Dans son sillage, il peut être en mesure de mobiliser en faveur de la majorité présidentielle les autres petits partis. Cette stratégie peut être aussi perçue comme une façon de stopper le départ des responsables du camp de la majorité présidentielle vers celui de l’opposition à l’image de l’ex premier ministre Moussa Mara, ou de l’ancien responsable de la cellule de communication de la présidence M. Racine Thiam entre autres.
L’INCONNU : RPM ET SBM, Y AURA-T-IL UN TANDEM ?
Après tout, l’inconnu de l’équation reste à savoir si la future collaboration entre le parti majoritaire, le RPM et le gouvernement désormais dirigé par le chef d’un autre parti sera-t-elle au beau fixe ? SBM va-t-il réussir là où à échouer le président de YELEMA, ancien premier ministre, Moussa Mara et M. Modibo Keïta, ancien premier ministre également mais issu de la société civile ? Ces deux premiers ministres d’alors ont eu maille à partir en sous-marin avec le RPM qui ne leur manifestait qu’un soutien de façade. Cependant à priori SBM démarre avec un avantage : sa force de dissuasion à un moment crucial où toute la majorité présidentielle est condamnée à jouer collectif si elle aspire à la victoire pour les prochaines élections générales.
POURQUOI SBM MAINTENANT ?
L’on est en droit de se poser cette question d’autant plus que les prédécesseurs du désormais ex premier ministre M. Abdoulaye Idrissa Maïga sont partis dans un contexte de crise ouverte (Oumar Tatam Ly et Moussa Mara) ou larvée (Modibo Keïta). En effet le 05 avril 2014, Oumar Tatam Ly s’en lave les mains de la méthode de gouvernance Ibkiste en ces termes : « Au regard des dysfonctionnements et des insuffisances que j’ai relevé dans la marche du gouvernement, qui réduisent grandement sa capacité à relever les défis se présentant à lui, il m’est apparu nécessaire de lui imprimer au sortir des élections législatives, dans un environnement institutionnel devenu moins favorable, des évolutions propres à lui conféré davantage de cohésion et à lui doter de compétences accrues lui permettant de mettre en œuvre des changements tant attendus par vous-même et par le peuple malien. Je n’ai pas pu vous convaincre de la nécessité de ses évolutions lors de nos entretiens des 2, 3 et 16 Mars ainsi que du 04 Avril 2014. En conséquence, en considération de ses vues différentes qui ne me mettent pas dans la position de remplir la mission que vous m’aviez confiée, je suis au regret de vous présenter ma démission du poste de Premier Ministre du Gouvernement de la République du Mali. »
Le temps donnera raison à Tatam Ly, Car quelques semaines après sa démission, les honteux scandales éclateront au grand jour : des irrégularités, des surfacturations dans les dossiers de l’achat de l’avion présidentiel (dont jusqu’à présent l’on ignore le prix réel avec preuve à l’appui), l’achat des équipements pour l’armée. Le pays s’est trouvé au bord de l’inflation voire une situation de cessation de paiement. Ainsi les institutions de Bretton Woods mettront au pilori le gouvernement qui appliquera au pied de la lettre toutes ses injonctions (l’annulation desdites sulfureuses passations de marchés et des sanctions contre les auteurs) contre la reprise de leur coopération financière avec le Mali.
Le successeur d’Oumar Tatam Ly, Moussa Mara rendra le tablier dans un contexte de crise d’ordre sécuritaire. En effet en mai 2014 suite à une « téméraire » visite de Moussa Mara alors premier ministre, à Kidal encore sous occupation des groupes armés, les forces armées maliennes (FAMAS) ont été engagées dans une calamiteuse tentative campagne militaire de reconquête de ladite localité. Ce fut un échec cuisant avec à la clé des dizaines de soldats des FAMAS assassinées par des groupes armés à la fois terroristes et irrédentistes et la perte de tout contrôle de l’Etat sur Kidal. Qui a ordonné d’engager les troupes dans cette désastreuse aventure ?
Telle dans une république bananière, pas de responsables, pas de coupables, au grand dam des victimes assassinés en dépit d’une commission parlementaire diligentée. Ainsi Moussa Mara, pourtant accueilli en héros à son retour de Kidal, sera par la suite contraint à la démission le 08 janvier 2015. Il a été fatalement affaibli par les critiques croisées du RPM qui n’arrivait pas à digérer le fait qu’un premier ministre n’était pas alors issu de ses rangs et de l’opposition qui dénonçait les dossiers de corruption. Par rapport au dossier de Kidal, le ministre de la défense d’alors, Soumeylou Boubèye Maïga a démissionné, mais il sera vite réhabilité par IBK pour devenir secrétaire général de la présidence puis aujourd’hui premier ministre.
Quant à Modibo Keïta, comme d’habitude, le RPM va le soutenir au début en se résignant avant de lui tourner le dos par la suite. Ainsi le dossier du nord du pays connaitra un début de solution avec la signature d’un accord de paix le 15 mai 2015 avec la mise en place partielle des autorités intérimaires et des patrouilles mixtes. Cependant les groupes armés sont loin de déposer les armes, de même les caciques du RPM qui n’hésitaient plus à court-circuiter le premier ministre pour aller traiter directement avec IBK.
Ainsi affaibli, Modibo Keïta à son tour sera gentiment remercié par IBK qui fera appel à un Rpmiste bon teint, en la personne d’Abdoulaye Idrissa Maïga pour conduire le gouvernement. En poste depuis 8 mois, il présentera à la surprise générale sa démission au chef de l’Etat sans explication officielle. Contrairement à ses 4 prédécesseurs, pendant qu’il n’y avait visiblement pas de crise d’animosité ou d’incompatibilité d’humeur ni avec sa famille politique ni avec le président IBK, sous réserve d’éventuelles révélations de dernière minute.
Ainsi le départ de l’ex premier ministre d’Abdoulaye Idrissa Maïga, pourtant subit mais sans fracas, peut s’expliquer sous 2 angles. Au pire des cas, il s’agirait d’une divergence de vues, voire un malentendu entre le chef de l’Etat et son premier ministre concernant la gestion d’un ou des dossiers du gouvernement. En pareil circonstance et même dans bien d’autres cas, le dernier mot appartient au Chef de l’Etat et c’est le premier ministre qui sera contraint de rendre le tablier.
Au mieux des cas, il pourrait être question d’un accord amiable entre IBK et son premier ministre sortant pour faire venir SBM, fin tacticien politique qui en a plus d’un tour dans le sac. Les jours à venir nous édifieront sur ce point. En attendant, c’est un secret de polichinelle qu’IBK se représentera pour un second mandat. Du coup de grosses manœuvres se mettent en place au sommet de l’Etat pour arriver à cette fin.
L’ARSENAL ELECTORAL POUR 2018
A 6 mois des présidentielles, acte N°1 : le retour d’ATT est désormais dans le sac à cadeaux depuis le 24 décembre à la veille de Noël même si la messe n’est pas encore attendue, car on ignore encore si le pouvoir va chercher à en tirer un bénéfice politique. Acte N°2 : cinq jours après le retour d’ATT, le premier ministre démissionne en douce, sans explication alors qu’aucune crise avérée ne présageait cette démission. Acte N°3 : la composition du nouveau gouvernement montre à suffisance un arsenal de bataille électoral avec un recentrage autour de trois pôles : RPM, ADEMA et société civile.
Autour des deux formations politiques gravitent les autres « moyens » ou « petits » partis politiques de la majorité présidentielle et qui ont eu voix au chapitre dans le gouvernement : CODEM, ASMA, UM-RDA, UDD, le Parti socialiste PS-Yelen coura entre autres. L’attelage politique est renforcé par la société civile représentée officiellement ou de fait à titre individuel. Soit dit en passant, la coordination des associations et ONG féminines du Mali (CAFO) dont la présidente sortante (ou actuelle) Mme Traoré Oumou Touré a été reconduite dans le nouveau gouvernement n’a pas fini de gérer les dissensions internes ainsi créées. L’objectif étant de rameuter au-delà du RPM.
CHEFS DE PARTIS PROMUS, DES BOSSEURS VIRES
D’autre part à regarder de près, la composition du nouveau gouvernement semble faire fi du critère de compétence avérée de certains ministres sortants pour promouvoir la montée en puissance des chefs d’autres partis politiques représentés au sein du gouvernement afin qu’ils mobilisent et mettent en ordre de bataille électorale.
La non reconduction de M. Mohamed Aly Bathily, ministre sortant de l’habitat, de l’urbanisme et des affaires foncières en dépit de tout le travail abattu qui commençait à mettre de l’ordre dans l’épineuse question de la spéculation foncière avec la mise en place d’un nouveau plan cadastral et des sanctions ou menaces de procès contre les rapaces qui se sont accaparés du domaine foncier de l’Etat ou d’un bien immobilier privé. Il paye aussi pour son franc-parler et la dénonciation des corrompus protégés par l’Etat. De fait on le renvoie continuer ce combat avec son fils activiste RAS BATH, mais en dehors du gouvernement. Leçon à retenir : sous IBK, celui qui tente d’empêcher la corruption est éjecté tôt (cas Oumar Tatam Ly) ou tard (Cas Mohamed Aly Bathily).
En outre, le ministre des affaires étrangères sortant, malgré les résultats tant soit peu modestes à la tête de la diplomatie par rapport à la gestion de la crise dans le nord du Mali au sein des instances internationales s’est vu débarqué. Le machiavélisme politique a eu raison de ces deux ministres sortants (Bathily et Diop). Au même moment ont été confirmés ou monté en grade de préséance les ministres Tiémoko Sangaré (des mines et du pétrole) et Abdel kader Konaté (commerce et concurrence et porte parole du gouvernement) tous de l’ADEMA sont confirmés à leurs postes respectifs. Quant à Tiéman Hubert président de l’UDD, de l’administration est retourné aux affaires étrangères et coopération internationale.
Ousseïni Amion Guindo, président du CODEM, du sport a été bombardé à l’éducation nationale même si ce poste demeure une patate chaude avec les grèves intempestives des enseignants ou des étudiants. Amadou Koïta, président du PS, et ancien poulain d’ATT qui a longtemps retourné sa veste reçoit comme prime de trahison, son maintien à son poste à la jeunesse et à la reconstruction citoyenne. Un poste ministériel qui se résume à sillonné le pays pour présider simplement les cérémonies d’ouverture des manifestations pompeusement organisées pour citer IBK dans un discours. Un ancien ADEMA reconverti au FARE puis recyclé au RPM, M. Soumana Mory Coulibaly s’est vu enfin récompensé avec le poste du développement local.
Ce dernier poste ministériel confirme une fois de plus que le chef de l’Etat n’a pas pitié des maigres ressources de l’Etat quand on voit un même domaine, la décentralisation, émietté en 3 départements ministériels avec leur tête respective un ministre plein : administration territoriale et de la décentralisation (Mohamed Ag Erlaf), puis les collectivités territoriales (Alhassane, Ag Hamed Moussa) et développement local (Soumana Mory Coulibaly). L’intérêt partisan pour récompenser des amis politiques a pris le pas sur l’intérêt général (les maigres ressources de l’Etat) un thème pourtant sublimé par IBK dans son discours de présentation de vœux à la nation.
Acte N°4 : justement dans son discours à la nation pour présenter ses vœux du nouvel an, le dernier de son mandat, le chef de l’Etat s’est largement montré en donneur de leçon ou metteur de mise en garde à l’attention de ceux ou celles sans les désigner qui s’engageront dans les futures batailles électorales. Ceci afin qu’ils puissent mettre l’intérêt national au-dessus des intérêts personnels.
A ce point précis de son intervention, le chef de l’Etat a oublié qu’il est bientôt en fin de mandat et que les 70% des Maliens qui lui ont fait confiance se demandent qu’est-ce que l’Etat a fait contre les cadres véreux qui ont sucé les deniers publics à des coups de millions, voire des milliards au profit de leurs poches, leurs proches et clan sans être inquiétés ?
Acte N°5 sera la feuille de route ou la future déclaration de politique générale (DPG) du nouveau premier ministre. Peu importe le contenu qui ne peut être que les reformulations des précédentes DPG, la tactique restera la même : dire que le gouvernement mettra tout en œuvre pour assurer le bonheur des Maliens et ne pas dire qu’il est là pour batailler pour la réélection d’IBK. Tout le reste n’est que « fadaise » !
Bakary TRAORE
Source: Le Républicain