L’ancien Premier ministre malien est décédé le 21 mars 2022 à Bamako dans la clinique où il était hospitalisé depuis décembre dernier. En prison depuis août 2021, accusé entre autres de « faux et usage de faux et d’atteinte au biens publics dans l’affaire de l’acquisition de l’avion présidentiel et des achats d’équipements militaires, il avait vu son état de santé se dégrader sévèrement durant sa détention, poussant sa famille à demander en vain aux autorités de la transition son évacuation à l’étranger. Soumeylou Boubèye Maïga ne sera donc finalement jamais jugé. Une fin sur fond d’interrogations et de polémiques pour un homme qui aura marqué la vie politique malienne pendant plus de 30 ans.
Majestueux, solitaire, grand carnivore et prédateur hors pair, le tigre fascine autant qu’il fait peur. Et c’est du nom de ce grand félin que Soumeylou Boubèye Maïga (SBM) signait ses articles dans « Acropole Matin » en 1974, lorsqu’il était en Terminale. « C’était un journal écrit à la main. Quand on revenait du weekend, chacun allait s’attrouper pour lire ce qu’il avait écrit », se rappelle l’un de ses anciens camarades de classe. Durant ses 68 ans de vie, Soumeylou Boubèye Maïga va à la fois inspirer crainte, méfiance et sympathie. Un mythe que l’homme d’État va entretenir de la révolution de mars 1991 à son passage à la sécurité d’État, jusqu’à sa nomination comme Premier ministre en 2017. Un parcours atypique
Soumeylou Boubèye Maïga s’était formé pour devenir journaliste. Sa passion pour la plume depuis le lycée l’emmènera à étudier le métier au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de Dakar, l’une des écoles de journalisme les plus réputées en Afrique francophone. « Je garde de lui le souvenir d’un étudiant intelligent, perspicace et précoce, d’une remarquable finesse d’esprit et déjà d’une surprenante maturité dans la perception des problèmes africains, singulièrement de ceux du Mali », témoigne l’un de ses professeurs du CESTI.
Il a également étudié en France, où il obtiendra un DESS en diplomatie et administration des organisations internationales à l’Université de Paris-Sud et un Diplôme de relations économiques internationales à l’Institut d’administration de Paris. De retour à Bamako, il travaillera un temps au quotidien national L’Essor, puis au mensuel Sunjata, édité par l’Agence malienne de presse et de publicité (AMAP), dont il fut le rédacteur en chef de 1981 à 1990.
Soumeylou Boubèye Maïga a été l’un des artisans de l’avènement de la démocratie au Mali. Son discours devant le Président Moussa Traoré lors de la clôture des concertations que le régime avait organisées en 1986 avec la société civile sur l’État de la Nation reste dans les mémoires. Alors Président de la Commission de contrôle du Syndicat national de l’information, de la presse et de l’industrie du livre, il déclarera au Président Traoré, les yeux dans les yeux et sous les ovations de l’assistance, que ces concertations ne servent pas à grand-chose, fustigeant les « politiques d’ajustement dont personne n’est sûr de la fiabilité » et qui « sacrifient les conditions de vie des gens.» Un discours en phase avec l’idéologie défendue par le Parti malien du Travail (PMT), formation clandestine à laquelle il appartenait, notamment aux côtés d’Abdrahamane Baba Touré, Alpha Oumar Konaré, ou un certain Ibrahim Boubacar Keïta.
Membre fondateur de l’Alliance pour la démocratie au Mali / Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA / PASJ), il a été le Coordinateur de la Commission d’organisation des marches et meeting ADEMA – CNID (Congrès national d’initiative démocratique) lors des évènements qui ont conduit à la chute de Moussa Traoré et à l’avènement de la démocratie, en mars 1991. « À l’époque, écrire un texte était presque un crime. Ceux qui se sont publiquement affichés pour la cause de la liberté de la presse et d’autres libertés doivent être salués. Soumeylou Boubèye Maïga était de ceux qui ont bravé la dictature de Moussa Traoré et qui ont à la limite mis en danger leur vie pour que nous puissions avoir ce pluralisme médiatique», reconnait Dramane Aliou Koné, patron de presse ancien président de la Maison de la presse.
À l’issue de la première élection présidentielle démocratique du pays, qui élit Alpha Oumar Konaré, Soumeylou Boubèye Maïga devient son chef de cabinet. Deux ans plus tard, il est nommé à la tête des services de renseignement jusqu’en 2000, année où il entre au gouvernement comme ministre de la Défense et des anciens combattants. Après cette période, il connaitra un premier passage à vide.
En 2002, l’ADEMA opte pour la candidature à la présidentielle de Soumaila Cissé au détriment de la sienne, un choix qu’il a du mal à accepter. En 2007, il est candidat malheureux à la présidentielle, mais pas sous la bannière de l’ADEMA, qui avait décidé de soutenir le Président sortant Amadou Toumani Touré (ATT) dès le premier tour. Pour l’occasion, il avait créé le mouvement Alternance 2007 et se fera pour cela exclure du parti. En 2008, retour en grâce, ATT le nomme président du conseil d’administration de l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ). En 2011, il entre au gouvernement en tant que ministre des Affaires étrangères jusqu’au coup d’État militaire de 2012.
Bien que rabiboché avec son parti, il démissionne de l’ADEMA en 2013 pour créer le sien, l’Alliance pour la solidarité au Mali – Convergence des forces patriotiques (ASMA-CFP). À la présidentielle de la même année il soutient Ibrahim Boubacar Kéïta, qui le nomme ministre de la Défense, jusqu’à la débâcle de l’armée malienne à Kidal en mai 2014. Mais cette nouvelle traversée du désert est de courte durée, le « Tigre » devient secrétaire général de la présidence en septembre 2016, puis Premier ministre en décembre 2017. « Ces nouvelles fonctions au sommet de l’État sont la consécration logique de l’itinéraire du militant patriote qu’il a toujours été, doublé d’une expérience hors pair de grand commis de l’État », explique une source qui l’a côtoyé pendant des années. Il démissionne le 18 avril 2019 sous la menace d’une motion de censure à l’Assemblée nationale, et alors qu’une grande mobilisation organisée par l’imam Mahmoud Dicko réclamant son départ avait eu lieu le 5 avril. Ses relations avec le leader religieux étaient tendues et avaient culminé avec « l’affaire » des 50 millions destinés à « aider » pour une journée de prière initiée par le Haut conseil islamique, dont Mahmoud Dicko était alors le président. L’Imam a refusé la somme et n’a pas manqué de le médiatiser. « Nous avons à faire à des acteurs hybrides qui poursuivent le même objectif sous différentes facettes, mais c’est le même objectif politique (…). Tous ceux qui s’agitent sont des gens qui ont voté et fait voter contre nous », avait-il déclaré.
Circonstances difficiles
Alors qu’il était incarcéré depuis le 26 août 2021, la santé de Soumeylou Boubèye Maïga s’est dégradée au fil des mois. Suite à plusieurs demandes de sa famille et de ses avocats, l’ancien Premier ministre a été transporté d’urgence le 15 décembre 2021 dans la clinique Pasteur de Bamako. En quittant la prison, il avait déjà perdu 18 kilos selon certaines sources, et 27 selon son épouse Binta Yatassaye qui confirme qu’il ne pouvait plus marcher, quelques semaines avant sa mort. Par la suite, l’évacuation sanitaire vers l’étranger demandée par son équipe médicale, puis par son épouse dans une lettre ouverte adressée au président de la transition le 1er mars, était restée sans réponse.
« Notre dernière rencontre remonte au 13 décembre 2021, 2 jours avant qu’il ne soit évacué vers la clinique. On sentait un homme très affaibli mais qui le cachait. Je crois que c’était surtout parce qu’il voulait nous rassurer », explique une source proche de l’ancien Premier ministre. Selon une autre source qui lui a rendu visite à la Maison centrale d’arrêt de Bamako, l’ancien Premier ministre apparaissait comme un homme « très abattu », qui ne comprenait pas le sens de cet « acharnement » qui le visait. « D’abord, la justice n’a jamais eu besoin de venir à la télé annoncer lors d’un flash spécial qu’elle allait ouvrir une procédure judiciaire contre X », ajoute-t-elle.
Toujours selon notre source, après avoir été emmené en urgence à la clinique Pasteur, SBM était toujours sous garde sécuritaire, « quatre à cinq éléments » et il n’était pas facile pour sa famille de le voir. « Seul son ancien attaché de cabinet lui apportait à manger. Sa famille pouvait lui rendre visite le 5 et le 25 de chaque mois. Et c’est une seule personne qui avait le droit de le voir ce jour-là. Le choix n’était pas facile à faire. »
Sa mort, survenue alors que des médecins avait suggéré de l’évacuer, au regard de son pronostic vital, qui était « engagé », a suscité beaucoup de réactions. Le Cadre d’échange des partis politiques a estimé le 21 mars dans un communiqué qu’il était « mort en détenu politique, dans des conditions très troublantes » et « exigé l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur les circonstances de ce décès et situer les responsabilités ».
Le frère de l’ancien Premier ministre va plus loin. « On a comme l’impression que c’est un assassinat programmé. Soit ils voulaient le tuer, soit le rendre impotent à vie », a estimé Tiègoun Boubèye Maïga sur l’antenne de TV5 Monde. « Il est décédé de non assistance médicale », renchérit une autre source. « A priori, si les soins nécessaires ne sont pas disponibles sur place, l’évacuation est de droit, mais à la charge du détenu. Le reste du détail est politique. L’article 10 de notre Constitution garantit l’accès à tous au médecin de son choix, mais les modalités doivent être déterminées par le juge d’instruction, dans ce cas précis les conseillers de la chambre civile de la Cour suprême », nous confie un avocat qui a requis l’anonymat. Si la famille ne s’est pas encore prononcée sur la suite, certains analystes prédisent déjà que ce décès va impacter négativement l’image de la transition et également sa perception à l’international, dès lors que certains chefs d’État de la CEDEAO, notamment Alassane Ouattara, Mohamed Bazoum, ou encore Macky Sall, avaient plaidé la cause de SBM.
L’ASMA orpheline
La disparition du « Tigre » est une énorme perte pour sa formation politique, l’ASMA-CFP. « Je n’arrive pas à imaginer ce qui s’est passé, même si c’est la volonté de Dieu. Le parti aura du mal à se remettre de cette disparition, mais on tiendra bon », pense Kane Makoye Sissoko, présidente des femmes de l’ASMA-CFP. Tenir bon. C’est à cet exercice difficile que sera confronté le parti après la disparition de son père fondateur et leader charismatique. Exercice souvent périlleux, comme le démontrent les conflits ouverts au sein de l’URD de Soumaïla Cissé et du RPM d’Ibrahim Boubacar Kéïta, après leur disparition.
Si tout le monde peut déclarer être héritier et porteur des valeurs du « Tigre » au sein de sa formation politique, personne ne se détache pourtant du lot. Selon l’analyste politique Ballan Diakité, la logique des partis politique maliens est uniquement fondée sur la conquête du pouvoir. Une fois que cela est devenu réalité, le père fondateur se désintéresse du parti. Cela crée un problème de leadership, surtout après son décès, laissant place à des tensions internes, voire à des divisions. « La sociologie politique des partis au Mali, c’est le culte de la personnification. Les partis sont construits autour d’un seul homme, de leur seul leader. Et, généralement, c’est ce leader qui finance aussi les activités du parti. Lorsqu’il décède, cela pose un véritable problème de succession », explique-t-il.
On gardera du « Tigre » l’image d’un animal politique qui a toujours su rebondir, avec la volonté ferme de devenir une pièce maitresse du jeu politique malien pendant plus de 30 ans. Même mort, Soumeylou Boubèye Maïga continuera d’être une énigme qui n’a pas livré tous ses secrets. Il aura passé plusieurs mois en prison sans jamais avoir été reconnu coupable ou condamné.
Boubacar Diallo
Source : Journal du Mali