Peu d’hommes politiques maliens sont autant responsables de la déconfiture actuelle de notre patrie que Soumeylou Boubèye Maïga (SBM). Depuis l’avènement du multipartisme, à part le trio infernal AOK, ATT et IBK, qui ont progressivement et successivement conduit le pays dans l’abîme de la désolation, personne d’autre n’a aussi longtemps et dans de très hautes positions fait partie du personnel dirigeant de l’État malien.
De 1992 à 2002, sous la présidence de AOK, il fut successivement chef de cabinet du président de la République (un an), directeur des services de renseignements (sept ans) et enfin ministre de la Défense (deux ans). Il fut le dernier ministre des Affaires étrangères d’ATT et le premier ministre de la défense d’IBK.
Il démissionne du portefeuille de la défense suite aux conséquences fâcheuses de la visite de Moussa Mara à Kidal et se retrouve deux ans plus tard Secrétaire général de la présidence de la République. Dix-huit mois plus tard, il est nommé Premier ministre et occupe le poste pendant quatorze autres mois jusqu’en avril 2018.
À part assouvir son ambition de devenir président du Mali, il ne lui reste plus aucune pierre à retourner dans le champ de ruines qu’est devenu l’État malien. Cependant, on est bien en peine de dire président pour faire quoi, pour porter quel projet autre que d’achever la dislocation du Mali entamée sous ATT et accélérée sous IBK ?
Façonné par les mêmes pratiques qui ont mis à terre notre pays, membre éminent du corps architectural de la «démocrature» multipartiste, qui nous sert de système politique depuis 1992, les seules voies qui peuvent conduire SBM au pouvoir sont les mêmes qui ont conduit aux multiples coups d’Etat : administration d’État partisane, achats de conscience, fraudes électorales, mobilisation des réseaux clientélistes et financements obscurs de la campagne, le tout sur fond d’ignorance crasse de l’électorat et de pleutrerie des élites maliennes.
Ainsi donc, celui qui est admirativement appelé par ses partisans le tigre, sera candidat à la présidence du Mali pour la troisième fois en 2022 à soixante-huit ans. À les croire, il triomphe de ses adversaires politiques avec l’efficacité tactique du plus grand des félins.
Pourtant, si l’on en juge par son action à la tête du gouvernement ou comme ministre de la Défense, on doit en conclure qu’il s’agit d’un tigre édenté n’ayant aucune prise sur les vrais problèmes du Mali. En fait, le félin, auquel il faudrait plutôt comparer SBM est le matou aux neuf vies. Il a grillé sa première vie lorsque de candidat à la candidature au sein de l’Adéma, battu aux primaires par Soumaïla Cissé, il fut le directeur de campagne du candidat du parti qui sera vaincu au second tour de la présidentielle de 2002.
Il fut accusé de jouer un double jeu en faveur d’ATT. Soumaïla s’en fut créé l’URD après son échec à la présidentielle pour échapper à la tutelle embarrassante de l’Adéma et s’écarter de ses camarades de parti qui ne lui inspiraient plus confiance.
En 2007, l’Adéma refuse de présenter un candidat au premier tour de la présidentielle contre ATT au grand dam de SBM qui veut porter les couleurs du parti. Dioncouda, le président de l’Adéma, à l’époque, et la majorité des cadres de l’Adéma se souvenaient bien de la manière dont l’Adéma mobilisa tous les appareils d’Etat pour le coup d’Etat électoral d’AOK en 1997. Il se rappelait également la manière dont les leaders des contestataires avaient été des mois durant emprisonnés suite au coup d’Etat électoral.
Publiquement, alors, Dioncouda déclara, sans doute un lapsus, que si l’Adéma ne se rangeait pas derrière ATT ses figures proéminentes risqueraient la prison. SBM s’entêta et se présenta en indépendant. Il a quitté le peloton Adéma, qui roulait pour ATT, pour tenter seul une échappée sur les pentes de Koulouba en compagnie d’IBK, Tièblen Dramé, Oumar Mariko. Ses résultats électoraux furent médiocres. Le parti l’exclut. Ce fut sa deuxième mort politique.
SBM retourna à son équipe d’origine, après avoir fait amende honorable, et finit par renaître sous la forme du dernier ministre des Affaires étrangères d’ATT. En fin tacticien, sentant bien la direction du vent électoral, il se dresse à nouveau contre l’Adéma et bat campagne pour IBK en 2013.
En quittant l’équipe Adéma, il tire les leçons de son premier échec et décide de créer son propre parti politique. Sa seconde rupture d’avec l’Adéma, comme la première, n’était ni d’ordre programmatique encore moins idéologique. IBK le récompense en le nommant ministre de la Défense d’un pays en guerre. Suite à la débâcle militaire consécutive à la visite de Moussa Mara à Kidal, IBK le rabroue publiquement. Il rend son tablier. La même année, il est cité dans des dossiers sulfureux d’achats d’équipements militaires. Politiquement, il est de nouveau mort. Le félin fait le dos rond.
Les déboires du président avec ses Premiers ministres successifs le conduisent à rappeler SBM. D’abord, au secrétariat général de la présidence, puis à la primature, à moins de 7 mois de la présidentielle. Le chat a bien neuf vies. Il se comporte en fidèle lieutenant et délivre une élection présidentielle assez correcte, selon les standards maliens, au président de la République qui le reconduit à son poste jusqu’à ce que les mobilisations de contestation post-électorale combinées à l’indignation populaire, suite à des massacres communautaires d’ampleur et d’atrocités jamais connues au Mali, et portées par la société civile comme par les partis politique, y compris au sein même de la majorité présidentielle, le poussent à la sortie. Il fait à nouveau le dos rond, avec la certitude d’avoir la gratitude du président.
Arrivent les législatives de 2020. Ces élections ont laissé derrière elles un champ de ruines. Le parti de SBM, l’ASMA, est la première victime de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Entre les résultats provisoires et Manassa, l’ASMA a perdu la moitié de ses élus, victime d’un croc-en-jambe dévastateur du RPM. Ce n’est guère surprenant car dès sa nomination au poste de PM, SBM avait immédiatement braconné sur les terres de son allié putatif au sein de la majorité présidentielle.
En définitive, le nombre d’élus de l’ASMA n’augmente que d’une unité pour se situer à quatre. Trop peu pour peser face à l’Adéma (24 élus), l’URD (19 élus) ou le RPM (51 élus). Pire, pour ajouter l’insulte à l’injure, l’ASMA se fait largement dépasser par le MPM de Hadi Niangadou qui obtient dix sièges. Que des partis anciens bien établis le devancent passe encore, mais qu’un nouveau parti créé par un nain politique, il y a encore peu, venu en politique bien après lui, le batte à plate couture, signe l’arrêt de la possibilité que SBM devienne président. L’Adéma dont il s’est extrait et qu’il comptait rallier en cas d’avantage numérique au parlement ne sera pas prête à le suivre, alors que ses huit sièges initiaux n’étaient déjà pas fameux.
Alors, quand la contestation contre le régime d’IBK commence puis enfle, SBM ne monte pas aux avant-postes pour défendre le président de la République. Il n’a plus rien à gagner avec IBK chancelant et le RPM le déteste cordialement. Il ne participe pas non plus au mouvement de contestation ; on ne voudrait pas de lui là-bas. Le coup d’État survient et des rumeurs font état de son ombre derrière les putschistes du CNSP ou d’une autre tentative de putsch contre IBK qui aurait été devancée par le CNSP.
Toujours est-il que le chat reprend vie et se prend à rêver à nouveau d’un destin présidentiel. Ce sera sa dernière opportunité de se faire élire, il jettera alors toutes ses forces dans la bataille d’où ses multiples déplacements médiatisés à l’intérieur du pays : la campagne a déjà commencé !
À défaut d’être le candidat tacitement soutenu par la junte ou de prendre la tête de l’Adéma, il n’y a aucun chemin qui conduirait SBM à des résultats honorables ou encore moins au second tour. Extrait des entrailles de l’Adéma, le parti ASMA est condamné à y retourner ou à disparaître. SBM n’a pas le récit victimaire et le mythe d’homme à poigne dont s’est drapé IBK ; il n’a pas les ressources financières de feu Soumaïla Cissé et la réputation de technocrate qu’il s’était forgée. Sa seule bonne réputation en la matière est son intelligence. Il faudrait plutôt parler de sa ruse de matou. Son intelligence est surévaluée.
Au fur et à mesure que s’éloignait dans le passé le 26 mars 1991, la classe politique malienne perdait en intelligence. Aux parvenus et aux derniers arrivés attirés par l’odeur du pouvoir et de l’argent, SBM a paru comme une lumière. Au pays des aveugles…l’homme est rusé comme le matou. C’est différent de l’intelligence. Rusé, SBM n’impose sa puissance qu’en position de force au sein des appareils d’État ; féroce avec les faibles et cajoleur avec son maître.
La génération des fondateurs de l’Adéma est sur la sortie. Si elle ne veut pas laisser comme héritage politique que le triste spectacle de sa gestion du pouvoir, d’abord seul puis aux côtés d’ATT et d’IBK, elle ferait mieux de transformer le parti pour le mettre véritablement au service des Maliens et non à celui exclusif des apparatchiks.
L’Adéma demeure en location près de 30 ans après sa création. SBM, comme beaucoup d’autres dirigeants de l’Adéma, n’avait pas un Kopeck en banque en 1992, possède pourtant des maisons dont les annexes sont bien plus grandes que le siège du parti qui les a portés au pouvoir. Ce qui est remarquables pour des personnes qui n’ont exercé que des fonctions publiques et qui étaient interdites par ce fait même de faire des affaires.
Abdoulaye Shaka Bagayogo
Source: L’Oeil du Mali