Le premier sommet Russie-Afrique a eu lieu la semaine dernière (23-24 octobre 2019) Sotchi où Vladimir Poutine a accueilli une quarantaine de dirigeants africains. Et comme on pouvait s’y attendre, Poutine a insisté sur le potentiel de l’Afrique et a affiché ses ambitions pour le continent.
D’emblée, le dirigeant russe a promis de doubler dans les cinq ans les échanges commerciaux, donc de les hisser à la hauteur du potentiel de développement de l’Afrique sur lequel il n’a cessé d’insister.
Officiellement, en 2018, les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique se sont élevés à 20 milliards de dollars, moins de la moitié de ceux de la France et dix fois moins que ceux de la Chine. Et la majorité du commerce concerne les armes, rare domaine dans lequel la Russie reste en tête des partenariats avec le continent.
Cette initiative diplomatique est donc une manière pour Moscou de revenir sur un continent dont la Russie s’est retirée à la chute de l’URSS et où la Chine et les pays occidentaux ont plusieurs longueurs d’avance. Et pourtant, jusqu’à la Perestroïka, l’URSS était un partenaire stratégique pour des pays africains, surtout ceux comme le Mali qui avaient fait le choix d’un socialisme africain à l’accession à l’indépendance. Elle va par exemple contribuer non seulement à former et à équiper l’Armée malienne, mais elle a aussi aidé la première République à implanter ses premières unités industrielles.
Ce sommet se veut une réplique aux «fora sur la coopération sino-africaine» ayant permis à Pékin de devenir le premier partenaire du continent. Et à l’image de Beijing, Moscou privilégie une coopération sans «ingérence politique» ou autre. Et pour certains observateurs, le moment est opportun pour la Russie car «certains acteurs africains, inquiets de leur dépendance financière, commencent à ressentir une forme de lassitude face à la Chine».
Concrètement, la Russie offre-t-elle plus et mieux que la Chine, le Japon ou les puissances coloniales comme la France et l’Angleterre voire la Turquie, l’Inde… ? Ce sommet s’est traduit en deux jours de discussions sur des thèmes sur les «technologies nucléaires au service du développement de l’Afrique», à l’exploitation des «minerais africains au profit des peuples d’Afrique» sont prévus. Lors de la session plénière, Vladimir Poutine a promis que la Russie continuerait à aider les pays africains en effaçant leurs dettes dont «le montant total» dépassait déjà 20 milliards de dollars. Il faut dire que l’effacement des dettes est un point-clé de la politique russe en Afrique. Il conditionne souvent ses programmes à des contrats d’armement avec les pays concernés.
Privilégier le transfert des technologies pour diversifier l’économie et créer de la valeur ajoutée
En tout cas, dans le discours, la Russie dit avoir opté pour «une ambitieuse relation gagnant-gagnant» avec le continent. Mais, de quoi les pays africains ont-ils besoin pour amorcer l’émergence ou l’accélérer ? S’il est clair que la Russie va miser sur des projets structurants pour s’implanter en Afrique. Aux Africains maintenant de profiter de la très forte concurrence entre Occidentaux, Chinois, Japonais, Indiens, Turcs et Russes pour imposer de nouvelles règles du jeu en sa faveur.
Il est vrai que des pays du Sahel déstabilisés par le terrorisme pencheront naturellement pour un soutien militaire, aussi bien au niveau de la formation (pilotage, renseignements…) que des équipes (moyens aériens qui manquent cruellement à l’Armée malienne par exemple). La Russie peut-être ainsi un partenaire stratégique pouvant permettre à la Force conjointe du G5 Sahel d’être opérationnelle.
Mais, il est aussi indispensable qu’un pays comme le Mali s’inscrive réellement dans une vision globale de la paix. Si l’option militaire est indispensable pour éviter au pays de sombrer entre les mains des extrémistes violents, la paix repose à moyen et long termes sur le développement socioéconomique avec une juste répartition des richesses. Le Mali a besoin de retrouver sa dynamique industrielle brisée par le coup d’Etat du 19 novembre 1968. Et c’est la Russie qui avait permis au jeune Etat indépendant d’amorcer ce développement industriel.
Raison de plus pour mettre en avant le transfert de technologies dans notre futur partenariat avec les Russes qui sont d’ailleurs très compétitifs dans de nombreux domaines. La diversification des partenariats est un atout pour l’émergence du continent. Mais, à condition qu’ils contribuent aussi à diversifier l’économie, la production industrielle grâce aux nouvelles compétences formées et aux transferts de technologies.
Il est en tout cas très clair qu’un partenaire ne va pas sacrifier ses intérêts parce qu’il veut aider les Africains à se développer. Et comme le dit un confrère, «c’est à l’Afrique de prendre son destin en main». Et d’ajouter, «il nous faut plusieurs Paul Kagame et autre Thomas Sankara à la tête de nos États pour sortir l’Afrique du trou. Des chefs qui aiment leur pays, qui ne viennent pas pour s’enrichir». Et surtout qui ont une vision claire des défis à relever pour créer les conditions du bien-être général.
«Après s’être agenouillés devant la Chine, nos dirigeants se mettent maintenant à plat ventre devant la Russie…Personne n’a pourtant aidé la Chine et la Russie à trouver la voie. Ils ont forgé leur destin au prix d’innombrables sacrifices», déplore-t-il. Autrement, sans tourner le dos à des partenariats crédibles et mutuellement avantageux, l’Afrique doit trouver sa propre voie. Cela comme le suggère si bien El Hamidou Kassé (un confrère du Sénégal), «en diversifiant ses partenaires, en consolidant son unité par des blocs économiques comme la ZELEC et en mobilisant ses jeunesses» ! C’est à ce prix que nos pays pourront réellement amorcer et accélérer la montée en puissance de leur économie.
Nos élites doivent toujours avoir à l’esprit cet adage africain qui nous rappelle sans cesse que «l’assistance est bien, mais elle n’a pas de durée déterminée. Parfois apprenons à ceux là à pêcher de leurs propres mains que de toujours leur donner du poisson car demain ne nous appartient pas» !
Moussa Bolly