La charge historique que nous, les Maliens, avons avec les impôts et dérivés n’est pas simple. En bamanankan, notre principale langue de communication et de commerce, l’impôt est généralement nommé «Ni’nsogon» : «le prix de la vie» ou «le prix de l’âme». Cette notion est un héritage de l’administration coloniale. Le «ni’nsongo» y était perçu non pour prioritairement développer la colonie, mais pour entretenir les autorités coloniales et participer au développement de la métropole.
L’administration coloniale n’avait pas pour priorité le développement de sa colonie et le bien-être de ses habitants. La société a donc organisé sa résistance à la colonisation à travers de réguliers sabotages du paiement des impôts. Les écrits sur cette période, notamment ceux de Amadou Hampâté Ba, témoignent des nombreuses répressions des commandants coloniaux aux résistances au paiement des «ni’nsongon».
À l’indépendance, nous avons malheureusement reconduit presque telle quelle l’administration coloniale et ses méthodes répressives. Les Blancs ont été simplement remplacés par des commandants locaux. Le grand public est donc resté dans sa logique de la résistance coloniale.
Ne percevant pas toujours l’utilité réelle de l’Etat, il ne l’intériorise pas comme représentant légitime de l’intérêt général. Il le garde comme un corps étranger et hostile, et développe un ensemble de comportements qu’Ali Cissé définit, dans son livre «Mali : une démocratie à refonder», comme des «anti-corps» pour détruire l’intrus : grogne continue, résistance passive ou active, révolte latente ou ouverte, non respect du bien public, incivisme fiscal, etc.
Voler l’Etat, ce n’est pas voler. Casser des édifices publics, c’est faire du mal à l’Etat. Payer ses impôts, c’est enrichir une clique de dirigeants véreux. Dénoncer un suspect, c’est faire de la délation. Défier un représentant de l’Etat dans l’exercice de sa fonction, c’est faire acte d’héroïsme. Violer une loi et un interdit n’est pas bien grave, car tout peut se négocier et tout peut s’arranger.
Avec les médias modernes et les réseaux sociaux, ces comportements d’incivisme s’amplifient de plus en plus, prennent des formes inquiétantes et viennent renforcer la défiance généralisée et les autres espaces de dysfonctionnement de notre pays. La société elle-même n’a pas pris la mesure du chantier et la crise catastrophique que nous vivons traduit l’absence de cette conscience civique.
Nous demandons, par exemple, à notre armée des sacrifices héroïques, mais considérons comme normal de frauder le fisc et de la priver ainsi des moyens nécessaires. Une participation plus active des citoyens à la vie de la société reste la solution immédiate à cette déliquescence. Elle est loin d’être acquise.
En la matière, le paiement des impôts et autres contributions fiscales est la première forme de participation du citoyen dans la construction de son pays. Pour que cela se fasse de façon satisfaisante, il faudrait qu’il soit convaincu de la pertinence d’un tel agissement. Cet engagement ne surgit pas spontanément. Il exige une action à long terme, des ressources soutenues et une stratégie éducative et communicationnelle cohérente.
Si je suis IBK, je commencerais le dénouement de cette situation en proposant un programme de pédagogie pour populariser la notion postcoloniale de l’impôt.
Si je suis IBK, je confierais à ce programme la délicate tâche de faire évoluer dans la société la notion «ni’nsongon» (prix de la vie ou de l’âme) en notion «nansongo» (prix du condiment). L’action partirait du principe que chaque hórón (citoyen) du Mali du 21ème siècle est un chef de famille de la nation. La première responsabilité d’un chef de famille au Mali est le paiement du «nansongon» (prix du condiment).
Un chef de famille qui ne s’acquitte pas de cette responsabilité ne peut exiger de repas à la maison. Egalement, un hórón (citoyen) qui ne s’acquitte pas de son «nansongon» national ne peut exiger un service public de qualité de son pays. Car le budget de l’Etat est en grande partie alimenté par les impôts.
À partir de cette métaphore, le programme pourrait inventer des outils pour populariser les faits fiscaux. À la semaine prochaine.
Alioune Ifra NDIAYE
Le Reporter