Au Mali, quand on parle de culture, nous sortons le masque dogon, le tam-tam, la Kora et donnons la parole au griot ; et tout le monde est content. Cela taraude même dans nos documents les plus essentiels pour l’organisation de notre avenir. Le Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté considère la culture comme seulement «une composante essentielle du patrimoine qu’il convient de préserver… et une des composantes de l’attractivité touristique et du rayonnement du Mali à l’International» et ne lui consacre dans son rapport de mise en œuvre à mi-parcours (2012-2017) que 2 pages de clichés.
L’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali ne propose que la Biennale Artistique et Culturelle comme solution culturelle à la cohésion sociale. J’affirme, sans risque de me tromper, que si nous ne sortons pas de ce seul rapport à la culture, une nouvelle dynamique d’un Mali post-crise en phase avec le monde d’aujourd’hui va être difficilement possible.
L’homme est la matière première de toute société et de toute économie. Son moteur culturel détermine sa qualité de citoyen, d’inventeur, de producteur, de distributeur et de consommateur. Pour qu’une société, un espace économique, soit efficace, il faudrait que les hommes et les femmes (citoyens, inventeurs, producteurs, distributeurs et consommateurs) qui l’animent soient de qualité.
Au-delà des lieux formels et informels de formation et d’éducation, ils sont exposés tous les jours aux textes, aux sons et aux images qui influencent quotidiennement qualitativement et quantitativement leur choix et leur consommation. Ces sons, textes et images sont émis par des livres, des théâtres, des concerts, des télévisions, des radios, des réseaux sociaux, des salles de spectacles et de cinéma, des espaces publics, des espaces privés, etc. Ces sons, textes et images sont créés, produits et diffusés principalement par des disciplines culturelles.
Au-delà d’être un instrument essentiel de la construction et de l’entretien d’un imaginaire profane commun et d’une société harmonieuse, la culture pourrait avoir un impact très positif sur l’économie du Mali. Le potentiel culturel du Mali est inouï. Organisée, elle pourrait être une industrie capable de générer des dizaines de milliers d’emplois directs et contribuer au PIB à hauteur de dizaines de milliards par an.
En France, selon le dernier rapport conjoint des ministères de l’Economie et de la culture, la culture a contribué à près de 40 000 milliards de francs CFA au PIB, soit plus de 7 fois la valeur ajoutée de l’Industrie automobile, et emploie 670 000 personnes. À l’échelle de son économie, le Mali pourrait faire mieux.
Si je suis IBK, je travaillerais, tout de suite, à sortir la culture de sa «folklorisation» continue. Je construirais les bases d’un dispositif culturel qui pourrait être progressivement un appel d’air vers une industrie culturelle économiquement viable.
Si je suis IBK, je commencerais la mise en place de ce dispositif par la création d’un marché intérieur pour les artistes. En lien avec 70 collectivités territoriales du Mali, je créerais 70 équipements culturels avec des salles de 200 places en moyenne, capables de diffuser du théâtre, de la musique, de la danse, du cinéma, des expositions, des conférences-débats et d’accueillir des manifestations populaires.
Ce qui ferait un potentiel de plus de 2 millions de spectateurs et de 10 080 dates par an pour les artistes maliens. À partir de ce dispositif, je proposerais un statut de l’artiste et des techniciens de la culture, en lien avec le bureau des droits d’auteur, qui leur permettra d’accéder à la bancarisation de leur revenu, au crédit et à des programmes de couverture sociale.
Si je suis IBK, j’accompagnerais ce marché intérieur de la culture par un programme interministériel autour de 2 urgences culturelles nationales : la lecture et Internet. Le Mali ne lit pas. Un pays qui ne lit pas ne saurait véritablement prétendre au développement. Je lancerais une «Urgence culturelle nationale» en faveur de la lecture sur une base interministérielle : Education nationale, Culture, industrie, communication, commerce, affaires étrangères et coopération… Tout le poids de l’Etat, au plus haut niveau, y serait mis pour légitimer la pratique de la lecture et créer les conditions de son exercice : librairies, édition, bibliothèques publiques, etc.
Je lancerais également une «Urgence culturelle nationale» pour faire du Mali une source de production numérique. Même si pour le moment, il y a beaucoup de dérapages, Internet est un des domaines où la créativité de la société malienne apparaît le mieux et de la façon la plus prospective. C’est également une technologie où le «retard» sur les nations les plus développées est faible et rattrapable.
Mise en place et généralisation du haut débit, formation aux métiers de créations numériques, popularisation du codage, organisation de l’accès à internet, échanges nationaux et internationaux autour de la création de contenus sont des tâches immédiatement possibles que je mettrais tout de suite en œuvre. J’articulerais la mise en œuvre de cette «urgence culturelle nationale» au dynamisme des entreprises privées dans le domaine numérique et à l’inventivité des dizaines de milliers d’internautes déjà actifs, surtout dans la jeunesse.
Si je suis IBK, j’accompagnerais la mise en œuvre de ce programme par une ambitieuse opération de communication qui populariserait les bonnes perspectives de la nouvelle dynamique du Mali post-crise et mettrait la communauté de la culture, les collectivités territoriales concernées et les entreprises du numérique en action. À la semaine prochaine
Alioune Ifra NDIAYE
Source: Le Reporter