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Seydi Diamil Niane : « Au Sénégal, les politiques n’agissent pas face à la poussée salafiste »

Docteur en islamologie de l’université de Strasbourg et chercheur post-doctorant à l’université Aix-Marseille, Seydi Diamil Niane s’inquiète d’un partenariat signé entre la Haute Autorité du waqf au Sénégal et une association salafiste.

Selon lui, l’islam confrérique et les autorités devraient être plus vigilants quant à la diffusion du discours wahhabit

La Croix : En quoi consiste ce partenariat signé le 20 juillet à Dakar entre la Haute Autorité du waqf, chargé par l’État sénégalais de recueillir les legs, et le Fonds sénégalais pour la zakat (l’aumône) ? Pourquoi vous inquiète-t-il ?

Seydi Diamil Niane : Ce partenariat m’inquiète parce qu’il donne une apparence de reconnaissance officielle à une simple association – le Fonds sénégalais pour la zakat – qui regroupe les principales figures du salafisme au Sénégal.

Cette association, créée en 2010 pour collecter et redistribuer le produit de la zakat (l’aumône), est dirigé par Mouhammad Ahmad Lo, un « docteur en sciences islamiques » diplômé de l’Université de Médine en Arabie saoudite. Il y a appris un islam wahhabite qu’il diffuse, depuis son retour au Sénégal, via toute une série d’associations d’enseignement et de prédication.

Ahmad Lo est également président du Comité de fatwa et de l’orientation de l’Union des oulémas d’Afrique – une sorte de ligue des salafistes africains qui a traduit en sept langues et diffuse dans tous les pays du continent de nombreux écrits de l’islam wahhabite.

Dans un contexte où l’islam traditionnel sénégalais, celui des confréries soufies, est déjà très contesté, je crains que ce partenariat sous le haut patronage du président de la République et de plusieurs ministres ne donne une autorité supplémentaire aux tenants de ce courant venu d’Arabie saoudite.

Quelle est l’importance du courant salafiste au Sénégal ?

S.D.N. Le mouvement Al Falah, spécialisé dans l’enseignement et la prédication, est le premier appartenant au courant salafiste à s’être implanté au Sénégal. Après avoir obtenu une licence en 1975, il a ouvert quelques écoles ici et là. En 2017, quand j’ai achevé ma thèse, il comptait 115 établissements scolaires accueillant 20 000 élèves, et un millier d’employés (1).

Aujourd’hui, les salafistes possèdent des chaînes de télévision, des radios qui délivrent des fatwas, d’innombrables sites Internet. Ils se sont fait connaître en finançant la construction de puits dans des villages reculés ou en offrant des livres à des mosquées traditionnelles : en général, des exemplaires du Coran et des ouvrages de tendance wahhabite…

Les confréries soufies, solidement implantées au Sénégal, ne parviennent-elles pas à contenir la poussée salafiste ?

S.D.N. La présence de l’islam confrérique est très importante au Sénégal. Mais je montre dans ma thèse combien la percée du salafisme a été rapide et à quel point il conteste cet islam traditionnel. Les confréries continuent, dans une certaine mesure, à jouer un rôle de rempart : là où elles sont le plus solidement installées, le risque de radicalisation est moins élevé.

Mais elles peuvent être influencées par le discours wahhabite comme celui des Frères musulmans. Un maître de la confrérie Tijaniyya, qui est également le chef d’un parti politique et député, peut citer de grands soufis comme Ibn ‘Arabi, une référence des salafistes comme Ibn Taymiya, mais aussi une figure comme Al-Qaradaoui (NDLR : prédicateur vedette des frères musulmans réfugié au Qatar). On constate parfois une sorte d’hybridation entre islam confrérique et islam politique.

Parfois, les confréries n’hésitent pas à s’allier aux mouvements salafistes, par exemple pour contester le code de la famille, très éloigné de l’islam pour eux. Enfin, le manque de modernisation des confréries et leur collusion avec le pouvoir politique leur sont parfois reprochés, y compris par leurs fidèles, et les fragilisent.

Les autorités sénégalaises ne réalisent-elles pas le danger que représente cette idéologie au Mali, au Nigeria ou ailleurs ?

S.D.N. Les raisons pour lesquelles les politiques n’agissent pas face à la poussée salafiste sont complexes. Je dirais que certains souffrent d’une sorte « d’analphabétisme religieux » et ne se rendent pas compte du danger. D’autres, en revanche, agissent par pur calcul politique.

La tendance actuelle est de réunir autour d’une même table tous les responsables religieux, pour les faire discuter ensemble et éviter les dissensions. Le problème est que les salafistes viennent, répètent qu’ils n’ont rien contre les cheikhs traditionnels, mais en profitent pour dérouler leur agenda.

Pour ma thèse, j’ai lu et analysé tout ce que les salafistes ont écrit et publié et je vois bien à quel point leur discours est repris, au mot près, par certains djihadistes. On retrouve les mêmes attaques contre les soufis chez les figures du wahhabisme au Sénégal – « ils se prennent pour Dieu », « ils constituent une menace pour le credo islamique » – que chez le fondateur de Boko Haram.

(1) La thèse de Seydi Diamil Niane portait sur « Le conflit idéologique entre le wahhabisme et la confrérie soufie Tijāniyya au sud du Sahara : le Sénégal en exemple ».

Source: la-croix.com

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