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Série les fils de (2/6), Karim Keita, l’obstiné

Karim Keïta, homme d’affaires devenu l’un des conseillers les plus écoutés par son père, Ibrahim Boubacar Keïtace, n’est pas forcément un atout pour ce dernier dans l’élection présidentielle qui se joue cemois de juillet. 

Quand il est de passage à Paris, sa ville natale, Karim Keïta descend au très chic hôtel Balzac près de Georges V, où le café est à son goût : corsé. Décrit par ses proches comme « la copie conforme de son père » le président malien, Karim est, lui aussi, un amoureux de la belle vie. Une qualité qu’il s’est forgé aux  tables raffinées des grandes villes occidentales où il a fait ses d’études.

Des affaires à la politique

Mais contrairement à son père tombé dans la marimite politique très jeune, l’aîné du président visait le monde des affaires. A l’Athénée Royal de Waterloo à Bruxelles où il est scolarisé de quinze à dix-huit ans, il passe son bac avant de s’orienter vers des études commerciales à l’ICHEC « Brussels management school ». « Une envie de changement » dit-il, le fera s’envoler pour le Canada où il poursuit son cursus à l’HEC Montréal. De ce côté de l’Atlantique où la mode est aux examens QCM, Karim garde une pied en Europe et en Afrique à travers ses lectures, notamment de la presse française. « Chaque semaine se souvient-il, j’achetais Le Point, Jeune Afrique, etc. dans la grande rue Sainte-Catherine de Montréal. » Narquois, les opposants d’IBK ne manquent pas une occasion pour leur part d’entretenir les rumeurs sur la jeunesse festive et « m’as-tu vu » du fiston.

Diplôme en poche, il revient en 2006 au Mali où il monte, deux ans plus tard, sa société de location de véhicules, « Rent a Car » basée à l’ACI, le quartier d’affaires de Bamako percé de hautes tours modernes. En parallèle, Karim gère l’agence Konijane Strategic Partners (KSP), un cabinet de conseil pour les entreprises en Afrique à travers lequel il cultive un vaste et prestigieux réseau sur le continent. Les deux sociétés dont il est aujourd’hui toujours propriétaire sont fréquentées par une clientèle haut de gamme souvent issue des milieux d’affaires ou politique. « Même les opposants de mon père ont loué discrètement chez moi » aime-t-il rappeler malicieusement. Un précieux carnet d’adresse qu’il mettra volontiers au service de son père avant et après son élection à la tête de l’Etat.

Soutien indéfectible de son père en politique, il met pour la première fois la main à la pâte lors de la campagne présidentielle de 2007 en montant des comités de soutien dans la capitale. Mais ce n’est que lorsque le Mali s’embrase en 2012 que « Kathio », comme le surnomment ses proches, alors âgé de 32 ans, est propulsé sur le devant de la scène politique. Décrit par la presse malienne comme l’un des conseillers les plus influents de son père, ce qu’il estime « exagéré », il est pris d’un passion soudaine pour la géopolitique. « Quand la tension a commencé à monter et que les militaires ont renversé l’ex président Amadou Toumani Touré, j’ai dévoré toutes les notes de l’Ifri (Institut français des relations internationales) » affirme-t-il. Admiratif du député Ump Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État aux Affaires européennes sous Nicolas Sarkozy et fondateur de l’Ifri qu’il rencontre parfois à Paris, Karim affûte ses connaissances sur le conflit qui plonge son pays dans le chaos. Après la chute du régime d’ATT, les événements s’accélèrent. Des élections sont prévues pour juillet 2013. Cela tombe bien, le Quai d’Orsay a jeté son dévolu sur IBK qui devient le candidat de la France. C’est décidé, Karim fera tout pour que son père devienne président.

Papa veut pas

Pour la campagne, il mobilise ses réseaux, prend en charge la communication et la logistique. Surprise, avant la tenue du scrutin, c’est l’une de ses connaissances, l’homme d’affaires Sidi Kagnassi, qui décroche le contrat de fabrication des cartes électorales biométriques « Nina » pour le compte de la société française Morpho (ex-Sagem), filiale de Safran. Plusieurs fois condamnée pour corruption dans d’autres pays africains, l’entreprise traîne bon nombre de casseroles. Au Mali des voix ne tardent pas à s’élever dénonçant un surplus de production de près de deux millions de cartes d’électeurs à usage frauduleux. Interrogé sur son éventuelle influence lors de l’appel d’offre, Karim Keïta se défend. « A l’époque, j’étais encore hors du circuit politique. Je n’occupais aucun poste de décision ».

Pourtant, le jeune homme ne reste pas longtemps hors du jeu politique. Une fois le père élu, le fils gonfle ses ambitions. Il confie son désir de se faire élire député et brigue la très stratégique commune II de Bamako aux législatives de novembre 2013. « Mon père s’y est opposé affirme-t-il. Il ne voulait pas que ses enfants soient mis sur le devant de la scène ». Il faudra attendre l’intervention du chérif de Nioro, le puissant leader de la confrérie religieuse hamalliste qui a soutenu sans réserve IBK durant sa campagne pour le convaincre de le laisser faire. Les paroles du leader religieux sont d’or. La voie est libre, Karim remporte les élections malgré les critiques de certains cadres du parti d’IBK (le RPM) qui pointent son manque d’expérience.

Déjà pourtant, le jeune  » Kathio  » voit plus loin.  » Avant même de me présenter pour être député c’était la commission de défense qui m’intéressait « , dit-il. Dans un pays en guerre, quoi de plus déterminant que le lien avec l’armée ? Les jeux de stratèges attirent le jeune élu qui relit avec zèle  » Le Grand Echiquier  » de Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller de Jimmy Carter à la sécurité nationale. Mais à nouveau les cadres du RPM montent au créneau. A nouveau IBK s’oppose. A l’époque, c’est le général Niamé Keïta, ancien inspecteur général de police à la retraite et fin connaisseur des questions de sécurité élu sur la liste du RPM qui est pressenti pour présider la commission. Rien n’y fait. Karim remporte la mise. « Merci papa » grincent les opposants.  » Après cela, mon père ne m’a plus parlé pendant trois mois  » affirme l’intéressé.

Un froid qui n’a pourtant pas empêché d’autres proches du chef de l’Etat d’occuper des postes de pouvoir importants. Parmi les heureux élus on compte son beau père, Issiaka Sidibé, président de l’Assemblée nationale. Outre Sidi Kagnassi, devenu conseiller spécial d’IBK, le ministre de la communication, Mahamadou Camara, ancien salarié de Jeune Afrique, est aussi un bon ami de Karim. Tout comme Léo Tall, chargé de mission à la Présidence de la République. Un népotisme qui vaut à la famille présidentielle d’être accusée de s’accaparer le pouvoir. Lorsqu’en avril dernier l’ancien premier ministre Oumar Tatam Ly démissionne affirmant avoir tenté en vain de convaincre IBK de revoir son style de gouvernance, c’est Karim qu’on accuse d’avoir mis des bâtons dans les roues de l’ancien chef de gouvernement.  » Faux  » répond-il.  » Il suffit de lire sa lettre de démission pour voir qu’il ne fait jamais référence à moi.  »

Aux contempteurs qui crient à l’impérialisation du pouvoir, il répond que son père porte avant tout son choix sur des personnes reconnues pour leurs compétences. Et si elles se trouvent dans les cercles familiaux où d’amis, quelle importance ? « Après tout, s’interroge-t-il un sourire en coin, cela n’arrive-t-il pas dans d’autres pays ? Y compris occidentaux… ? »

Les réseaux Karim 

A Bamako, c’est désormais sa relation avec Sidi Kagnassi qui lui vaut d’être la cible de nombreuses attaques. Cadet de Cheikhna Kagnassi, l’ancien magnat du coton en Afrique de l’Ouest, Sidi Kagnassi a vécu pendant de nombreuses années en Côte d’Ivoire où il a pris les rênes de l’Aiglon, l’une des filiales de l’empire familial qu’il a conduit à la faillite. Ce n’est qu’à l’avènement d’IBK dont sa famille est proche qu’il revient au pays. Depuis, il navigue dans les couloirs du palais de Koulouba. On murmure que c’est Karim qui aurait accéléré le rapprochement avec la présidence. A partir de septembre 2013, Sidi Kagnassi intervient auprès des banques maliennes pour débloquer les crédits nécessaires à l’achat de fourniture militaires pour l’armée. Le 13 novembre 2013, c’est un contrat de pas moins de 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) qui est signé entre la société d’import-export Guo-Star et le ministère de la Défense. Au FMI où l’on scrute de près cette transaction hors budget, on s’interroge sur la nécessité du recours à un intermédiaire qui s’est vu attribué le contrat de gré à gré. Une mesure d’exception que Karim Keïta, déjà président de la commission de défense à l’époque, justifie par le caractère sensible du contrat.

Depuis son ascension, Karim fascine et alimente tous les « on-dit ». La presse malienne ne se lasse pas de la comparaison avec Karim Wade, le sulfureux fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade mis en détention dans l’attente d’un procès pour enrichissement illicite. Un rapprochement qui hérisse le fils Keïta qui s’emploie scrupuleusement à détricoter l’image de flambeur qui lui colle à la peau. « On m’a accusé d’avoir commandé une porsche c’est faux, où la ferais-je rouler à Bamako ? On m’a accusé d’avoir acheté 17 hectares de terres dans la région du Mandé pour un milliard de francs CFA c’est faux. Allez voir le cadastre. Quoi d’autre encore ? Honnêtement, je devrais demander 5% sur les ventes des journaux qui font du commérage à mon sujet » plaisante-t-il. « La vérité c’est que tout le monde se focalise sur mon statut de fils de président parce que personne ne trouve rien à redire sur mon travail à la commission de défense ».

Et pour l’avenir ? Quand on lui demande s’il songe à prendre la suite de son père, il sourit en levant les yeux au ciel et se frotte le haut du crâne. « Certainement pas, la politique me fait perdre mes cheveux ».

Source: mondafrique.com

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