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Série Barkhane (volet 5), la future stratégie française au Sahel totalement floue

Dans quelques semaines, la France quittera la ville de Gao, sa dernière base au Mali, et mettra officiellement fin à l’opération Barkhane. Ce retrait ne signifie pas la fin de la guerre de la France au Sahel. Un nouveau dispositif allégé est d’ores et déjà en discussion avec les pays de la sous-région. Mais il acte la défaite de la force Barkhane face aux groupes djihadistes sahéliens qui ne cessent de gagner du terrain.

 

Retour en cinq actes sur la plus longue opération militaire extérieure de la France depuis la guerre d’Algérie. Ce cinquième et dernier volet est consacré au nouveau dispositif militaire imaginé par la France pour poursuivre et même étendre la guerre contre les djihadistes en Afrique de l’Ouest.

Bientôt, les derniers soldats français quitteront le Mali. Ils ont déjà évacué les camps de Tessalit, de Kidal, de Tombouctou, de Gossi et de Menaka depuis la fin 2021. Il ne reste plus que celui de Gao, qui fut pendant près de neuf ans la principale base de Serval, puis de Barkhane. Située dans l’enceinte de l’aéroport de la cité des Askias, elle accueillait un millier de militaires, le gros de ses véhicules et une partie de son commandement. Dans une interview accordée à l’AFP début juillet, le général Laurent Michon, qui commande l’opération Barkhane depuis juillet 2021, a indiqué que le retrait total est prévu pour « la fin de l’été ». « Au total, 4 000 containers et un peu moins d’un millier de véhicules doivent partir du Mali », a-t-il précisé.

Mais tout ce matériel ne sera pas envoyé en France. Une partie sera rapatriée, via le Niger. Mais une autre partie restera au Sahel. Car si Barkhane, c’est fini, la guerre de la France contre les groupes djihadistes sahéliens, elle, se poursuit. La France prévoit de laisser environ 2 500 militaires dans la région. On ne connaît pas encore précisément la forme que prendra le nouveau dispositif. « C’est toujours en discussion avec les pays de la région », indique une source diplomatique française. Mais on a quelques certitudes sur l’après-Barkhane.

Le rôle clé du Niger

Première certitude : la France continuera de se battre sur le terrain, dans les pays qui le souhaitent. La différence, c’est que désormais, les soldats français ne seront plus en première ligne et n’interviendront qu’en soutien des armées de la sous-région. « Hors de question de faire comme au Mali et de prendre le lead de la lutte antiterroriste, souligne notre source au Quai d’Orsay. Désormais, il s’agira d’appuyer nos partenaires, sue le terrain comme dans la formation et le renseignement, et de ne rien décider à leur place. Nous avons appris de nos erreurs au Mali ». C’est ce que les militaires appellent « l’inversion partenariale ».

Deuxième certitude : le Niger jouera un rôle clé dans ce nouveau dispositif. Si les autorités françaises répètent qu’il est hors de question de redéployer tous les éléments positionnés au Mali au Niger, et que, donc, « le Niger ne sera pas le nouveau Mali » et « Niamey ne sera pas le nouveau Gao », selon les termes d’un cadre du ministère des Armées, Niamey occupera une place particulière. C’est probablement ici que l’on trouvera le gros du contingent de l’armée française (ainsi qu’à N’Djamena évidemment, une base historique de la France sur le continent) ainsi qu’un PC opérationnel. Et c’est d’ici que décolleront, comme aujourd’hui, les avions de chasse et les drones. Si le Niger est destiné à devenir le nouvel épicentre de la lutte antiterroriste de la France, c’est d’abord parce que le président Mohamed Bazoum le souhaite. Depuis de nombreuses années, ce dernier estime que son pays a besoin de l’aide de ses partenaires pour lutter contre les djihadistes. Il l’assénait lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, le rappelait quand il était à la tête de l’Intérieur, et le répète maintenant qu’il occupe le palais présidentiel. D’ailleurs, le Niger ne compte pas que sur la France pour cela. Il a permis aux Américains de construire une base ex-nihilo dans la ville d’Agadez – base d’où décollent ses drones de surveillance. Et il accueille des petits contingents de plusieurs armées européennes : l’Italie, l’Allemagne, etc.

En mai dernier, Bazoum a appelé Français et Européens à « prendre plus de risques et ne pas être hantés par les pertes » au Sahel, et il a réclamé que leurs forces soient déployées « avec des capacités aériennes conséquentes, des règles d’engagement efficaces, des sacrifices, des moyens financiers, avec beaucoup plus d’hélicoptères, de bombes ». Mais Bazoum, comme les Français, sait qu’il marche sur des œufs. Il n’ignore pas que cette présence militaire est fortement critiquée dans son pays comme dans l’ensemble de la région désormais, et qu’il serait contre-productif de reproduire ce que la France a fait au Mali pendant des années. Le mot d’ordre est à la discrétion et à la communication. « Le message que nous voulons faire passer est le suivant : nous n’agissons plus qu’à la demande de nos alliés africains », souligne la source militaire déjà citée. Ce que l’on nomme à Paris la stratégie du « deuxième rideau ». Reste à savoir si cela se vérifie sur le terrain…

La Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin, cibles du terrorisme

Troisième certitude : l’activisme militaire de la France va s’étendre – de même que les groupes djihadistes étendent leur influence. Ainsi, les pays côtiers du Golfe de Guinée devraient à leur tour entrer dans le dispositif antiterroriste imaginé par la France, et notamment la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin, trois pays du pré carré qui sont de plus en plus menacés par les djihadistes. Le Bénin, dont la frontière avec le Burkina, au nord, est aujourd’hui infestée de djihadistes (tout l’est du Burkina échappant au contrôle des autorités burkinabé), a subi de nombreuses attaques ces derniers mois et s’inquiète. La Côte d’Ivoire et le Togo aussi, bien que la menace soit moins pressante et les attaques plus rares. De même que le Ghana. Demain, le Sénégal et la Guinée pourraient à leur tour être touchés, les djihadistes se rapprochant de leurs frontières (des attaques ont été menées dans les régions maliennes de Kayes et de Bougouni). Tous ces pays comptent sur la coopération de la France pour faire face à l’avancée des groupes armés. Mais on ignore encore pour l’heure quelle forme prendra cette coopération. Verra-t-on des soldats français se battre au sol avec les militaires béninois, togolais et ivoiriens ? Ou la France se contentera-t-elle de fournir du renseignement, d’appuyer les armées depuis les airs, et de les former à la lutte antiterroriste dans la toute nouvelle Académie internationale de lutte contre le terrorisme située à Jacqueville (en périphérie d’Abidjan), sur une superficie de 1 100 hectares, qu’elle a en partie financée ? « C’est précisément de tout cela dont nous discutons », indique la source diplomatique.

Les éléments de langage sont d’ores et déjà en place (et repris par nombre de médias) : la France ne décide plus seule, elle ne fait qu’accompagner ses partenaires dans une coopération vertueuse, c’est une nouvelle guerre qui débute. Ce nouveau dispositif pose cependant un certain nombre de questions. Que se passera-t-il lorsque des soldats français seront au sol sous le feu de l’ennemi ? Continueront-ils d’agir sous commandement du partenaire africain ou répondront-ils aux ordres directs de Paris ? Et quid des frappes aériennes, qui ont abouti à des victimes collatérales au Mali, et qui risquent de se multiplier à l’avenir, puisque la France continue de s’équiper en drones armés et de les envoyer au Sahel ? Qui décidera de frapper : la France ou le partenaire ? Et sur la base de quel renseignement ? Et enfin, en quoi ce dispositif serait plus efficace que le précédent ? Nombre de chercheurs rappellent que Barkhane a échoué à vaincre les djihadistes en partie parce que le tout-militaire était privilégié et que trop peu de place était accordée aux enjeux politiques, économiques et sociaux, ou encore aux négociations avec les groupes armés. Dans une tribune publiée le 7 juillet dans Le Monde, un collectif d’experts (chercheurs, journalistes, militants) appelle à plus de transparence et de consultation publique sur la politique que mène la France au Sahel, mais aussi à « tirer les leçons des manquements et des revers de son approche, qui aura été principalement structurée autour d’une dimension militaire et sécuritaire, sans prise en considération suffisante des racines politiques et sociales de la crise ».

Officiellement, la France refuse de reconnaître qu’elle a échoué au Sahel. Elle continue de penser que les critiques des populations sahéliennes sont entretenues (voire financées) par ses ennemis – la Russie notamment. Elle refuse ainsi de voir que la présence militaire de soldats français dans la région est de moins en moins acceptée dans ces pays, qu’elle suscite de plus en plus d’interrogations et de critiques. Or avec son nouveau dispositif, elle sera certes moins visible (sur le modèle des Américains qui sont très discrets sur le continent, malgré une présence militaire importante), mais personne n’est dupe : elle continuera de jouer un rôle central. Non seulement elle conserve ses bases historiques au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Tchad (qui toutes jouent un rôle important au Sahel), mais en plus, elle pourrait s’implanter encore un peu plus dans des pays où ses militaires étaient sinon absents, du moins peu nombreux, comme au Niger, au Bénin ou au Togo.

Ceux qui estiment que cette présence militaire est un des marqueurs de la perpétuation de la Françafrique en sont pour leur frais : le départ des militaires français de l’Afrique de l’Ouest n’est pas pour demain.

SourceMondafrique

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