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Selon l’ancien ministre de la décentralisation Ousmane Sy, « si les djihadistes ont l’oreille de la population, c’est parce que l’Etat est rejeté ».

Au Mali, l’élection présidentielle approche – le premier tour est prévu le 29 juillet –, mais la paix se fait toujours attendre. Dans le nord et le centre du pays, les groupes djihadistes mènent des attaques régulières, alors que l’Etat tarde à se redéployer.

Ancien ministre de la décentralisation et des collectivités territoriales et secrétaire général de la présidence, auteur de Reconstruire l’Afrique, vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques locales (éd. Charles Léopold Mayer, 2009), Ousmane Sy est considéré comme l’un des premiers artisans de la décentralisation au Mali. Il livre son point de vue sur les retards dans la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger et sur la situation sécuritaire du pays.

Pourquoi, plus de deux ans après sa signature, l’accord de paix peine à être appliqué ?

Ousmane Sy Le grand problème de cet accord, c’est le manque d’appropriation politique. Après sa signature, ceux qui devaient l’assumer politiquement se sont défaussés pour des raisons diverses. On a mis l’accord entre les mains de techniciens, qui font ce qu’ils peuvent, mais avec beaucoup de limites. Rien de ce qui devait être entrepris comme initiative politique n’a été fait. Or le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, est le seul à avoir la légitimité pour engager l’ensemble des protagonistes maliens sur un chemin de façon indiscutable. La principale difficulté qui bloque l’accord, c’est l’absence de prise en charge politique.

Dans l’accord, il a été choisi de donner plus d’autonomie aux régions. Pensez-vous que cela soit possible sans porter atteinte à l’unité territoriale du Mali ?

La régionalisation n’est que la seconde phase de la décentralisation, qui est en cours depuis 1993. La première étape était la communalisation, qui avait pour objectif d’ancrer la démocratie au plus profond du pays afin que les populations puissent jouir de leurs droits, de leurs libertés, et pour faciliter l’accès aux services publics de base. Mais la communalisation ne permettait pas le second objectif de la décentralisation, qui était le développement du territoire.

En 2013, Ibrahim Boubacar Keïta a organisé les états généraux de la décentralisation, puis les assises du Nord. Ces deux documents ont été faits avant Alger et contiennent les fondements de la régionalisation. Face aux revendications, dans un premier temps indépendantistes puis fédéralistes, des mouvements armés, on a proposé un approfondissement de la décentralisation. Aujourd’hui, toutes les régions demandent à être responsabilisées dans le cadre de la décentralisation.

Quels pourraient en être les inconvénients ?

Toute réforme a des inconvénients. La régionalisation consiste à donner une autonomie à des gens, et aujourd’hui, les libertés sont telles que le retour en arrière est impossible. Il faut voir la réalité en face : qu’on le veuille ou non, Kidal est en train de changer de statut, tout comme Tombouctou, Gao et Mopti. Toutes les parties du Mali changent de statut sans que cela soit pensé. Il aurait fallu que l’Etat anticipe ce changement de statut, sans quoi d’autres acteurs viennent prendre sa place. C’est ce qui est en train de passer. L’Etat est pris au piège des évolutions. Il faut qu’on sorte du déni de réalité.

Le centre est devenu la priorité du gouvernement, qui vient d’y imposer des mesures d’interdiction de circulation des motos et des pick-up. Cela sera-t-il suffisant ?

Si les djihadistes existent et arrivent à avoir l’oreille des populations, c’est parce que l’Etat est rejeté. La meilleure façon de combattre cela, c’est de reconquérir le cœur des communautés. Et cela ne peut être fait que par un Etat différent de l’actuel dans sa conception, dans ses pratiques et même dans son existence. Ces mesures d’interdiction ne suffisent donc pas. Elles empêchent les gens de vivre. Dans ces localités, les gens vivent des différents marchés hebdomadaires. Ils transportent les malades, se déplacent à moto pour les événements sociaux entre les villages. Il n’y a pas de transports en commun organisés.

Malgré des conditions sécuritaires précaires, le gouvernement prévoit de tenir le premier tour de l’élection présidentielle en juillet 2018. Cet agenda est-il tenable ?

Les gens ont la mémoire fragile. En 2012, tous les bons analystes avaient vu venir la crise alors qu’on avait la tête fermée dans les élections. En 2018, on est en train d’aller à une élection dans un pays où les conditions sont pires qu’en 2013. Aujourd’hui, les cercles où les conditions de réalisation du scrutin sont réunies en termes de logistique, de maîtrise du territoire par l’administration, pour que les gens puissent battre campagne et acheminer le matériel électoral, sont moindres. Or la réussite d’une élection dépend aussi de 60 % à 70 % de la logistique.

A défaut d’élection, que faire ?

Les élections ne sortent pas un pays de la crise. Elles peuvent couronner un processus de sortie de crise. Les politiques devraient réfléchir aux concertations à engager en marge des élections. C’est ce que j’appelle une transition. La conception qu’on a de la transition dans ce pays est toujours celle de rupture. Ce que le président n’a pas compris, c’est qu’il devrait passer du vieux Mali, complètement déconstruit, au nouveau Mali.

Du point de vue politique, notre modèle démocratique, qui a été mis en place en 1991, et notre modèle institutionnel ont montré des failles très graves, qu’il faut corriger. La réponse ne peut venir que des Maliens. Le président devrait aller à la rencontre des gens, les écouter, les convaincre, sortir des clivages artificiels entre majorité et opposition. La conquête du pouvoir n’est utile que s’il y a un pays.

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