Dix jours sont passés depuis que le Président et le vice-président de la Transition ont prêté serment le vendredi, 25 septembre, et qu’un Premier ministre a été nommé 48 heures après. Mais la CEDEAO maintient son genou appuyé sur le cou du Mali.
Avant la chute d’IBK et de son régime, les caisses de l’État malien étaient déjà désespérément vides. Le Mali était dramatiquement sous perfusion, avec les recours à des endettements qui serraient de plus en plus la gorge de l’État. Maintenant, seulement deux mois après le pronunciamiento du 18 août, le pays est quasiment au bord de l’asphyxie. L’organisation sous-régionale, qui surveille l’évolution de la situation sociopolitique comme le lait sur le feu, ne desserre pas son étau. Difficilement, l’État malien arrivera à faire face à ses obligations dans les jours prochains. Les salaires seront difficilement payés et il faudra aussi compter avec les nombreux engagements pris avec les syndicats qui, on le redoute, seront peu enclins à la patience. Pas parce qu’ils sont insouciants des problèmes qui assaillent le pays, mais bien parce qu’ils ont la claire conscience que les goulots d’étranglement de la République sont désormais bien le fait d’une junte militaire décidée à garder sous ses seules rênes courtes et capricieuses toutes les manettes de l’État.
En effet, les militaires, manifestement, n’ont aucune envie de se plier aux injonctions de la CEDEAO, quitte à se rebeller carrément, advienne que pourra. L’on a beau pointé du doigt leurs ruses de Sioux qui n’en finissent pas, ils se foutent comme de l’an 40 de toute volonté réelle de sortie de crise totale en multipliant des incommodités quant au fonctionnement normal et apaisé de la Transition. Une sorte de moquerie pour narguer sans cesse.
La CEDEAO, qui a compris leur jeu, ne fait même plus de communiqué. Son représentant, Hamidou Bolly dont on a peu entendu parler, a été simplement chargé de transmettre au président Bah N’Daw les dernières exigences de la communauté. En clair, biffer de la Charte de la Transition officielle la mention que le vice-président n’a pas vocation à remplacer le Président en cas de démission ou de vacance du pouvoir n’a pas suffi. Il y a un pot aux roses qui a été découvert en révélant que, au-delà de toutes les astuces sémantiques possibles, un vice-président est bien voué à remplacer le Président en cas d’empêchement de celui-ci, pour quelle que raison que ce soit. Si des Maliens fort avisés ont vite émis des cris d’orfraie en gémissant que le Cnsp, la junte à la manœuvre depuis le 18 août dernier, se moque du peuple et de la CEDEAO, cette dernière a bien compris que les colonels ne veulent nullement laisser la tête de l’Exécutif, c’est-à-dire qu’ils ne recherchent qu’à opérer un hold-up total sur l’État du Mali. L’écrivain Doumbi-Fakoly est même allé jusqu’à qualifier la conduite des jeunes officiers de félonie, injure suprême qu’un militaire peut recevoir à la figure. Mais l’homme de lettres pouvait-il faire autrement ? Le mot, selon plusieurs de nos concitoyens, est fort mais il rend sincèrement la réalité de la situation.
Que faut-il maintenant pour que Assimi Goïta et ses camarades conjurés lâchent du lest et favorisent rapidement la levée de l’embargo de la CEDEAO contre le Mali ? Là est toute la question. De toute évidence, toute la vérité sur le coup de force du 18 août 2020 n’est pas encore dite. Deal avec le régime neutralisé ou avec la France ou pas, opération de légitime défense afin de se prémunir des conséquences d’actes répréhensibles posés avant ou conspiration avec des cartels militaro-mafieux, ce qui est sûr, c’est que de gros poissons ont filé des mailles des putschistes avec une facilité déconcertante. Karim Keïta, général Moussa Diawara, entre autres, ont pu se mettre à l’abri au-delà de nos frontières. Autre anguille sous roche, quelle lumière jeter aujourd’hui sur le rôle du colonel Assimi Goïta lui-même entre le 05 juin et le 18 août 2020, en tenant compte que des crimes encore non élucidés ont été commis durant cette période de braises? Individuellement, de quoi doivent aussi répondre les membres du Cnsp pour la période concernée ?
Certes, la Charte de la Transition, toujours savant et fourbe galimatias toiletté pour être publié dans le Journal Officiel le 1er octobre, accorde carrément l’amnistie aux membres de la junte pour tous les actes commis par eux entre le 18 août et 1er octobre. C’est bien, mais cette tranche de la vie nationale n’a pas enregistré de tueries, ni de détournements de deniers publics, ni d’évasion de colossales sommes d’argent, à moins que les secrets d’alcôve contiennent des délits perpétrés à la hussarde encore inconnus de l’opinion publique nationale. Il y a comme un coup d’épée dans l’eau là où est nécessaire une mesure hardie.
Il faut pourtant que le Mali retrouve les meilleures conditions pour respirer normalement, par le fonctionnement adéquat de l’État. Il y a des solutions à explorer pour ce faire et, parmi celles-ci, aller vers l’élargissement de l’amnistie en faveur des conjurés du Cnsp. C’est peut-être à ce prix qu’ils mettront fait à l’exercice périlleux d’une Charte de la Transition au-dessus de la Constitution de 1992 dans laquelle le coup d’État est un crime imprescriptible.
Amadou N’Fa Diallo
Source: L’Aube