Le général à la retraite, Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère français des affaires étrangères estime qu’il ne « faut pas essayer de trouver une solution » au Sahel sans les Sahéliens.
Entretien réalisé par Lemine Ould M. Salem.
L’armée française s’est initialement engagée contre les groupes jihadistes au Sahel le 11 janvier 2013. Jour Sept ans plus tard, le président français Emmanuel Macron reçoit lundi 13 janvier 2020 à Pau, les cinq chefs d’Etat des pays sahéliens où l’armée transie est engagée. Est-ce la preuve d’un chef de l’engagement grandis au Sahel?
La France est dans l’impasse au Sahel et elle besoin de trouver une solution urgente pour éviter un échec total de l’opération Barkhane qui depuis 2014 a pris le relais de Serval qui en 2013 avait inauguré, au Mali, l’engagement militaire français actuellement en cours dans cette région. Serval puis Barkhane ont permi d’obtenir des succès indéniables sur le terrain: la libération des villes du nord du Mali qui jusqu’en janvier 2013 étaient occupées par les groupes jihadistes liés à Al Qaida et l’élimination de certains chefs importants de ces groupes. Mais à mesure que cette présence se prolonge, les groupes jihadistes se sont reconstitués, adaptés et arrivent même aujourd’hui à imposer leur agenda aux soldats français et leurs alliés africains sur le terrain. La plupart des grandes attaques les plus spectaculaires et meurtrières leur reviennent. Désormais, ce sont les jiahdistes qui décident de quand, où et comment frapper sur les armées engagés au Sahel.
Quand l’armée française était arrivée au Mali en 2013, les Maliens et les opinions sahéliennes de manière général avaient largement apprécié et soutenu ce déploiement des militaires français. L’incapacité de Barkhane et de ses alliés africains a venir à bout des groupes jihadistes et l’extension de la menace djihadiste un peu partout dans la région a conduit à un changement dans la perception des opinions locales sur cette présence militaire étrangèren. D’une armée de libération en quelque sorte, les soldats français au Sahel sont de plus en plus considérés comme une armée d’occupation.
Comment interpréter, selon vous, ces critiques de plus en plus hostiles à la présence française et étrangère dans le Sahel?
Quand on se met à la place de populations qui chaque jour voient la violence s’amplifier et s’étendre dans toute la région ou presque alors que des milliers de soldats étrangers et locaux sont engagés sur le terrain, il est normal qu’on se pose des questions. Les sahéliens ont largement approuvé l’intervention française au Mali en 2013 pour chasser les groupes jihadiste qui avaient occupé la moitié nord du pays et qui menaçaient les pays voisins. Sept ans plus tard, ces mêmes sahéliens voient leur sécurité menacée quotidiennement. Or, cette présence massive de militaires étrangers parmi les meilleurs du monde ne parvient pas à prévenir ou empêcher les attentats, les assassinats, les massacres de civils et les attaques de garnisons. Comment ne pas comprendre ce changement de perception chez les populations locales? Si une amélioration notable n’est pas enregistrée rapidement sur le terrain, il ne faut pas s’étonner que ces critiques actuellement limitées, se transforment en une pression populaire massive réclamant le départ des forces étrangères, françaises en tête.
Le sommet de Pau organisé lundi 13 et mardi 14 janvier, par’le président français autour des cinq chefs d’Etat du Sahel peut-il être l’occasion de calmer les opinions africaines critiques à l’égard de la présence militaire française au Sahel?
La manière avec laquelle ce sommet a été décidé a été maladroite. Cette rencontre a été décidée au lendemain de la mort de treize soldats français au Mali en décembre dernier. En l’annonçant, le président français, Emmanuel Macron, avait déclaré qu’il voulait obtenir des chefs d’Etat du Sahel une clarification de leur position sur la présence française dans la région alors que les critiques se multiplient dans ces pays contre Barkhane. Le ton utilisé par Macron a donné à ses propos des allures de convocation qui passe très mal au sein des opinions africaines. Il fallait certes rendre hommage au militaire français qui ont perdu la vie en décembre au Mali. Mais il fallait adopter un ton moins arrogant que celui avec lequel avait parlé le président Macron dont les propos ont été ressentis comme très arrogants au Sahel où les populations civils et les militaires locaux sont les premières victimes des groupes jihadistes.
Tenir ce sommet à Pau est aussi une erreur. La guerre contre les groupes jihadistes se déroule au Sahel et pas en France. Le sommet devait donc avoir lieu dans un des pays du Sahel.
Le contexte international actuel ne plaide pas non plus pour la tenue de cette rencontre en France. S’il y a un message à adresser à l’opinion française ou internationale, la date n’est pas la bonne. Le monde entier est aujourd’hui préoccupé par la situation au Moyen-Orient où un risque de guerre entre les Etats-Unis et ‘Iran est perceptible, l’Australie aussi où les incendies gigantesques menacent de ravager ce pays-continent et enfin les grèves qui paralysent la vie des français sans qu’un solution en soit visible pour le moment.
Le sommet de pau risque donc de passer inaperçu en France alors qu’en Afrique il est très suivi, commenté et surtout très critiqué.
Que faut-il faire alors?
La situation au Sahel concerne avant tout les Sahéliens. Il ne faut pas essayer de trouver une solution sans eux. Les concepts élaborés à New York, Paris ou Bruxelles ne peuvent pas être appliqués au Sahel sans que les Sahéliens eux-mêmes aient leur mot à dire. Ils connaissent mieux l’environnement local, les problèmes et les populations.
L’idée d’une force conjointe sous-régionale imaginée dans le cadre du G5 Sahel constitue un dispositif sur lequel la France et ses alliés peuvent s’appuyer quitte à pousser à un remodelage du concept originel. Au lieu de bataillons qui patrouillent le long des frontières entre deux des des cinq pays, il faudrait envisager des unités sahélienne composé de soldats des divers pays intégrés et opérationnels sur le terrain. Le mode actuel qui est essentiellement bilatéral a prouvé ses limites.
Mais cela ne peut marcher sans certaines prérequis: faire confiance au africains, les aider sérieusement à élever le niveau de leurs armées pour qu’elle puisse être aussi professionnelles que les armées étrangères, cesser de leur imposer des solutions conçues ailleurs, et enfin donner le temps à ces armées pour se mettre à niveau et être opérationnelles La situation s’est tellement dégradée au Sahel, qu’il faut au moins une génération pour que la stabilité y reviennent. Croire qu’une solution rapide est possible, est illusoire.
Comment faire confiance à des pays dont les gouvernements sont presque tous considérés par leurs propres opinions comme peu vertueux ?
Le déficit de confiance qui existe entre certains régimes et leurs opinions est un problème urgent a résoudre. Comment faire confiance à un gouvernement dont le pays est amputé de sa moitié, avec une armée en cours de reconstruction, qui se permet d’acheter un avion présidentiel et en plus dans des conditions jugées obscures par tous?
Le silence sur ce genre de pratiques des partenaires internationaux, dont la France, crée une situation très gênante. En se taisant sur ce genre d’actes, la France paraît aujourd’hui aux yeux de certains africains comme complice, ne serait-ce que selon l’adage « qui ne dit mot consent ».
Il faut absolument que la France et des alliés au Sahel se montrent plus regardants sur la qualité de la gouvernance et le respect des lois. La France n’a pas intérêt à être accusée une nouvelle fois d’avoir failli à son devoir moral comme elle l’a été au Rwanda en 1994 lors de l’opération Turquoise.
Des initiatives locales émanant d’africains sont en cours dans la régio. Elles méritent ‘être appuyées par la communauté internationale. Au Mali, la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage du professeur Clément Dembélé fait un excellent travail qui doit être soutenu. Au Sénégal, la société Transvie qui propose des couvertures médicales très adaptées aux pratiquants des petits métiers en Afrique de l’Ouest est à encourager. Au Tchad et en Mauritanie, les forces de défense et de sécurité ont montré qu’elles sont capables d’inventer des solutions adaptées aux réalités sahéliennes en matière militaires. Ces deux pays disposent aujourd’hui d’outils sécuritaires qui ont fait leur preuves avec les unités méharistes mobiles dotées de dromadaires et de véhicules légers très efficaces pour la collecte du renseignement sur le terrain et même le combat. Ce genre d’initiatives locales montre que les sahéliens sont capables de proposer des solutions adaptées au terrain. Il suffit de les encourager et de leur fournir les moyens nécessaires pour qu’ils puissent être plus performants. Ce qui n’est pas le cas, hélas. C’est scandaleux aujourd’hui, sept ans après le début de la guerre contre les jihadistes au Sahel de voir les chefs d’états-majors des armées sahéliennes obligés de mendier auprès de la communauté internationale du matériel et des armes.
LOS/APA