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« Saga Bank of Africa », l’épopée d’une banque panafricaine née au Mali

Première banque privée à capitaux africains de l’histoire en Afrique de l’Ouest, Bank of Africa (BOA) tisse sa toile continentale depuis 1982, au gré d’une ambition panafricaine, mais aussi d’opportunités, de résilience face aux revers du business de la finance et d’importants deals comme lors du passage en 2010 sous le giron du marocain BMCE Group avec notamment la promesse de rebranding d’Othman Benjelloun… Près de 30 ans d’aventure de cette entité de référence sont passionnément racontées dans « Saga Bank of Africa – Du Mali à Madagascar », récemment publié aux éditions Nei-Ceda par Paul Derreumaux, cofondateur aux cotés de leaders maliens. Entretien.

L’auteur, Paul Derreumaux, économiste français arrivé sur le continent dans les années 1970 en répondant à une petite annonce professionnelle, n’en n’est plus jamais reparti. Maitre d’œuvre de ce projet -qui au départ semblait irréalisable, il revient dans cet entretien sur les points clés de cet ouvrage préfacé par Jean-Michel Severino, patron d’Investisseurs et Partenaires, un fonds d’investissements consacré aux PME en Afrique subsaharienne.

LA TRIBUNE AFRIQUE – Concevez-vous « Saga Bank of Africa » comme une source d’inspiration pour les Africains qui ambitionnent de créer des banques fortes ?

PAUL DERREUMAUX- Ce que nous avons fait avec Bank of Africa, nous ne pourrions plus le faire de la même manière ni avec les mêmes moyens. C’était une époque et des environnements qui se prêtaient à ce que nous avons fait. Quand nous avons démarré il y a 40 ans, il fallait dans l’UEMOA 600 millions de francs CFA pour lancer une banque, aujourd’hui il faut 10 milliards de francs CFA. Les techniques et les risques dans le secteur ont également beaucoup évolué.

De manière générale, je dirais que « Saga Bank of Africa » est sans doute une source d’inspiration pas seulement pour les banquiers, mais pour tous les entrepreneurs, afin qu’ils voient combien il faut être à la fois audacieux et prudent, innover et parallèlement garder certaines choses du passé, fixer des objectifs précis, tout en restant suffisamment pragmatique pour les adapter à certains moments et ensuite retrouver la ligne directrice. Bref, avoir de la flexibilité. Je crois que « Saga Bank of Africa » peut être un bon cas d’école dans les formations de management.

Vous racontez passionnément l’histoire d’une banque née sous l’impulsion d’un homme clé du paysage politico-économique d’Afrique de l’Ouest à l’époque : Mohamed Tiekoura Diawara, un Ivoirien né au Burkina Faso et d’origine malienne, qui fut ministre du Plan de Félix Houphouët-Boigny, l’ancien président de Côte d’Ivoire. Première banque à capitaux privés africains dans la sous-région, le projet mettait aussi un accent sur la valorisation des talents locaux en employant des jeunes. Et vous avez été à la manœuvre pour concrétiser l’idée. Comment les choses se sont-elles mises en place ?

Mohamed Tiecoura Diawara était un homme politique important avec un très grand prestige y compris à l’international. C’est en effet lui qui a eu cette idée assez incroyable d’une banque privée à capitaux africains et même l’idée fantastique du nom Bank of Africa. Au début des années 1980, il n’y avait que des banques étrangères ou étatiques en Afrique francophone. On considérait à l’époque que c’était impossible pour les Subsahariens francophones de gérer une banque.

J’ai connu Mohamed Tiecoura Diawara lorsque j’étais son collaborateur. Pour ma part, je me suis occupé de tous les aspects techniques requis pour le montage de la banque : les documents préparatoires, les dossiers de demande d’agrément, la recherche des partenaires, …. etc.. Notre duo a été rejoint par Boureima Sylla, un grand commerçant malien qui avait une solide connaissance des investisseurs potentiels au Mali.  Il y avait un puissant réseau et une autorité morale. A trois, nous avons abattu un travail généralement accompli par des dizaines de personnes dans les bureaux d’études. Il faut dire que l’environnement embryonnaire de l’époque au Mali le permettait.

Et pour faire fonctionner la machine au départ, nous avions fait le choix inhabituel à cette époque d’embaucher des jeunes pour constituer nos équipes, en nous basant uniquement sur la compétence plutôt que la recommandation, Nous lancions des concours avec tests d’entretiens, etc.

L’expansion commence avec le Bénin. Pour quelles raisons quand on sait que d’autres marchés comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal sont plutôt en vue à cette époque ?

Nous sommes en 1989, Il n’y a plus aucune banque au Bénin. Les trois banques d’Etat qui constituaient le marché étaient toutes en faillite. Les Béninois se rendaient à Lomé au Togo pour faire leurs opérations bancaires. C’était une situation exceptionnelle.

Il est vrai qu’au départ, nous avons d’abord regardé la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Tchad et le Bénin. Nous sommes restés sur les deux dernières pistes. Et comme nous avions échoué au Tchad, nous nous sommes tournés vers le Bénin qui représentait à l’époque un terreau d’opportunités et nous avons eu un grand coup de chance, parce que nous n’étions pas les seuls à vouloir investir le marché béninois. Il y avait également Ecobank, une banque nigériane et une entité béninoise. Mais grâce au soutien de nos actionnaires béninois et de Proparco, nous avons pu être les premiers à concrétiser le projet très rapidement. Cela a été une réussite avec un emballement fantastique. La banque grossissait à vue d’œil. Le Crédit Lyonnais, venu après, voulait nous dépasser en quelques années. Ils sont restés deux ou trois ans et sont repartis ensuite.

Cette croissance n’était pas sans moments difficiles. Comment avez-vous géré -avec vos équipes- les premiers coups durs ?

Le premier coup dur au Mali est venu avec la crise de croissance de la banque. Les administrateurs maliens qui étaient venus au tour de table et au conseil d’administration n’étaient pas habitués aux contraintes bancaires. En réalité, les administrateurs ne peuvent pas être les premiers bénéficiaires des crédits. Or c’était le cas à la BOA Mali. Cela a d’ailleurs permis à la banque de grandir rapidement. Mais dans le monde des affaires, il arrive de manquer les échéances, ce qu’on ne peut se permettre dans le secteur bancaire. Il a donc fallu un période d’adaptation assez longue et quelques tensions pour que les contraintes réglementaires soient acceptées et respectées par tous.

Nous avons été aidés en cela par le changement du système de contrôle des banques : la création en 1989 de la commission bancaire devenue une institution régionale chargée de surveiller l’application, par les banques, des nouvelles règles bancaires. Plus strictes, ces mesures avaient été prises par les autorités afin d’éviter le genre de crise des années 1980. Cela a été un grand moment d’adaptation pour les banques comme BOA.

A la veille des années 2000, en 1999, BOA met le cap sur Madagascar. Vous décrivez un grand succès. Pourtant, ce projet d’expansion divisait en interne. Qu’ont fait les pro-Madagascar pour convaincre ceux qui présentaient des réticences à cette destination d’investissement ?

Madagascar est vraiment un excellent épisode dans l’aventure BOA. C’était très difficile de faire accepter le projet aux administrateurs. Ils estimaient que la banque était trop grosse et que Madagascar -hors de la zone Franc- était très loin de l’Afrique de l’Ouest. Ils s’interrogeaient sur la gestion des devises, préférant parfois qu’on se concentre sur l’existant et qu’on le développe davantage. Au départ, l’exécutif de la holding était seul favorable à ce projet : il a fallu convaincre pas à pas tous les autres administrateurs. La banque française Natixis qui était au tour de table, a été la dernière à emboiter le pas.

Pour nous, investir à Madagascar a signifié de grosses dépenses par rapport aux moyens dont nous disposions à cette époque. Mais ce projet a été une réussite extraordinaire. La Bank of Africa Madagascar est la banque la plus rentable du groupe.

Justement, BOA aurait pu être aujourd’hui une filiale de Natixis. Pourquoi cette piste a-t-elle été avortée ?

C’était effectivement un projet à un moment, que Natixis devienne majoritaire dans BOA. Cependant, leur proposition ne nous arrangeait pas. Ils voulaient tout changer, prendre le contrôle de tout sans période de transition. Cela aurait fait de BOA une banque française. Tout ce qu’on avait fait pendant quinze ans aurait été oublié. Cela n’a pas été accepté.

Puis nous nous sommes rapprochés d’une banque belge qui était très connue, la Belgolaise. Au moment où l’alliance avec la Belgolaise devait se conclure, son actionnaire principal qui était Fortis a décidé de la liquider.  Nous avons voulu la racheter parce que la Belgolaise avait un important retour en Afrique qui était un peu complémentaire du nôtre. Mais le deal n’a pas pu aller jusqu’au bout.

Le grand moment vient finalement avec l’arrivée du marocain BMCE Group. Comment s’est mis en place ce deal historique entre deux groupes bancaires africains ?

Beaucoup de temps avait passé depuis la création de BOA et nous cherchions un actionnaire pour grandir davantage et pour être certains de pérenniser le groupe, au moment où, pour une raison ou une autre, je serai amené à cesser mes fonctions. Nous avons lancé un appel d’offres et avons choisi la BMCE, non pas pour racheter la holding comme beaucoup de gens le pensent, mais pour entrer dans notre tour de table via une augmentation de capital.  L’accord a été signé en 2007 et en 2008, nous le concrétiserons. En souscrivant à cette augmentation de capital, la BMCE s’est retrouvée avec 35% du nouveau capital, avec bien sûr l’hypothèse prévue qu’elle augmente progressivement sa participation pour devenir majoritaire, comme cela s’est matérialisé plus tard.

Ce deal nous a permis d’avoir du financement pour réaliser nos dernières conquêtes : en République démocratique du Congo (RDC), à Djibouti, au Ghana et en France, qui ont été les dernières implantations que j’ai pilotées.

Avec le président Benjelloun, nous avions convenu que je pouvais rester administrateur ou président de trois entités : au Mali parce que j’étais très attaché à cette première entité et que j’habite au Mali, en France parce que j’y tenais et que j’y avais beaucoup travaillé et la Holding parce que je crois que je pouvais être utile à son développement futur. Je suis donc resté encore longtemps dans ces trois structures et j’ai quitté ces trois postes seulement en 2019.

Plus tard, le géant marocain a d’ailleurs« rebrandé » toutes ses banques dans 20 pays africains et en Europe sous la dénomination « Bank of Africa ». Que signifie cela pour vous ?

Dès le départ, nous avions conclu que l’esprit de la Bank of Africa devait essayer de continuer. Mais ce n’est jamais facile, parce que chacun pense et agit selon son propre environnement. En outre, deux Directeurs Généraux se sont ensuite succédés, avec chacun ses priorités et son style… Mais la manière dont le groupe a continué de grandir est la preuve que le groupe dans lequel était entré la BMCE était une structure solide. Dans les dix ans où le groupe a été développé sous leurs commandes, ils n’ont pas dû consacrer toute leur énergie à régler des dysfonctionnements, au contraire ils ont continué à grandir et à gagner de l’argent.

De plus, le président Othman Benjelloun -conformément à la promesse qu’il m’avait faite- a changé le nom de sa banque pour en faire « Bank of Africa ». Cela est une grande fierté pour ceux qui ont fait démarrer l’aventure africaine.

Ristel Tchounand

SourceLa Tribune

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