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Rôle du griot dans la société africaine : les mutations d’une figure clé

On nait griot mais on se forme à la performance oratoire auprès des siens. On apprend à battre le tambour et à le construire, à chanter dans les cérémonies, à danser en public.

Tous les peuples d’Afrique n’ont pas de griots mais ceux qui en ont en sont fortement marqués. La place du griot moderne se perçoit comme celle du relais social, liant et lien social, mais parfois image renvoyant au passé. Elle est décrite dans la charte de Kurukan Fuga qui a posé les grands principes devant régir la vie du grand peuple mandingue dans toutes ses composantes et sur tous les aspects.

On est griot par sa naissance, son sang, donc par son père. Être griot ce n’est pas un métier, c’est une existence humaine. Faire le griot, c’est autre chose car c’est une attitude sociale, professionnelle et économique aujourd’hui.

Dans cet article, je vais expliquer le rôle du griot dans la société africaine et ses différentes mutations.

L’espace familial comme lieu de transmission, de formation et de formatage

En découvrant les instruments de musique, l’enfant griot apprend la vie des hommes, de la nature et des astres. C’est pourquoi ceux parmi eux qui deviennent épopistes ou légendistes sont de vraies bibliothèques humaines et des encyclopédies ambulantes, après un long et rigoureux apprentissage durant lequel pères, mères, oncles et aînés formateurs deviennent de véritables maîtres qui, à travers chaque gamme, leur révèlent les secrets de la vie et de l’Histoire.

La cour de la maison des griots est un centre de performances orales où les interdits langagiers sont rares, même si le code de la bienséance oratoire y est respecté. Elle prépare le griot à tenir en haleine le public pour le galvaniser. On naît griot mais on se forme à la performance oratoire auprès des siens, on apprend à battre le tambour et à le construire, à chanter dans les cérémonies, à danser en public et à exceller en gastronomie dans la finesse des relations qui se tissent entre mère et fille en cuisine.

En observant un joueur de kora en public (la vraie kora originelle, pas celle domptée par les lois de la musique occidentale faite avec des clés de réglages), on remarque ses pauses pour accorder son instrument entre deux morceaux. Ces moments ne sont jamais ni silencieux, ni chantés mais parlés. C’est le lieu de philosopher sur la vie, de récompenser les méritants par les mots, de rappeler les liens sociaux et de réguler les tensions sociales.

Le griot est formé à comprendre l’Humain dans toute sa psychologie. Tout ce processus commence dès sa naissance. Plus qu’un lieu de formation, la maison du griot est un laboratoire de vie, un lieu de formation de la personne dans son rapport à sa famille, à son rôle social et à sa fonction artistique, médiatique et politique.

Griot et politique

La fonction politique du griot est évidente dans la charte de Kurukan Fuga en son article 43 :

Balla Fasséké Kouyaté est désigné grand chef des cérémonies et médiateur principal du Mandéen. Il est autorisé́ à plaisanter avec toutes les tribus, en priorité́ avec la famille royale.

Dans la vie de tous les jours, en Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal, il est le maître de cérémonie et peut apporter de la légèreté dans sa parole même avec le roi ou le président. Durant les grandes mutations vécues en Afrique après les chocs historiques et parfois violents liés à la colonisation, l’esclavage et l’islamisation, le griot a gardé cette place dans l’espace social, religieux et associatif rural.

Dès l’accès à l’indépendance, les partis politiques ont gardé cette fonction de maître de cérémonie pour le griot à côté de l’animation artistique et de l’annonce de l’événement. Parallèlement, à la disparition des rois africains, suite aux guerres coloniales, les guides religieux devenus les nouveaux leaders sociaux ont gardé cette fonction de relais de la parole pour le griot grâce à leur connaissance de l’écologie sociétale. Dans toute l’Afrique de l’Ouest, les Cheikhs ont des griots comme conseillers introduisant et relayant à haute voix leur parole avec un micro à disposition.

Presque chaque leader politique au Sénégal est attaché à une forte figure du griot. Le président Léopold Sédar Senghor ne prenait jamais la parole en public, dans des meetings ou tournées, sans que sa cantatrice Yandé Codou Séne ne chantât pour « ouvrir » sa parole. El Hadji Mansour Mbaye incarne la figure du griot du Parti socialiste. Abdoulaye Mbaye Pekh occupait la même fonction pour le président Abdoulaye Wade de 2000 à 2012. Il est aussi le griot maître de cérémonie pour le Khalif général des Mourides au Sénégal.

Si Farba Ngom, maire et député à l’Assemblée nationale du Sénégal, est nommé secrétaire national chargé de l’organisation et de la mobilisation de l’Alliance pour la République du Sénégal (APR, le parti présidentiel), c’est aussi dû à son statut de griot mililant de l’actuel président Macky Sall. Il devient de fait son bouclier dans les espaces de combat politique : les instances du parti, les institutions électives et les cercles médiatiques.

Du griot au communicateur traditionnel

Médiation sociale moderne

Le griot a gardé son statut social mais sa place a évolué dans ses relations avec le groupe. Si certains le traitent avec un dédain, tous acceptent sa place comme puissance artistique et sociale. Il s’est adapté à l’espace urbain avec son mode de communication moderne. Le téléphone ayant remplacé l’annonce du tambour, le musicien ayant supplée le troubadour, le griot s’est mis au service des radios et télés pour offrir son talent inné adossé à sa stature qui le valide et le valorise.

Dans les sports ayant un ancrage traditionnel comme la lutte, les reporters sont d’abord les griots car leur connaissance du tissu social, leur maîtrise des généalogies, leur ancrage culturel sans fard occidental les mettent en cohérence avec la langue de retransmission qui est la langue locale. Les journalistes professionnels n’ayant pas cette maîtrise ont la portion congrue dans ces émissions.

De même, le griot occupe le rôle de maître de cérémonie des événements à enjeu patrimonial et même des défilés militaires, car il rappelle les épopées qui valorisent l’histoire du peuple. Il devient « communicateur traditionnel » pour reprendre l’expression en vogue et consacrée par laquelle il se désigne lui-même. Ce rôle nouveau est une aubaine pour les gouvernements et les hommes politiques qui peuvent le mobiliser comme relais communautaire lors des grandes campagnes de vaccination par exemple ou lors des crises politico-sociales. Le communicateur traditionnel est souvent un employé d’un groupe de presse. Il peut même, comme Bécaye Mbaye au ISénégal, présenter le journal en langue nationale.

Au Mali, les grandes émissions culturelles comme, le Grand Sumu, mettent en valeur le griot dont les interventions durant le programme donnent une couleur africaine à un format occidental. Ici, le griot n’est pas attaché à une famille ou un village mais est chroniqueur, consultant ou animateur. Cette nouvelle fonction en fait une star moderne et le ramène aux événements sociaux qu’il valorise par sa présence.

Le griot et aussi devenu chanteur religieux muant ainsi du profane au sacré tout en gardant sa fonction d’artiste mais couvert du voile de la caution islamique.

Ambiguïté d’un rôle

Dans la perception commune, en Afrique de l’Ouest, le rôle du griot est assez ambigu aujourd’hui. Autant une grande marge de la population se glorifie d’avoir un griot traditionnellement attaché à sa famille, lors des événements sociaux, autant dans le discours public, le caractère désuet de sa fonction et son « oisiveté » sont souvent critiqués. Ceci découle d’une situation née du travail salarié car l’acquisition de la solde à la fin du mois a donné à l’individu une place jamais occupée avant en Afrique.

De ce fait, le griot qui demande et à qui on donne est perçu comme un simple laudateur au service des donateurs alors que dans la société traditionnelle, sa fonction d’historien, de médiateur social, de généalogiste, de musicien et d’artisan, lui conférait un statut de travailleur au même titre que chacun. Il était aussi productif que les autres. Pourtant, les métiers comme la musique, la percussion, le chant, destinés normalement au griot, sont aujourd’hui pratiqués par ceux qui sont issus d’autres catégories dites nobles tels que Salif Keïta au Mali.

La place du griot dans la société traditionnelle a donc fortement évolué. Il revendique sa double place tant sur le plan traditionnel qu’universitaire.

Des griots comme Youssou N’Dour valorisent cette fonction grâce à leur succès planétaire et revendiquent leur appartenance familiale, se vantant même d’être les porteurs des valeurs positives que draine la mémoire vive de l’Afrique. Par contre, d’autres cachent même parfois l’origine de leur nom de griot et s’inventent des arbres généalogiques vite démontés par leurs proches.

Toutefois, le griot, craint pour sa parole qui a une capacité de nuisance terrible, a toujours une place prépondérante auprès des plus hautes autorités religieuses comme politiques. On trouve à l’Assemblée nationale du Sénégal et de beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, des députés dont la seule qualité est d’être griots. Sa place est par ailleurs, essentielle pour des communautés faiblement scolarisées scolarisées, encore fortement attachées à leur patrimoine culturel immatériel et ancrées dans l’oralité.The Conversation

Massamba Gueye, Chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Source : lejournaldelafrique

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