En son temps, nous l’avions révélé : de sa cellule de la prison du Cap Manuel de Dakar, Ousmane Sonko était en négociation avec le président Macky Sall par l’intermédiaire de médiateurs dont principalement notre compatriote, Ousmane Yara. Ce sujet alimente encore les débats au Sénégal, surtout au sein de la formation politique de Macky Sall, comme le précise le magazine Jeune-Afrique dans sa dernière édition.
Après le scrutin présidentiel qui a porté Bassirou Diomaye Faye au pouvoir, des informations diffusées par la presse sénégalaise confirmaient ce deal baptisé par les Sénégalais, à juste titre, l’Accord du Cap Manuel dont l’ex-Premier ministre et candidat à la présidentielle pour succéder à Macky Sall, Amadou Ba, a été l’agneau sacrificiel.
L’hebdomadaire Jeune-Afrique revient sur ce sujet, précisant qu’il n’est pas oublié même si l’on ne parle beaucoup plus que de la probable dissolution de l’Assemblée nationale au mois de septembre prochain par le président Bassirou Diomaye Faye. Ce dernier cherche par ce biais à conquérir la majorité parlementaire par de nouvelles élections législatives.
Au sein de Bennoo Bok Yaakaar, ce regroupement politique qui soutenait Macky Sall, et dans le prolongement de ce soutien s’était aligné derrière le candidat Amadou Ba, on rumine encore ce que beaucoup de cadres politiques considèrent comme ” une trahison “.
En même temps, au sein du parti du président Macky Sall, l’Alliance pour la République (APR) cela crée une forte polémique ayant déjà causé une profonde cassure et le divorce est inévitable. La formation politique est désormais scindée en deux blocs : d’une part ceux qui sont restés fidèles au président Macky Sall toujours maître du Parti qu’il dirige depuis Marrakech où il s’est exilé. Ses partisans attendent encore de lui des explications pour comprendre ce qu’il s’est réellement passé lors des négociations avec Sonko. D’autre part, il y ales fidèles de l’ex-Premier ministre Amadou Ba qui ne veulent rien comprendre. Ils crient à ” la trahison “. Cette tendance qui s’affirme de plus en plus au sein de l’APR œuvre déjà à la formation d’une nouvelle formation politique. Rappelons que l’éligibilité de l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, a fait l’objet de deux décisions judiciaires contradictoires : le tribunal d’instance de Dakar avait refusé sa réintégration sur le fichier électoral avant de faire volte-face le 14 décembre 2023. Sonko n’avait qu’une obsession : faire valider son dossier de candidature pour ne pas rater sa participation à l’échéance électorale du 25 février 2024. Ne pas y participer parce qu’inéligible allait peser très lourd sur la suite de sa carrière politique. Un état d’esprit qui le disposait à être réceptif aux propositions des médiateurs afin d’avoir, lui aussi, une porte de sortie.
Mais que faire de ceux qui ont soutenu Ousmane Sonko sans réserve dans des manifestations qui ont endeuillé plusieurs familles ? Faut-il alors jeter aux oubliettes toutes ces victimes de la répression sous Macky Sall et qui réclament aujourd’hui justice. Surtout, ils veulent la tête de Macky Sall ? Que peut faire donc le tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko pour les satisfaire, tout en respectant les termes d’un deal qui permet à Macky Sall de bien savourer une retraite tranquille ?
Il y a en face d’eux, comme le rappelle si bien Jeune-Afrique : ” Le collectif des familles des victimes de la répression des manifestations qui ont secoué le pays ces trois dernières années et qui continue de réclamer justice. Il souhaite saisir le Haut- Commissariat des Nations unies aux droits humains pour demander l’ouverture d’enquêtes approfondies. Problème, ces faits sont tombés sous le coup de l’amnistie, après d’âpres négociations menées entre les hommes du palais présidentiel et Ousmane Sonko, alors emprisonné au Cap Manuel depuis le 31 juillet 2023… ”
Il faut comprendre qu’en fin décembre 2023 donc à deux mois de la date prévue pour l’élection présidentielle, notamment le 25 février 2024, Macky Sall, coincé, avait besoin d’une porte de sortie. La situation politique était tendue : plusieurs mois de manifestations violentes en lien avec les démêlés judiciaires d’Ousmane Sonko ; la société civile qui maintient la pression pour obtenir une libération des détenus politiques et la participation du président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) à la présidentielle ; c’en était trop.En dinant avec deux de ses amis maliens qui avaient le privilège de rencontrer facilement le président sénégalais, jusque dans sa résidence privée du quartier Mermoz, Macky Sall, qui avait déjà un peu décrispé la situation en déclarant ouvertement renoncer à sa candidature (le troisième mandat) a discuté de la situation avec ces deux amis qui sont le colonel Guichma Ag Hakaily, président du Conseil d’administration de l’Agence malienne de développement des biocarburants (Anadeb) et l’homme d’affaires Ousmane Yara, révèle Jeune-Afrique.
Et c’est là que l’homme d’affaires Ousmane Yara, pétri d’une forte expérience en matière de médiation politique, a suggéré à Macky Sall d’entamer des discussions avec Ousmane Sonko. Yara s’est proposé de conduire les négociations en son nom. Voilà comment il a eu à intervenir pour mener des négociations en compagnie d’autres personnalités. Les discussions ont permis de réconcilier Ousmane Sonko et Macky Sall à travers ce que les Sénégalais appellent désormais “l’Accord du Cap Manuel”.
Rappelons que l’amitié entre Ousmane Yara et Macky Sall date de très longtemps. C’est pourquoi l’ex-président sénégalais lui a fait confiance, sachant en plus que Yara, proche du président nigérian Tinubu, a réussi dans l’ombre des opérations délicates de médiation puisqu’il fait partie de ceux qui avaient convaincu le président Abdoulaye d’amener son fils, Karim Wade, à renoncer à participer à la présidentielle sénégalaise qui a fait élire Macky Sall. Mais avec la seule condition que Karim puisse se présenter à celle de 2024. Ce qui révèle le contenu d’une autre négociation menée en son temps au Sénégal par Ousmane Yara, aux côtés de l’ex-président guinéen, Alpha Condé désigné médiateur par la CEDEAO.
El Hadj A. B. HAIDARA
Source: Aujourd’hui-Mali