Au fond, on soupçonne la France de nourrir de sombres desseins, d’être capable de mauvais coups – ce qui sert à justifier un retrait sous la supervision des autorités maliennes. Avec le départ annoncé de ces deux forces, le Mali est libéré des entraves qui gênaient sa liberté d’action. Du coup, va-t-il se priver de sa chance d’entamer des négociations avec les groupes armés terroristes ?
Ce n’est pas le lieu de raconter l’histoire de l’intervention française au Mali. Bornons- nous à rappeler les deux étapes. L’opération Serval a engrangé des victoires militairement décisives en stoppant l’avancée des groupes jihadistes vers la capitale, mais elle n’a pas réussi à remplir deux autres objectifs assignés, à savoir la destruction de ces groupes et l’exercice de la souveraineté pleine et entière sur l’ensemble du territoire nationale. Barkhane, née sur ses cendres fumantes, a assisté impuissante à la perte progressive de contrôle de territoire – 80% selon le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. Son bilan est flou. Et le déplacement de son centre de gravité au Niger, en plus de la force Takuba, n’est pas de nature à changer fondamentalement le problème. La France ne s’est pas ajustée psychologiquement à ses dimensions réelles. Diplomatiquement, elle a longtemps vécu au-dessus de ses moyens économiques et militaires. Elle y a été encouragée par des circonstances exceptionnelles : la faible capacité opérationnelle des armées africaines à circonscrire les menaces.
Son idée centrale a été de préserver son rôle dirigeant dans un Sahel complexe et contradictoire où cet objectif ne peut être atteint que par habilité diplomatique. Mais, le caractère déroutant de la politique française tient au fait que ses paroles annulent ses actes et ses actes annulent ses paroles. Bravo au putsch ici sur le continent ! Haro sur un autre ! Oui à un troisième mandat anticonstitutionnel d’un octogénaire ! Non à un autre ! Sans doute cette apparente incohérence peut résulter d’un pragmatisme au jour le jour que des justifications de façade logiquement incompatible viennent rationaliser après coup. Mais, elle peut représenter un effort beaucoup plus subtil et beaucoup complexe pour assumer seul la direction du Sahel ou en assurer la coordination.
Froisser délibérément
Au besoin, la France s’érige en donneuse de leçons démocratiques et ne renonce pas à sa trop grande proximité avec les séparatistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Servie par une absence totale de considération pour ses partenaires africains, sans arrêts, sans scrupules, cette diplomatie n’hésite jamais à froisser, à blesser de façon délibérée, parfois gratuite, pour le seul bénéfice d’un gain tactique. Reste évidemment qu’une telle politique de coups d’épingle à répétition finit à la longue par causer des blessures difficiles à cicatriser. On en vient ainsi à sa caractéristique dominante : le refus parfois délibéré de tenir compte du réel, le refus d’adaptation aux besoins du requérant. Les faits sont ignorés ou négligés voire le déni- le massacre de civils à Bounti alors que le rapport de la Mission des Nations-Unies a établi sa responsabilité directe – s’ils contredisent l’analyse ou les objectifs recherchés.
Rendons hommage d’ailleurs au passage au sens aigu de l’effet théâtral, à l’art consommé de la mise en scène et à la beauté formelle des formules qui parviennent de plus en plus encore – mais de plus en plus difficilement à donner le change. L’écho des propos du président français Emmanuel Macron raisonne encore dans les esprits, insinuant le manque de volonté des autorités de la transition de combattre le terrorisme. Au même moment, au moins de refuser de voir l’eau dans le fleuve, le Mali s’équipe et son armée vole de succès en succès. Tel est le sens profond qu’il faut attribuer à la plupart des initiatives françaises : elles ont plus une valeur incantatoire qu’une portée réelle. Qu’il s’agisse de l’exercice de la souveraineté pleine et entière du Mali sur son territoire annoncé au départ, elle a finalement fait obstruction à l’entrée des Forces armées maliennes à Kidal devenue le sanctuaire des groupes armés terroristes, qu’il s’agisse du retour de l’administration qui n’a pas dépassé pour l’instant le stade de projet.
Echec et fuite camouflés
Ainsi, « Paris ne doit point servir d’interface entre les pays africains dans le cadre de la lutte antiterroriste. Une telle posture ne permet pas l’émergence de solutions africaines. Parce que la France va tenter d’influencer ces solutions pour satisfaire des intérêts mercantilistes » avertit Ali Tounkara, politologue, au cours d’un débat de la radio BBC consacré au Mali.
Au fond, on soupçonne la France de nourrir de sombres desseins, d’être capable de mauvais coups – ce qui sert à justifier un retrait sous surveillance des autorités maliennes -, de distiller de fausses informations à propos de la présence au Mali de la société privée de sécurité Wagner pour camoufler son échec et sa fuite. Tounkara croit en plus en déceler une raison majeure : « Toutes les armées puissantes soient –elles recourent à des acteurs privés de sécurité. Pour rappel, les Etats-Unis en Irak. Avec la venue de la Russie, la France se sent marginaliser. Une concurrence que Paris ne veut pas ».
Le retrait de Barkhane et la force européenne Takuba dans la fourchette de 4 à 6 mois va emmener les Forces armées maliennes à ponctionner dans les effectifs présents sur d’autres fronts pour combler le vide laissé. Bamako a anticipé sur ce départ. En témoigne la célérité avec laquelle l’occupation des bases françaises fermées s’est déroulée à Gossi et Tombouctou notamment. Toutefois, les perceptions varient. Les populations qui vivent dans les zones couvertes par ces deux forces étrangères redoutent un regain d’insécurité après leur départ. A l’opposé de ceux-ci, d’aucuns estiment qu’il n’aura pas d’incidence forte, réconfortés par les récentes opérations des Forces armées maliennes à Tichit, dans la zone des trois frontières –Burkina –Niger- Mali.
Le Mali est libéré des entraves qui gênaient sa liberté d’action. Du coup, va-t-il se priver de sa chance d’entamer des négociations avec les groupes armés terroristes ? Des accords non écrits lient des villages aux jihadistes qui pourraient trouver leur prolongement avec le désir de pourparlers exprimés dans les recommandations de nombreuses assises nationales. Les opérations militaires peuvent être examinées sous l’angle de pressions fortes exercées sur les groupes armés terroristes afin de les amener autour de la table de dialogue. Tout comme l’avis contraire est défendable, puisqu’aucun fait ne vient étayer la première hypothèse.
Georges François Traoré