On a souvent surnommé le football l’opium du peuple et la radio le media mythique. La retransmission des matches de football en langue nationale à la radio est arrivée au Mali en 1991. Cette pratique connait aujourd’hui un grand succès auprès des amoureux de radio (animateurs et auditeurs). Nous avons profité de la plus grande fête du football mondial qui se déroule actuellement sur le sol russe pour aller à la rencontre des animateurs et auditeurs des radios qui vivent cette compétition à travers la retransmission.
Le doyen Sy Souleymane Sy venait de terminer la retransmission du match samedi dernier Allemagne-Suède (2 buts à 1) qu’il reportait avec ses collègues de longue date, Abdoul Razack Minta et Mamadi Diakité alias Ben Bareck, quand nous arrivions au siège de la première radio libre du Mali, la radio Bamakan, à Médina-Coura. S’apprêtant à quitter les lieux, Sy Solo nous suggère de nous approcher de Ben Bareck pour un entretien sur le sujet. Il avait raison !
Une idée avant mars 1991
L’idée de la retransmission, selon Ben, est venue au Mali bien avant l’avènement de l’indépendance. “Vous savez, le pluralisme radiophonique et télévisuel du Mali a été connu après les évènements de mars 1991, mais bien avant cela, le doyen Sy Souleymane Sy était travailleur à la Radio-Mali dans les années 1976 où il présentait, en collaboration avec Issa Dionkoloni Coulibaly, l’Emission Yirinitourou. Une émission qui luttait contre la désertification dans notre pays. En ce moment, il y avait la radio nationale de la Mauritanie qui faisait des retransmissions de leurs matchs en langue nationale maure. C’est de là que Sy Souleymane Sy a eu l’idée et il a proposé aux chefs de la Radio Mali à l’époque de faire la retransmission des matches en langue nationale bamanan. Sa proposition n’a pas été prise en compte et Dieu faisant bien les choses, en 1991, il y’a eu l’avènement de notre pays à la démocratie. Une ère qui verra la libéralisation des espaces radiophoniques, ce qui a vu la création de la Radio Bamakan le 13 septembre 1991. Après la création de cette première radio libre du Mali, notre pays était absent sur la ligne footballistique car après la CAN Yaoundé 1972, il a fallu attendre des années pour voir le Mali se qualifier pour une phase finale de Coupe d’Afrique des Nations, notamment en 1994. Date à la laquelle la radio Bamakan a initié la retransmission en langue nationale” explique-t-il.
Un travail d’équipe
A en croire Ben Bareck, la retransmission est un travail en amont qui consistait d’abord à inventer des mots footballistiques en Bamanan. Et ce travail de néologisme lexical Bamanan a été réalisé par un groupe d’animateurs chevronnés dont les doyens Sy Souleymane Sy et Aboul Razack Minta (toujours en exercice à Bamakan). Les mots inventés sont entre autres le “Dogodogoni” qui veut dire le corner en français. Le coup-franc direct (Tji-ba) et le coup-franc indirect (Tji-baba), la ligne médiane (Baradjourou), la zone de vérité (Dagaconona), les filets Tiélou (Tiélou) et le gardien de but (Tiélou Kolochibaga). “Après ce travail en amont, les initiateurs ont commencé la retransmission sur Bamakan. Il y a au début le grand frère Baba Cissouma qui est ensuite parti ailleurs. Moi j’étais à la Radio FR3 et c’est après la CAN 2002 que je suis venu à Bamakan. Quand je suis arrivé, nous avons créé un trio que les auditeurs appellent aujourd’hui” le trio magique ” composé de Sy Souleymane Sy, Aboul Razack Minta et Mamadi Diakité Ben Barack. Dans ce trio magique, nous avons un travail bien défini. Sy Souleymane Sy et Aboul Razack Minta ont grandi ensemble à Ségou, la Cité des Balazans dont la langue Bamanan est considérée comme l’originale au Mali. Ces deux commentent en mettant une dose d’humour à travers la langue Bamanan, surtout quand le Mali joue. Et cette dose d’humour, servie avec passion et amour, fait aujourd’hui que nous avons des milliers d’auditeurs au Mali et au monde. Quant à moi, je suis journaliste sportif et ma mission est de mettre la touche journalistique en me basant sur le côté informatif tels que l’historique de la compétition, les grands joueurs qui ont marqué la compétition, les règlements intérieurs de cette compétition, aussi connaitre chacune des équipes participantes à cette compétition”.
Aboul Razack Minta : “Nous sommes écoutés par toutes les couches sociales au Mali”
Aux côtés de Ben Bareck et Sy Souleymane Sy était présent le doyen Abdoul Razack Minta, l’autre pionnier de la retransmission. Peu bavard mais précis dans ses analyses, il dira que “le Bamanan est la langue parlée par la quasi-totalité des Maliens. Et en ce qui concerne la retransmission des matchs, je peux dire que nous n’avons pas spécifiquement un public ciblé car ce n’est pas une question de comprendre ou pas le français. Le paysan qui se trouve à Yanfolila dans le Wassoulou profond ne comprend pas vraiment le français, mais quand il s’agit du français footballistique tout monde le comprend. De grands intellectuels et hauts cadres de l’administration malienne, des enseignants… nous écoutent et nous appellent de partout sur le territoire malien, donc ce n’est pas forcément ceux qui ne comprennent pas le français qui aiment écouter la retransmission”.
La Chaine2 sur les traces de la radio Bamakan
La retransmission des matchs lors des rendez-vous du football est l’une des émissions phares de la Chaine 2 de la radio nationale du Mali. La radio Bamakan a certes donné l’exemple, mais elle n’est pas la seule à faire de la retransmission car cette pratique se répand de plus en plus dans les différentes radios maliennes. Et à l’instar de la Coupe du Monde ou d’autres compétitions africaines comme la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), la Chaine 2 s’intéresse aussi aux compétitions locales et sa famille auditrice ne fait que s’agrandir au fil des années.
Au cours de notre reportage, nous nous sommes rendus dans le studio de la deuxième station radio nationale lors du match Sénégal-Japon (2-2) au compte de la 2e journée de la phase de poules de la Coupe du monde. Et là, nous avons été impressionnés par la passion qui se dégageait de la voix et des gestes de l’animateur chevronné des ondes de la Chaine 2, Sofa Ibrahim N’Tji Diarra, qui d’ordinaire anime des émissions en langue nationale Bamanan comme Yelen-Coura ou encore “Diaspora”. Confortablement installé devant la télévision et grand amoureux du micro, il retransmettait en Bamanan la rencontre lors de laquelle il était s’était mué en fervent supporter des Lions de la Terrenga.
Selon lui, la radio, c’est une question d’amour et de passion. “La radio est une question de passion et quand on s’y habitue, il est difficile de s’en passer. Moi, d’habitude, j’amine d’autres émissions en Bamanan, mais c’est par passion de la radio que j’ai accepté de faire la retransmission durant mes heures perdues. Il est vrai que ce sont les responsables qui ont proposé l’idée de la retransmission, mais il y avait déjà cette motivation qui m’animait. Au cours de la retransmission je suis accompagné par des journalistes sportifs qui s’occupent de donner les informations sur la compétition ainsi que faire les analyses. Moi je commente avec humour et gaieté et je pense que c’est cette particularité qui démarque la retransmission radiophonique de la télévision” nous a-t-il expliqué.
Pourquoi écouter la retransmission à la radio au détriment de la télévision ?
Au Mali, les amoureux du Ballon rond ne prennent pas de congés uniquement pour suivre les matches de la Coupe du monde ou encore la CAN. Non ! Ils vivent leur passion footballistique même au cours de leur travail. Le réparateur de moto ou le vendeur ambulent qui a rarement de temps de repos pendant la journée n’aura pas l’occasion de s’assoir devant une télé pour suivre les matchs durant plusieurs heures. Cependant, il peut combiner le travail et le football s’il opte pour la retransmission à la radio. Nous nous sommes rendus chez de nombreux auditeurs, à l’image de Sékou Drabo, propriétaire d’une dibiterie. Nous l’avons trouvé en train de suivre la retransmission des matches à la radio, en plein travail.
“Je préfère suivre mes matches à la radio à travers la retransmission, pas parce que je ne comprends pas le français, mais par amour pour la radio. En plus, avec la radio, je peux écouter les émissions et faire convenablement mon travail. Il m’arrive souvent, étant à la maison, de suivre un match à la télé et d’écouter la retransmission du même match à la radio, tout en mettant mon téléviseur sur mode silencieux. J’aime écouter les retransmissions, mais avant tout je suis un amoureux de la radio. Sa sensation est magique !” conclut-il.
Youssouf KONE
Source: aujourd’hui mali