Yeli Diallo a échappé à la noyade en mer en tentant de rallier les côtes italiennes à bord d’une embarcation. Échaudé par cette mésaventure, le jeune homme est retourné au bercail pour se lancer dans le maraîchage, une activité qui lui réussit
Yeli Diallo est plus que jamais déterminé à réaliser ses nombreux projets. À 35 ans, il a le sourire pudique qui ne quitte plus les lèvres. Mince de corpulence, la barbe en broussaille, l’homme confie s’être forgé une résilience face aux vicissitudes de la vie. En 2018, Yeli ne jurait que par l’Europe, peu lui importait les risques. Marié, face aux difficultés de trouver du travail pour subvenir aux besoins de sa famille, le jeune homme s’engage alors sur le chemin de la migration clandestine.
Parti pour l’Algérie par la route, le jeune homme traverse les villes de Gao et Kidal, en bravant le danger, entre les mains des passeurs et des groupes armés. La traversée du désert le conduit en Libye, via l’Algérie. Malgré ses compétences en mécanique, c’était impossible pour lui de travailler en Libye. Trop risqué à cause des hommes armés ayant la gâchette facile. «C’est difficile de travailler avec des gens armés qui sont capables de te tuer au moindre malentendu. Le rapport de collaboration est presqu’impossible», argumente-t-il. Grâce à la débrouillardise, Yeli arrive à réunir un peu d’argent pour réaliser son rêve. Mettre les pieds en Europe.
Le jeune homme se lance, un vendredi, nuitamment, dans une embarcation de fortune. À bord, plus de 120 personnes déterminées à rejoindre l’Italie en traversant la Méditerranée. «Nous avons passé deux jours en mer sans retrouver notre chemin. Le deuxième jour au soir, il y avait de la neige. La visibilité était réduite, pendant qu’un hélicoptère italien nous cherchait», se souvient Yeli Diallo.
Une soixantaine de personnes, dont Yeli tombent à l’eau suite à un mouvement de panique. Selon le rescapé, 54 ne survivent pas et meurent dans les profondeurs de la Méditerranée. Ses réflexes de nageur et son instinct de survie le sauvent de la noyade. Mais l’épisode, confie-t-il, le marque à jamais. « Pendant ces genres de moment, les gens sont sans pitié. Par exemple, ceux qui s’évanouissaient étaient jetés à l’eau pour avoir plus d’espace sur la petite embarcation », témoigne le jeune qui a encore du mal à mettre des mots sur cette mésaventure.
PRISONS À CIEL OUVERT- Le récit de Yeli donne un aperçu glaçant de la route migratoire par la mer Méditerranée. Tristement reconnue comme la plus meurtrière au monde, elle a coûté la vie, entre juin 2019 et fin 2020, à plus de 2.600 candidats à la migration, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les tentatives de traversée de la Méditerranée se terminent souvent par des échecs. Plus de 10.000 migrants ont été interceptés et envoyés dans des centres de détention par les autorités libyennes, rien qu’entre janvier et juin 2021, signale encore l’OIM. Pour le cas de Yeli Diallo, avec d’autres rescapés, il a été recueilli à Tripoli par la police libyenne.
Le jeune vivra l’expérience des centres de détention. Dans ces prisons à ciel ouvert, il fut témoin de plusieurs actes de violation des droits de l’Homme ou des violences notamment contre des femmes. Les violences dans ces centres libyens sont régulièrement répertoriées par des organismes dont le Haut-commissariat des Nations unies pour les droits humains. Dans un rapport publié en mai 2021, l’organisme onusien dénonçait l’inaction de l’Union européenne et de la Libye face à la tragédie que vivent les migrants comme Yeli qui empruntent le chemin de la Méditerranée. En mars 2021, le Conseil de l’Europe dénonçait le «manque de volonté des États» d’établir des politiques de protection des migrants.
SIGNE DU DESTIN- Après l’échec de la traversée, Yeli est pris en charge par l’OIM. Il est rapatrié à Bamako avec d’autres compatriotes. Ils ont reçu, chacun, 55.000 Fcfa afin de retourner chez eux, explique-t-il. Le retour de Yeli à la maison était aussi difficile à cause des pesanteurs sociales. Les petits emplois qu’il multiplie sont de nouveau insuffisants pour assurer les dépenses de la famille.
Reprendre la route de l’émigration lui vient à l’esprit. «Je voulais gagner un peu d’argent pour partir à Gao. De là, j’allais me débrouiller pour entrer en Algérie, en comptant sur un ami qui allait m’aider», détaille-t-il ainsi son nouveau plan de voyage. «Je n’avais rien à perdre et presque plus le goût à la vie. Je n’avais plus peur de mourir vu que j’avais vu des atrocités en Libye. Beaucoup de gens ont été tués devant moi», confie-t-il.
Au moment où Yeli commence à désespérer, il reçoit un signe du destin. «J’ai reçu un appel des gens de l’OIM qui m’ont parlé d’un programme d’aide pour les migrants de retour», dit-il. Ce programme mis en œuvre par l’OIM, en partenariat avec l’Union européenne, aide certains migrants de retour à la réintégration dans plusieurs domaines professionnels, tels que l’artisanat, la maçonnerie ou le secteur agricole. Yeli trouvera sa voie dans le maraîchage, domaine qu’il connait bien. Il avoue s’être attendu au début à une aide financière, qu’il aurait pu utiliser pour retourner en Algérie.
Finalement, il accepte de suivre plusieurs formations avant de commencer ses activités. «Les formations m’ont été utiles pour changer ma vision de certaines choses. Les formateurs nous disaient que nous allions rencontrer les mêmes difficultés chez nous comme à l’étranger», explique Yeli qui reçoit du matériel pour commencer son activité de maraîchage dans son village. «Je me suis décidé à travailler pour honorer la confiance placée en moi. Six à neuf mois plus tard, j’avais déjà la clôture de mon jardin avec un grillage», raconte-t-il fièrement.
RÉINTEGRATION RÉUSSIE- Yeli fait partie des quelques exemples qui prouvent que la réintégration après une expérience de migration est possible. À quelques encablures du nouveau pont de Kayes, à Danfagabougou, le jeune homme arpente chaque jour les pistes étroites, où son jardin d’un demi hectare est niché. Plusieurs autres périmètres longent les berges du fleuve. L’endroit est calme, le vent frais se mêle au chant des oiseaux pour une ambiance agréable. Yeli travaille depuis un an avec son employé, Bourama Napo, un jeune venu de Bandiagara, dans la Région de Mopti. Habitué aux activités champêtres, le jeune Dogon aide son patron, devenu son ami qui l’héberge et le nourrit. «Depuis que je travaille chez lui, nous n’avons pas eu de problème. J’ai beaucoup appris à ses côtés sur le maraîchage. Avant je ne faisais même pas la différence entre les tomates et les herbes sauvages», ironise le jeune ouvrier, derrière un sourire.
Une balade avec Yeli permet de découvrir l’étendue de l’espace dont il dispose. Un hectare appartenant à son père. Celui-ci a pris des rides, par la force de l’âge. Le vieux Hamidou Diallo est affaibli par l’hypertension. Il s’essouffle vite en plaçant quelques mots. Sa radio à ses côtés, débite des informations du jour. «S’ils partent, c’est bien. Mais quand ils décident de revenir, ils doivent être aidés et encouragés», glisse-t-il, en parlant des jeunes migrants comme son fils qui reviennent au pays.
«Je suis très content du retour de Yeli, parce que depuis qu’il est là, il travaille beaucoup et s’occupe de la famille. Il a repris la gestion de nos terres. Son retour nous a été vraiment utile», témoigne le vieil homme qui s’était opposé au départ de son fils en 2018. Aujourd’hui, il se réjouit de voir son garçon rependre l’affaire familiale. La fierté de le voir réussir se lit sur le visage de beaucoup de ses proches. C’est le cas de Bandiougou Mariko, aussi maraîcher. Il côtoyait Yeli quand celui-ci rechignait à travailler dans les jardins. «Pour que les jeunes ne partent pas massivement à la migration, il faut leur garantir un accès à la terre. Quand un jeune qui a une terre et de l’aide, il ne cherchera pas à partir. Il va travailler et réussir», argumente le jardinier, pour qui l’expérience de Yeli est révélatrice.
DES RÊVES ET DES AMBITIONS- De son côté, Yeli Diallo se dit reconnaissant des initiatives qui l’ont aidé à se relancer. «Ils m’ont aidé à avoir confiance en moi-même et en ma capacité de travailler pour m’en sortir», explique-t-il. Dans son jardin, il cultive divers légumes qui font le bonheur de ses clients, surtout des vendeuses au marché. «Nous achetons des produits chez lui. Il est compréhensif et nous aide souvent à avoir des crédits que nous payons une fois les produits vendus», explique Sétou Koné, une cliente, venue négocier quelques légumes avec le jardinier.
Yeli ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La première année de son activité en 2019, il a gagné plus de deux millions de Fcfa de la vente de ses produits de maraîchage et de son champ de maïs qu’il cultive en hivernage. Ambitieux, Yeli veut acquérir un tracteur et ambitionne de créer une entreprise. «J’ai beaucoup de projets notamment m’investir dans la pisciculture et l’aviculture. Je suis sûr de réussir avec un peu d’aide pour débuter», se motive-t-il.
Il ne cache pas sa fierté devant ce qu’il a pu réaliser à la sueur de son front et à la vigueur de ses bras. «Alhamdoulillah ! Nous pensions que ce n’était pas possible de réussir sans aller à extérieur. Kayes est une ville où traditionnellement les jeunes veulent tous réussir en allant à l’étranger. Je peux dire à tout le monde que je suis fier de ce que j’ai réalisé», se réjouit le jeune qui regarde désormais l’avenir avec espoir.
Mohamed TOURÉ
Source : L’ESSOR