Officiellement lancée à l’issue des travaux de l’Atelier national de haut niveau qui lui était consacré du 25 au 28 février dernier au CICB, la réforme du système de santé, longtemps évoquée par les plus hautes autorités du Mali, est désormais sur les rails. Une réforme qui, même si elle fait l’unanimité chez l’ensemble des acteurs du secteur de la santé quant à son bien-fondé et à sa nécessité absolue dans un pays confronté à d’énormes défis sanitaires, est tout autant décriée quand il s’agit des préalables et conditions de sa mise en œuvre. Entre la dynamique gouvernementale enclenchée et les grands obstacles qui se dressent contre, l’aboutissement de la réforme du système de santé se jouera indéniablement au-delà de la simple volonté politique.
« Le système de santé, fortement dégradé aujourd’hui, a besoin d’une réforme en profondeur. Cet état de fait est exacerbé par la crise socio-sécuritaire, la forte croissance et le changement démographique, ainsi que l’urbanisation », indiquait le Pr Samba Sow, ministre de la Santé et de l’hygiène publique, lors de son intervention au cours de l’atelier de finalisation et d’approbation du document de réforme du système de santé. En effet, ce rendez-vous marquait l’aboutissement d’une instruction ferme « à adopter une réforme visant à améliorer l’offre de soins de qualité par le relèvement du plateau technique des services sanitaires sur l’ensemble du territoire national », donnée par le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, dans sa dernière lettre de mission au gouvernement.
Si cette réforme, présentée comme le début de la renaissance du système de santé au Mali, vise avant tout à rapprocher l’accès aux soins de santé de qualité des populations, elle est également engagée pour corriger les nombreux maux qui minent le secteur et créer une dynamique qui permettra d’améliorer significativement et de façon durable l’état de santé des Maliens. Pour ce faire, la réforme du système de santé est élaborée autour de trois grands axes thématiques.
Il s’agit d’abord des offres de soins et services de santé de qualité, de la gouvernance et de la communication et enfin du financement de la santé. Tout ceci passera par la concrétisation d’un plan préétabli, qui aboutira à la réalisation d’actions spécifiques, comme le recrutement et le déploiement des agents de santé communautaires dans les villages et leur prise en charge; la création de nouvelles structures de santé, leur équipement et leur dotation en matériels et médicaments et la transformation de certains centres de santé communautaires (CSCOM) en Centres de santé de référence (CSREF), le changement de certains de ces derniers en Hôpitaux de district, ainsi que de certains hôpitaux de 2ème référence en hôpitaux de 3ème référence et le renforcement de ceux existants.
S’y ajoutent le recrutement et la formation des agents de santé, ainsi que des organes de gestion pour toutes les structures de santé; le développement de la médecine privée et le renforcement de la collaboration entre les deux entités et, enfin, la relecture des textes, qui sont obsolètes.
Prévue pour s’étaler sur plusieurs années, la mise en œuvre de la réforme commence par les soins primaires curatifs et préventifs, dont l’application est immédiate. Ainsi, désormais, les enfants de moins de cinq ans, les personnes âgées de plus de 70 et les femmes enceintes bénéficieront de soins gratuits. Les dialyses, la planification familiale et les premiers soins en cas d’urgence dans toutes les structures sanitaires seront également pris en charge par le gouvernement.
Réalisable ?
Pour l’aboutissement de la réforme, les professionnels du secteur de la santé, ceux-là même qui sont au cœur de la mise en œuvre des grands changements annoncés, sont pour la plupart dubitatifs sur la concrétisation des mesures. S’il est vrai que ces acteurs ne cachent pas leur appréciation vis-à-vis de la réelle nécessité d’une réforme aujourd’hui, ils émettent beaucoup de réserves sur les conditions de sa mise en œuvre, surtout face à l’immédiateté annoncée de la gratuité des soins primaires pour une frange de la population.
« La réforme du système de santé est plus que nécessaire. Sauf qu’avec la mouture qu’on nous présente, nous ne sommes pas sûrs et certains que c’est ce qu’il faut réellement pour les Maliens. Il ne s’agit pas de réformer pour le plaisir de réformer, il s’agit de réformer pour prendre en compte les réelles préoccupations de la population », estime Djimé Kanté, médecin, secrétaire général du Comité syndical de l’hôpital Gabriel Touré.
« Lorsqu’on parle de la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les personnes âgées de plus de 70 ans, ce sont des prestations qui se faisaient déjà pour la plupart. Mais, même avec l’argent, on n’arrivait pas avoir accès à certaines analyses. Et lorsqu’on nous dit maintenant que les premiers soins seront gratuits, dans un CHU où il n’y a même pas d’équipements, ni de laboratoire digne de ce nom, je pense qu’on essaie un peu de mettre la charrue avant les bœufs », poursuit celui qui en veut pour preuve la fermeture, il y a plus d’une semaine, de tous les blocs opératoires de l’hôpital Gabriel Touré, faute d’équipements adaptés.
« Nous savons qu’il y a beaucoup d’efforts qui sont déployés. Depuis longtemps, le système a essayé de trouver ses marques, mais jusqu’à présent nous n’avons pas atteint les résultats espérés. Réformer aujourd’hui et essayer de mettre la réforme bien en œuvre peut nous mener vers d’autres expériences », indique pour sa part le Dr Karamoko Nimaga, médecin de campagne et président de l’Alliance du secteur privé pour la promotion de la santé au Mali.
Mais, selon lui, il faudra nécessairement passer par des préalables, dont un changement même de la gouvernance et de la gestion du bien public, car, dit-il, en évoquant les ressources humaines, « la réforme aboutira si les personnes qui sont nommés à des postes sont jugées sur leurs résultats et s’il y a un vrai changement d’habitudes ».
Nouvelles difficultés ?
Les différents professionnels du secteur de la santé craignent une annonce politique, sans réelles mesures d’accompagnement dans les structures de santé, et donc, par ailleurs, une ruée de la population vers les centres et hôpitaux du pays, augmentant les difficultés de prise en charge, déjà conséquentes sur le terrain. « Cette gratuité va certainement élever la demande dans les structures de santé. Donc il faut qu’elle soit accompagnée d’un recrutement conséquent de personnel. Les infrastructures ne s’y prêtent pas non plus. Dans les CSCOM, aujourd’hui, même avoir un seul endroit de consultation ou d’accouchement est un problème », souligne le Dr Harouna Konaté, président de l’Association des médecins de campagne du Mali.
Selon lui, avant d’annoncer de telles mesures, avec application immédiate pour certaines, le gouvernement aurait dû faire un gros travail à la base et corriger les insuffisances de ce qui avait été déjà fait par le passé, afin de les évaluer. « Je pense qu’on a voulu résoudre le seul problème d’accessibilité financière, alors qu’il y en a d’autres, dont la disponibilité même des services à travers le personnel requis, qui n’est pas toujours en place », pointe-t-il.
En guise de réponses à toutes ces préoccupations, diverses recommandations ont été faites à l’issue de l’atelier national pour une mise en œuvre efficace de la réforme du système de santé. Il s’agit, entre autres, de la mise en place urgente d’un comité stratégique pour le suivi, de l’élaboration d’un plan d’actions avec un calendrier de réalisation séquentielle des réformes urgentes et du renforcement du plateau technique des établissements de santé, notamment les infrastructures, les équipements, les ressources humaines ainsi que les outils de gestion.
En plus du suivi de ces différentes recommandations, il conviendra, selon les professionnels de la santé, de joindre aux actions annoncées par la réforme de solides mesures d’accompagnement. « Rien que pour les ressources humaines, cela demande un gros recrutement et surtout un bon déploiement sur toute l’étendue du territoire. Mais il faut aussi adapter nos structures et les équiper pour accueillir plus de patients », conclut Dr Konaté.
Journal du mali