Nombreux sont nos compatriotes qui allèguent que notre Président de la république cumule trop de pouvoirs et dispose à sa guise de tous les leviers institutionnels. Ils sont nombreux, ceux qui attendent de la nouvelle Constitution que consacrera le prochain référendum, de réduire les prérogatives du Président de la République. Le meilleur régime, selon eux, doit être parlementaire où les députés auraient suffisamment de pouvoirs pour destituer le Président dans des circonstances définies par la Loi. Mais nous estimons, pour notre part, que le sort du Président de la République ne peut pas dépendre de simples contingences politiques ni d’humeurs volatiles et partisanes.
Il est vrai, la fonction présidentielle est nettement bafouée chez nous depuis un certain temps. Un coup d’œil dans le rétroviseur nous montrera les images d’un IBK plus qu’affaibli, à la limite même de la démission, face à une rue ne débordant pourtant pas d’énergie. En vérité, que reste-t-il du pouvoir d’un Président incapable de maîtriser un simple mouvement de rue cantonné dans la capitale et encore naissant ? Au lieu de prendre des mesures adéquates au bon moment, le Gouvernement de Boubou Cissé s’est contenté de recevoir des leaders dont certains sont de vrais manipulateurs, pour leur proposer au mieux un terrain d’entente, sinon des pourboires pour faire cesser les mouvements de contestation. Malheureusement, ces éléments ont pressenti la fébrilité du régime et l’état moribond du Président qui se démenait plus pour sauver sa santé que pour conserver un quelconque pouvoir. Pourquoi accepter quelques subsides quand on peut tout avoir ? Les circonstances du coup d’Etat du 20 août 2020 démontrent le niveau de déliquescence de notre Etat. Ce renversement de pouvoir aura été tellement facile qu’on se demande parfois si le Président lui-même n’a pas négocié son arrestation auprès de ceux qui ont écourté son second mandat.
Comme en 2012, après la fin brutale et illégale du mandat du Général ATT, ce coup de force a provoqué l’effondrement de notre Etat. Mais, heureusement, les dégâts ont été bien plus vite maîtrisés qu’en 2012. Les jeunes officiers ayant perpétré le coup d’Etat, semblaient avoir tiré leçon des événements de 2012. Ils semblaient savoir ce qu’ils voulaient puisqu’ils ont vite appris à décoder le langage des jeux politiques internationaux. La fin du régime IBK a prouvé qu’un Président affaibli est un danger pour la République. Tant que les militaires auront le moyen et les prétextes pour justifier des coups d’Etat, ils ne s’en priveront pas. Comme tout citoyen, ils ont aussi des prétentions et des ambitions ; ce qui ne leur donne pas tous les droits non plus. Mais revenons à notre Président.
La République n’a rien à gagner avec un Président sans réels pouvoirs. Mais tout dépend de la forme républicaine que nous voulons. Dans un régime dit parlementaire, où le Président a peu de pouvoirs et peut se faire révoquer par un simple vote parlementaire, les députés sont les véritables maîtres du jeu. Dans certains cas, la fonction présidentielle est symbolique mais ça marche plutôt bien. L’Allemagne est un exemple parfait du bon fonctionnement de ce système, ce qui est dû à la stabilité sociale et politique que connaît le pays. Là, il y a un Président désigné dont les tâches sont définies mais qui ne détient pas le réel pouvoir, contrairement au Chancelier qui exerce pleinement un pouvoir dû au vote des citoyens. En revanche, le cas italien n’est pas un exemple de stabilité ; le contexte est quasiment le même que celui de l’Allemagne mais les jeux et les rivalités politiques étant plus prononcés qu’en Allemagne, l’Etat est souvent confronté à des mandats écourtés. Le Premier Ministre, qui sait que la durée de son mandat dépend en grande partie de son degré d’entente avec le parlement, navigue souvent dans l’incertitude la plus totale, son sort pouvant être scellé à tout moment. Il a donc intérêt à ce que sa politique menée soit acceptée de la majorité des députés.
Mais le contexte malien peut-il s’accommoder d’un régime parlementaire ? Le Mali a une forte tradition hégémonique et princière ; le pouvoir a toujours été concentré dans les mains de celui qui l’exerce. Le peuple lui-même est prêt à concéder la totalité du pouvoir à celui qu’il a élu et ce, d’autant plus qu’il sait que le mandat présidentiel est limité dans le temps. Les hommes d’Etat sont attendus pour être forts, puissants. Le Président est vu comme un symbole. A lui s’assimilent et l’Etat et le peuple lui-même. Il doit friser la perfection, devant être presque exempt de défauts. Sa faillite signifie celle de la nation entière. C’est pourquoi, il doit être conforté et renforcé. Sa seule décision engageant la nation entière, il doit être l’homme ou la femme du peuple, pétri des connaissances historiques et sociales du pays. Il doit n’œuvrer qu’au développement du pays, ne cultiver que la justice, la solidarité et l’équité. Il doit doter le pays d’une force de défense à même de garantir la sécurisation et la protection de l’ensemble du territoire. C’est aussi essentiel, pour lui, d’assurer l’éducation et la santé. Mais le Président ne peut faire face à ces missions régaliennes que si sa légitimité est intacte.
Le Président est l’âme, la colonne vertébrale du système républicain. Le danger consiste à le mettre en situation de fragilité. Le pouvoir chez nous est personnalisable et toujours centralisé. Il serait dépolarisé s’il devait être affecté à un ensemble, fût-il un Parlement. Un Président sans véritable pouvoir ne serait qu’une coquille vide. Notre peuple s’assimilerait plus à un individu qu’à un ensemble aux contours flous. La responsabilité siérait plus à un Président que l’on connaît, que l’on peut nommer, qu’à un groupe de têtes aux destins divers.
La future Constitution devrait donc contribuer à renforcer notre nation avec un Président fort ; elle est élaborée, après tout, pour le confort du peuple. Le Président est la première Institution du pays qui mérite d’être protégée. Tout citoyen devrait contribuer à sa protection. Il doit être indéboulonnable, sauf dans des situations exceptionnelles comme des cas de haute trahison avérée. Les textes et le peuple devraient pouvoir assurer la sécurisation de sa fonction. Pour qu’à jamais cessent les coups d’Etat. A bon entendeur…
Tiécoro Sangaré
Source: Journal Les Échos- Mali